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Violences de genre : aux racines du mâle

De l’Argentine à l’Afrique du Sud en passant l’Inde et l’Irak, une étude coordonnée par la chercheuse belge Aurélie Leroy remonte à l’origine des mouvements de haine contre les femmes et analyse les luttes qui les contrent inlassablement.

La recension dans Libération de l’Alternatives Sud Violences de genre et résistances, par Yannick Ripa.


Voilà dix ans que la poétesse féministe mexicaine Susana Chavez a perdu la vie pour prix de son engagement. Les militantes latino-américaines ont hérité de son slogan : « Ni Una Menos » (« Pas une de moins »), clamé, bien avant #MeToo, pour lutter contre les violences de genre, véritable fléau, dont la presse a régulièrement souligné l’inflation en Amérique du Sud, en Inde et en Afrique du Sud. Malgré la condamnation de celles-ci – domestiques et /ou politiques, réelles ou symboliques – par des Etats et des instances internationales, en application du principe universel du droit à la vie et à une vie sans violence, et des avancées qui s’en sont suivies, elles n’ont pas été éradiquées, loin s’en faut.

Masculinités hégémoniques

Les dix contributions d’autrices du Sud, servies par un lumineux éditorial de l’historienne Aurélie Leroy, dressent un bilan à frémir : des viols subis, en Inde, par les femmes Dalits (les opprimés hors caste, soit 16 % de la population) aux violences sexuelles dans le cadre de l’élimination génocidaire des Yézidies d’Irak par Daech, en passant par l’inflation des violences conjugales en Afrique du Sud, expression de masculinités hégémoniques. Pour compléter ce sombre tableau, l’étude met en exergue des violences moins repérables, dans l’intimité durant la pandémie de la Covid-19, dans les migrations [1], étudiées particulièrement à la frontière sud espagnole, ou sur les réseaux sociaux, déversoirs de haine contre les femmes et les LGBTQIA +.

On comprend aisément que ce constat soit la première raison d’être de ce féminisme du Sud, de cette « marée verte » – allusion aux foulards de ces femmes en résistance, héritage de leurs mères et grands-mères –, née en Argentine pour revendiquer la liberté de l’avortement. Stimulé par le slam féministe viral, « Un violeur sur ton chemin » du collectif Las Tesis, entonné en novembre 2019 à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, cette quatrième vague féministe s’attelle à déconstruire les processus menant aux violences de genre, en rompant avec les analyses antérieures. Les unes, en les individualisant, ont conduit à leur banalisation, prétendument phénomène social ordinaire, les autres, à les considérer « comme une anomalie simplement liée à la violence d’un groupe » ; ainsi est gommée l’existence d’un continuum de violences. La posture adoptée par ces militantes leur permet d’extirper, estiment-elles, les racines du mal, à savoir l’intersectionnalité entre patriarcat, capitalisme, néolibéralisme, postcolonialisme et racialisation, laquelle a des conséquences dévastatrices sur les genres et les groupes subalternes.

Se dégager du « féminisme dominant »

Très convaincante est la démonstration des effets de l’extractivisme, à savoir « la méthode d’accumulation capitaliste qui trouve son origine dans la conquête et la colonisation de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Asie par l’Europe au moyen de l’extraction et de la production » des matières premières. Il a provoqué la privatisation des « biens communs », fragilisant et subordonnant les femmes, la reconfiguration des rapports sociaux, la masculinisation des territoires et, par la peur induite par la présence de tant d’inconnus, le confinement féminin au foyer.

Les autrices, très engagées, exposent les solutions envisagées par ces féministes : agir au niveau « glocal » et non transnational, afin, entre autres, de se dégager du « féminisme dominant », qualifié de « féminisme des 1 % », auquel est reproché de contribuer, parce que composé de personnes riches, à « une lecture conservatrice » en termes de protection de leurs consœurs du Sud, en les prétendant victimes de leur culture, justifiant, ainsi, l’ingérence ou l’occupation occidentales. Forte de sa boîte à outils conceptuels, cette vague estime que la fin de ces violences n’adviendra que si la reproduction de la vie cesse d’être « subordonnée à « la loi de la valeur ». Une stratégie révolutionnaire, mais à ce jour, sans doute, bien utopique.

Voir en ligne Violences de genre : aux racines du mâle

Notes

[1À paraître sur ce thème en mars 2023 : Migrations en tout « genre », numéro d’Alternatives Sud sous la coordination d’aurélie Leroy


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.


(Photo : Conavim, Mexique)

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