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Vaccin et bien public mondial : il y a (encore) loin des discours aux actes

Sur les trente-neuf millions de doses du vaccin contre le coronavirus déjà administrées dans le monde « seulement 25 doses ont été administrées dans un des pays au revenu le plus bas. Pas 25 millions, pas 25.000, juste 25 », a donc déploré ce lundi le directeur de l’OMS. Cette réalité scandaleuse n’est malheureusement pas une surprise. Elle est anticipée depuis de longs mois par une kyrielle d’ONG, de fondations et d’agences internationales, qui condamnaient dès le début de la pandémie les premières manifestations du « nationalisme vaccinal » menaçant de subordonner l’accès au vaccin des populations aux capacités financières de leurs gouvernements respectifs. Plusieurs chefs d’États occidentaux avaient alors uni leur voix à celles de l’OMS pour exiger solennellement la constitution des futurs vaccins en « bien public mondial ».

L’initiative internationale COVAX, pour « Covid 19 Vaccines Global Access » avait été lancée en avril 2020 afin de contrer cette logique du chacun pour soi, en mettant en commun les contributions des États (ils sont plus de cent quatre-vingts à avoir rejoint l’initiative) en vue de soutenir la recherche et la production d’un grand nombre de vaccins, de négocier les meilleurs prix possibles avec l’industrie et de garantir une distribution équitable des doses entre pays et à l’intérieur de ceux-ci. Le dispositif est assorti d’un mécanisme de cofinancement par les pays riches d’un milliard de doses devant être réservé aux nonante-deux pays les plus pauvres, au nom du principe réaliste selon lequel « personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne sera pas en sécurité ». Bref, COVAX devait combiner puissance financière, efficacité et principe de justice internationale.

Certes l’initiative COVAX n’est pas la panacée. Sa principale cheville ouvrière, l’Alliance du Vaccin (GAVI) est une création de la Fondation Bill et Melinda Gates, dont l’influence sur le champ de la santé publique mondiale depuis le tournant du millénaire est inquiétante. Dotée d’un budget supérieur à celui de l’OMS, dont elle est devenue en 2019 le deuxième bailleur de fonds, la Fondation pilote ou copilote une foule de partenariats publics-privés destinés à financer de grandes campagnes de vaccination dans les pays pauvres. Si les résultats sont là, l’influence de la Fondation sur la canalisation de grandes quantités d’aide publique court-circuite les instances démocratiques, comme l’Assemblée générale de la Santé, qui devraient gouverner les politiques internationales de santé publique.

Désireuses de ne pas dépendre de ce seul mécanisme, l’Inde et l’Afrique du Sud, qui disposent d’une industrie du médicament fort développée, ont cherché à obtenir le droit de produire eux-mêmes le(s) futur(s) vaccin(s), ce qui aurait grandement accéléré la diffusion du vaccin au sein de leur propre population ainsi que les exportations vers les autres pays pauvres. Leur demande de dérogation à certaines dispositions de l’accord de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne la « prévention, l’endiguement ou le traitement » du covid a fait l’objet d’une fin de non-recevoir de la part des pays industrialisés, au nom du respect du sacro-saint principe du système des brevets, arbitrairement présenté comme le seul mécanisme viable de financement de l’innovation médicale.

Les pays pauvres ont en quelque sorte été renvoyés vers le mécanisme COVAX, qui a l’avantage aux yeux des dirigeants occidentaux de ne pas questionner le pouvoir financier des multinationales de la recherche médicale (quand bien même les découvertes de celles-ci dépendent largement de l’investissement de ressources publiques). Un mécanisme dont la portée s’avère, pour le moment, dramatiquement réduite par le fait que ces mêmes pays qui ont contribué à COVAX ont passé des accords bilatéraux avec les laboratoires afin d’obtenir un accès prioritaire à la production.

Une plus grande cohérence vis-à-vis de leurs engagements internationaux aurait dû amener les décideurs occidentaux à mieux financer COVAX et à ne pas court-circuiter l’initiative. Plus fondamentalement, la prise à bras le corps des menaces sanitaires globales émergentes exigerait la mise en place d’une politique publique internationale de recherche et développement financée par l’ensemble des pays en fonction de leur PIB, dont les résultats constitueraient des biens publics librement disponibles. C’est précisément à cela qu’invitait le volumineux et très sérieux rapport d’un groupe d’experts mandatés par l’OMS en 2012 pour dégager des pistes de solution aux failles des mécanismes de marché dans le financement des besoins de recherche et développement en santé des pays en développement. Dans ce domaine précis comme dans celui de la lutte contre le climat et des autres menaces globales, la crédibilité du paradigme des biens publics mondiaux exige d’investir suffisamment et suffisamment tôt dans des mécanismes de coopération internationale faisant primer l’intérêt du plus grand nombre sur celui des multinationales et des


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