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Pérou

Violence, mort et racisme. Une crise politique et sociale dans le Pérou actuel

Face à un regard international distancié, le Pérou semble plongé dans un bain de sang quotidien dû à la répression abusive de la contestation citoyenne par les forces de l’ordre. La fragilité démocratique du pays, qui s’est aggravée pendant la pandémie, montre aujourd’hui son pire visage, ouvrant la voie à une polarisation généralisée et à de possibles affrontements sanglants [1].

Le gouvernement démocratique de Pedro Castillo (du 28-07-2021 au 07-12-2022) a pris fin avec l’échec de sa tentative de coup d’État pour répondre à un processus de destitution promu par les forces politiques d’extrême droite qui dirigeaient le Congrès. En réponse à ces événements, de vastes manifestations et marches citoyennes ont débuté dans la plupart des régions du pays.

Depuis près de huit semaines, de nombreuses manifestations populaires ont lieu dans les principales villes du pays, de la capitale aux Andes en passant par l’Amazonie. Les manifestants et manifestantes demandent avant tout la démission de l’actuelle présidente Dina Boluarte et la dissolution du Congrès. Ils réclament également une réforme constitutionnelle et un processus électoral anticipé en 2023. Certains groupes de manifestants considèrent que l’emprisonnement actuel de Pedro Castillo est injuste, car il a été victime d’une conspiration politique, résultant des vues classistes et racistes historiques de l’élite politique de Lima, la capitale du pays.

Le gouvernement de Dina Boluarte a mené une répression sanglante, multipliant les violations des droits humains, faisant un usage disproportionné et sélectif de la violence [2]. Les forces de l’ordre répriment en tirant sur la population civile, notamment dans les zones andines indigènes, qui comptent à ce jour le plus grand nombre de morts dans le pays [3]. Dans le même temps, le gouvernement mène un double langage : d’un côté, il décrète l’état d’urgence et envoie des troupes armées pour réprimer les manifestants avec des armes de guerre ; de l’autre, il fait des déclarations confuses aux médias nationaux et internationaux, en invoquant la paix et le dialogue.

Les journées les plus violentes ont eu lieu le 9 janvier 2023 dans la ville de Juliaca (Puno), lorsque les militaires ont tiré et causé la mort de dix-neuf manifestants [4]. En réponse, des manifestants ont brûlé vif un policier dans sa voiture de patrouille. Un autre exemple de cette flambée de violence a eu lieu le 21 janvier à Lima, lorsque des troupes militaires, armées de chars et de camions, ont enfoncé les portes d’entrée de la Ciudad Universitaria de l’Universidad Nacional Mayor de San Marcos, la plus ancienne université des Amériques [5]. Ce campus universitaire abritait des étudiants et des habitants de différentes régions du pays venus à Lima pour participer aux manifestations en réponse au massacre de Puno. Lors de cette intervention, 193 personnes ont été arrêtées et le bureau du médiateur a déclaré que les troupes n’étaient pas autorisées à entrer sur le campus.

Les protestations se poursuivent au niveau national, tandis que Dina Boluarte reste au pouvoir, militarise le pays, en déployant des troupes militaires et en décrétant l’état d’urgence, et que le Congrès de la République se montre incapable de légiférer face aux défis auxquels le pays est actuellement confronté, comme les demandes d’élections anticipées et les revendications formulées par le peuple dans les rues.

Cette négligence et cet abus des autorités politiques à l’égard des revendications populaires semblent refléter les pratiques coloniales et les modes d’exercice autoritaire d’un pouvoir, despotique et raciste [6]. Dans ce contexte, il n’est pas difficile de relier cette réalité aux épisodes regrettables du conflit armé interne péruvien (1980-2000), dans lequel les mêmes schémas de violations des droits humains, de racisme, d’arrogance et d’autoritarisme étaient également visibles.

Ce sont des semaines cruciales pour le développement et la durabilité de la démocratie au Pérou, c’est pourquoi il est urgent de générer un soutien national et international afin de garantir la défense des droits humains, de plaider pour un arrêt immédiat de la violence et de laisser place à des espaces de dialogue et de pacification. Selon les informations publiées le 6 février 2023, par le journal péruvien, La Republica, le Pérou est le quatrième pays le plus inégalitaire au monde [7]. La portée de cette information est énorme. Elle éclaire la problématique qui est à la base de l’explosion de violences dans les rues et des revendications des populations des provinces. Face à tout cela, il est également nécessaire de susciter un débat international afin de promouvoir une plus grande couverture médiatique et un meilleur suivi des événements au Pérou, ainsi qu’une plus grande pression des organisations internationales et de la société civile pour qu’elles prennent conscience de ce qui s’y passe.


Notes


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.

Manifestation dans le centre de Lima, 12 décembre 2022
Manifestation dans le centre de Lima, 12 décembre 2022

(Foto : Mayimbú CC https://link.infini.fr/4vxqaKah)

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