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Sauver l’OMC… ou répondre à l’urgence sociale et environnementale ?

Du 12 au 17 juin 2022, Genève a accueilli la douzième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’occasion de mettre l’accent sur la nécessité de « sauver » une institution engluée dans une crise qui est aussi celle de la mondialisation néolibérale. Or, les « solutions » proposées en aggraveront encore plus les conséquences, à rebours des urgences actuelles en matière de justice économique, écologique et sociale.

Version longue et actualisée d’une carte blanche parue dans Le Monde du 15 juin 2022 sous le titre « L’OMC se cantonne essentiellement à faire respecter les règles commerciales existantes ».

Pandémie de covid-19, catastrophes climatiques, guerre en Ukraine… Les crises se suivent et se ressemblent, en mettant à chaque fois en lumière la faillite complète de la mondialisation néolibérale [1]. En effet, quand celle-ci n’est pas directement à l’origine de la crise, elle en aggrave les conséquences, particulièrement pour les populations et régions les plus vulnérables de la planète.

Dans ce contexte, on pouvait se demander ce qu’il y avait à attendre de la douzième conférence ministérielle de l’OMC qui s’est tenue à Genève, du 12 au 17 juin 2022, après deux années de report pour cause de covid. Créée en 1994, l’OMC représente en effet l’une des institutions clés de la mondialisation néolibérale [2]. Non seulement parce que ses règles visent d’abord et avant tout à promouvoir la libéralisation commerciale (et les intérêts des multinationales qui en profitent), y compris au détriment de l’environnement, des droits des travailleurs ou encore du droit au développement des pays du Sud.

Mais aussi parce que l’OMC dispose pour ce faire d’une structure et d’un fonctionnement aussi efficace que souvent considéré comme opaque. Son mécanisme de règlement des différends, par exemple, en faisait encore jusqu’il y a peu une des rares institutions internationales doté d’un pouvoir de contrainte lui permettant de faire respecter ses décisions. En parallèle, l’institution est également réputée pour être particulièrement fermée à la participation de la société civile, même à titre consultatif.

Une mécanique enrayée

Et pourtant, dès 2003, la mécanique s’enraye avec l’échec du « Round de Doha », un nouveau cycle de négociations placé sous le signe du « développement », et dont l’objectif avoué était d’essayer de rééquilibrer quelque peu une institution jugée trop favorable aux intérêts des pays riches et de leurs entreprises [3]. Néanmoins, faute d’accord sur des sujets sensibles comme les échanges agricoles, l’initiative a fait long feu et l’OMC se cantonne essentiellement, depuis lors, à faire respecter les règles commerciales existantes.

Mais désormais, même cette fonction est attaquée. Ironiquement, depuis plusieurs années les États-Unis se plaignent de la façon dont la Chine (et d’autres) contournerait les règles de l’OMC, sinon toujours dans la lettre, du moins dans l’esprit. Cela expliquerait en grande partie, selon eux, la montée en puissance de l’économie chinoise et le déclin relatif de la position nord-américaine. Résultat : en attendant les réformes qu’elle appelle de ses vœux, Washington bloque le renouvellement des juges d’appel de l’organe de règlement des différends, qui se retrouve dès lors dans l’impossibilité de fonctionner [4].

Vraie crise et fausses solutions

Tout ceci place donc l’institution dans une situation de crise qu’il n’est pas exagéré de qualifier d’existentielle. Une situation qui paraît tellement insoluble, qu’en plein milieu d’une pandémie mondiale largement inédite, elle a poussé à la démission l’ancien Directeur général de l’OMC plus d’un an avant la fin de son mandat. Élue pour lui succéder, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, première femme et première africaine à occuper ce poste [5], devait donc s’employer à démêler une situation que la guerre en Ukraine est encore venue compliquer davantage.

Malheureusement, son profil « atypique » ne s’accompagne d’aucune rupture significative avec les principaux défauts de l’OMC, à commencer par l’influence démesurée des pays riches et des entreprises multinationales, ainsi que la primauté accordée aux seuls intérêts commerciaux. Au contraire même, sous couvert de « sauver l’OMC », la nouvelle Directrice générale pousse à la conclusion d’accords qui aggraveraient la situation. C’est particulièrement évident dans le domaine de la réforme de l’organisation. Les propositions sur la table visent à rompre avec le multilatéralisme et le fonctionnement par consensus, fragilisant au passage les rares « avantages » obtenus jusqu’ici par les pays en développement.

