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Haïti

Ruée vers l’or ?

Y aurait-il enfin une bonne nouvelle pour Haïti ? La reconstruction suite au séisme du 12 janvier 2010 a échoué, mais le pays regorgerait de minéraux. L’exploitation minière serait-elle alors la solution aux malheurs des Haïtiens ?

Haïti serait assis sur une mine d’or. Ses terres recèleraient de grandes quantités d’or, de cuivre et d’argent ainsi que du pétrole. Le gouvernement mise d’ailleurs sur l’exploitation minière pour garantir des taux de croissance à deux chiffres et faire de Haïti un pays émergeant à l’horizon 2030. Le Premier ministre, Laurent Lamothe, a ainsi affirmé que « notre sous-sol est riche en minerais et qu’il est aujourd’hui opportun de les exploiter ».

Les richesses du sous-sol haïtien sont estimées à plus de 15 milliards d’euros. Dans un pays où 80% de la population vit sous le seuil de la pauvreté et où les manques de moyens de l’État sont criants, de tels chiffres laissent rêveurs. Près de 3.885 km² – principalement dans les montagnes du Nord –, soit 15% du pays, sont déjà sous concession minière. La crise mondiale, la hausse continue des prix des matières premières et l’exploitation effective des terres accessibles poussent les entreprises minières a cherché toujours plus loin – y compris dans des pays « à risque » – de nouvelles ressources. Haïti attise donc l’impatience et la convoitise de plusieurs transnationales.

Une chance pour Haïti ?

Pourtant, force est de constater que cette richesse potentielle suscite tout autant sinon plus d’inquiétudes que d’espoirs. Le manque de transparence et les soupçons de corruption tendent à hypothéquer la confiance en un processus censé bénéficier au peuple. Ainsi, le 21 décembre 2012, le gouvernement avait signé sans l’aval du parlement – ce que la loi exige – ni même l’en informer, plusieurs contrats de prospection avec des compagnies étrangères. Cela avait suscité un tel tollé que le sénat adopta une résolution pour surseoir à l’exécution de permis d’exploitation. Malheureusement, le problème est loin d’être réglé.

D’une part, la gestion du gouvernement est particulièrement opaque et sinueuse, adaptant à son gré les failles et ambiguïtés de la loi minière de 1976. Toute convention minière internationale doit passer par le parlement pour être approuvée et prendre la forme d’une loi ? Qu’à cela ne tienne, on prétendra que ces conventions sont nationales, puisque signées avec les sous-traitants haïtiens des transnationales minières, et la signature des conventions par l’Exécutif se fera par décrets – qui ont force de loi – afin de court-circuiter le parlement.

D’autre part, le mécanisme semble grevé par la corruption et par l’objectif gouvernemental « d’ouvrir Haïti aux affaires », selon le slogan du président Martelly ? Ainsi, l’un des premiers actes officiels du nouveau gouvernement aura été de destituer Dieuseul Anglade, directeur du Bureau des mines et de l’énergie (Bme) pendant près de deux décennies, qui avait une réputation d’honnêteté et s’était refusé à signer des dérogations à l’exploitation minière, estimant celles-ci illégales. Dans le même temps, l’ancien ministre des finances de Haïti de 2009 à 2011, Ronald Baudin, qui était alors en charge des négociations avec les transnationales minières Eurasian et Newmont, une fois quitté son poste, est devenu le consultant du partenariat créé par ces deux entreprises.

Enfin, la « Plate-forme de plaidoyer pour un développement alternatif » (Papda) dénonce la poursuite des exploitations minières en dépit de l’interdiction du sénat. Et, de manière générale, elle pointe du doigt le manque de régulation et de suivi : « Le Bme n’a pas les moyens de superviser les différentes zones, ni de techniciens et de géologues suffisamment qualifiés pouvant contrôler les fouilles et vérifier les trouvailles de ces compagnies ».

Un « modèle » de développement

L’histoire du pays et le mode de production des industries minières justifient la méfiance des Haïtiens. Fred Doura (Haïti, Histoire et analyse d’une extraversion dépendante organisée) a qualifié l’économie haïtienne d’« extraversion dépendante organisée ». Elle se caractérise par la présence d’enclaves déconnectées de l’économie locale, orientées vers l’exportation et directement dépendantes du marché mondial par le biais d’un ou de centre(s) (principalement ici les États-Unis). Tandis que les richesses quittent le pays, le rôle de Haïti se réduit à celui de sous-traitant : pourvoyeur de matières premières et de main-d’œuvre bon marché. D’où la crainte de voir se reproduire la « malédiction des ressources », qui illustre le paradoxe de peuples pauvres vivant dans des pays riches.

L’exploitation minière est une activité intensive menée par des géants économiques. Source de conflits, elle est extrêmement polluante et nécessite en outre énormément d’eau. Qui plus est, l’expérience passée de la Newmont, l’une des transnationales actives à Haïti, n’encourage pas à la confiance. Au Pérou, l’entreprise exploite l’une des plus grandes mines d’or au monde – Yanacocha – dont l’expansion avait soulevé une levée de boucliers. C’est que loin de représenter un modèle de responsabilité sociale, Newmont est surtout connu pour ses violations de droits humains, la contamination de l’eau et son mépris des impacts négatifs dont elle est à l’origine (« Conflits miniers et scénario de transition : le cas péruvien », Alternatives Sud, Industries minières : extraire à tout prix ?, 2013, pages 67-80).

Au regard de l’orientation ultra-libérale du gouvernement haïtien et de ses relations internationales, il semble que cette nouvelle priorité donnée à l’exploitation minière participe d’une stratégie plus générale de « reconstruction » du pays après le séisme du 12 janvier 2010. S’y articuleraient les zones franches, les politiques d’encouragement aux investissements et les programmes humanitaires, en remplacement de politiques sociales. Lors d’une conférence à Haïti, le co-auteur de Paradis sous-terre, le Québécois Alain Deneault, s’est ainsi demandé si les déclarations fracassantes du ministre canadien de la Coopération internationale, Julian Fantino, annonçant début 2013 que l’aide canadienne à Haïti a été inefficace et que les nouveaux projets de développement devaient être gelés « sont sans rapport avec des contrats d’exploration ou d’exploitation de mines dans le Nord qui ont été signés avec des sociétés minières récemment » ?

Changer de paradigme

Alors que le gouvernement se débat pour attirer les investissements internationaux et assurer un cadre économique favorable aux affaires, les revendications paysannes sont toute autres. Du 17 au 22 mars 2013 se tenait à Hinche, dans le centre du pays, le congrès du 40ème anniversaire du Mouvement paysan papaye (MPP), l’une des deux organisations haïtiennes membres du réseau international Via Campesina. Les 1.800 délégués présents ont appelé à la mise en place d’une réforme agraire intégrale et à la défense de la souveraineté nationale. Ils se sont également déclarés « contre les projets de cession des terres du pays, en particulier les projets d’exploitation des ressources minières ».

Deux modèles antagonistes se font face. Celui basé sur l’extraction intensive de matières premières non ou peu transformées, destinées principalement à l’exportation, et celui de l’agriculture paysanne centrée sur une production et consommation alimentaires locales. Le premier a été l’option historique choisie par l’oligarchie haïtienne et encouragée par la libéralisation du marché. Le deuxième est d’abord porté par « le pays en-dehors » : les paysans, traditionnellement marginalisés, qui représentent 47% de la population. En ce sens, les ressources minières constituent le nouveau terrain d’affrontement de ces deux modèles qui se sont toujours affrontés à Haïti.

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