Des intérêts vitaux systématiquement ignorés

C’est d’autant plus problématique qu’en parallèle, les demandes formulées par ces mêmes pays en développement restent, elles, largement lettre morte, alors même qu’il en va souvent de questions de vie ou de mort. C’est évidemment le cas en ce qui concerne les négociations autour d’une levée temporaire des brevets dans le cadre de la lutte contre le covid-19, dans lesquelles les pays riches, à commencer par ceux qui composent l’Union européenne, affichent un cynisme proprement criminel [6]. Mais la même logique vaut également dans le domaine des stocks agricoles ou de la lutte contre la surpêche [7], où les intérêts vitaux des pays et populations les plus vulnérables sont systématiquement ignorés… avec la bénédiction d’un secrétariat visiblement obnubilé par la seule perspective d’engranger des « résultats », aussi mauvais soient-ils.

Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que lesdits « résultats » aient finalement été aussi décevants… sauf peut-être pour l’OMC, qui cherchait avant tout à éviter de répéter l’échec de la 11e conférence ministérielle de Buenos Aires, en 2017, où les États membres s’étaient quittés sur un blocage complet . Il s’en est toutefois fallu de peu pour qu’un tel scénario catastrophe (pour l’organisation) ne se reproduise, puisque, cette fois encore, les discussions étaient toujours dans l’impasse le mercredi soir alors que la conférence aurait dû se terminer ce jour-là [8].

Stop ou encore ?

Il aura donc fallu deux prolongations (jusqu’au vendredi matin), et surtout quelques libertés prises avec les règles de l’organisation [9] pour que celle-ci puisse enfin afficher un « succès » qui n’en a pourtant que le nom. En effet, les seuls « accords » conclus l’ont été sur une base extrêmement minimaliste qui laisse largement de côté les véritables enjeux [10], et pour le reste, les membres se sont simplement entendus sur des déclarations d’intentions non-contraignantes qui reportent le gros des difficultés à plus tard.

Face à un bilan aussi catastrophique, la vraie question consiste dès lors plus que jamais à se demander s’il ne faudrait pas rompre avec cette institution une fois pour toute, et enfin jeter les bases d’un nouveau système commercial international en phase avec les urgences sociales, économiques, écologiques ou encore sanitaires actuelles [11].

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Notes

[1Sur la « démondialisation » et ses enjeux, lire : F. Polet (coord.), « Démondialisation ? », Alternatives Sud, vol. XXVIII, n°2, 2021.

[2Pour plus d’informations sur les origines et les caractéristiques clés de l’OMC, voir le site du réseau altermondialiste « Our World is not for Sale » (dont le CETRI est membre) : https://ourworldisnotforsale.net/.

[3A. Zacharie, « L’OMC menacée de mort clinique », CNCD, 8 décembre 2017.

[4D. Laloy, « La cour d’appel de l’OMC paralysée », L’Echo, 8 décembre 2019.

[5À ce propos, lire : C. Leterme, « Une Africaine à la tête de l’OMC : tout changer pour que rien ne change ? », CETRI, 11 février 2021.

[6À ce propos, lire : C. Leterme, « Déception autour de l’accord sur une levée des brevets à l’OMC », CETRI, 17 mars 2022.

[7Sur toutes ces négociations, voir les analyses sur le site d’Our World is not for Sale : https://ourworldisnotforsale.net/.

[8R. Etwareea, « L’OMC joue les prolongations », Le Temps, 16 juin 2022.

[9Comme le relevait cet observateur : « En 20 ans d’expérience dans des organisations internationales, y compris en tant que cadre supérieur, je n’ai jamais vu un manque aussi grotesque de procédures appropriées. Quel sens cela a-t-il de convoquer les gens à 03h00 pour une réunion d’approbation formelle à 05h00 alors que les textes ont à peine été finalisés ? Qui a eu le temps de les étudier ? Selon les règles de l’OMC, les textes doivent être diffusés au moins 12 heures à l’avance. Personne ne devrait accepter ce qui s’est passé à l’OMC le 17 juin » (R. Hill, président de l’Association for Proper Internet Governance : www.apig.ch).

[10Par exemple, sur l’enjeu crucial des brevets dans le cadre de la lutte anti-covid, lire : I. Agazzi, « OMC : un succès en trompe l’œil », Le Temps (blog), 17 juin 2022.

[11À ce propos, voir la conférence de presse organisée par l’ONG Focus on the Global South : « Press Release : Developing Countries Should Walk Out of WTO Ministerial – Time to Start Process of Dismantling The WTO », 14 juin 2022 : https://focusweb.org/press-release-developing-countries-should-walk-out-of-wto-ministerial-time-to-start-process-of-dismantling-the-wto/.


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.

Premier jour de la 12ème Conférence ministérielle de l'OMC, Genève, 13 juin 2022
Premier jour de la 12ème Conférence ministérielle de l’OMC, Genève, 13 juin 2022

(Photo : ©WTO/Jay Louvion,
World Trade Organization
CC https://link.infini.fr/JrvrA8n1)