• Contact
  • Connexion

Retour de la compétition géopolitique en Afrique

L’Afrique est le théâtre de rivalités accrues entre puissances, déclinantes et ascendantes, pour l’accès aux ressources naturelles, aux marchés, à l’influence diplomatique et culturelle. Les pays africains sont eux-mêmes acteurs, individuellement et collectivement, de ces recompositions. Mais les nouvelles alliances contribuent-elles à la diversification des économies et au recul de la pauvreté ou reproduisent-elles les logiques extractivistes ?

L’histoire des relations entre l’Afrique et le monde semble s’être accélérée au début des années 2020. Trois développements récents illustrent plus particulièrement ce qui s’apparente à une « désoccidentalisation géopolitique » du continent. Le premier et le plus spectaculaire est l’éviction sécuritaire et diplomatique de la France du Sahel par effet domino, sous la pression de juntes militaires au Mali (2022), au Burkina (2023) et au Niger (2024), où les nouveaux dirigeants nationalistes ont rompu avec Paris pour s’allier à la Russie, à la demande surprise d’un président arrivé au pouvoir par un coup d’État constitutionnel au Tchad (2025), sous l’impulsion d’un président souverainiste élu démocratiquement au Sénégal (2025).

Un autre épisode du reflux de l’influence occidentale sur l’Afrique s’est joué à New York en mars 2022, lorsque dix-sept nations africaines ont refusé de condamner l’invasion russe de l’Ukraine aux Nations unies, contrariant la stratégie euro-américaine de formation d’un front international uni en vue d’isoler Vladimir Poutine. La déconnexion africaine du pôle occidental se confirme l’année suivante à Johannesburg, lors du Sommet annuel des BRICS. L’adhésion de l’Égypte et de l’Éthiopie, ainsi que l’intérêt exprimé par plusieurs gouvernements africains pour rejoindre cette alliance, témoignent de l’attractivité croissante de ce bloc géopolitique « alternatif » et de l’ordre multipolaire qu’il promeut.

Ces faits géopolitiques importants attestent du processus de redistribution des influences en cours sur le continent dans le contexte des mutations du système international. C’est aux ressorts de ces reconfigurations qu’est consacrée cette livraison d’Alternatives Sud. L’Afrique est en effet un théâtre majeur de la rivalité stratégique de plus en plus ouverte qui oppose l’Europe à la Russie, les États-Unis à la Chine. Indubitablement, le continent est pris dans les nouvelles formes d’alignement provoquées par « la recomposition de représentations du monde binaires, travaillées politiquement par des acteurs aspirant à jouer un rôle de leadership parmi les « Suds » ou à s’attirer le soutien de ce que les autorités russes appellent désormais la « majorité mondiale » contre « l’Occident » » (Allès, 2024). L’arrivée au pouvoir de Trump change certes radicalement la politique africaine de Washington, mais ne met pas en cause la priorité stratégique bipartisane de l’endiguement de l’influence chinoise, dans cette partie du monde comme ailleurs.

Pour autant, et à la différence de la guerre froide, la compétition géopolitique dont fait l’objet le continent n’est pas réductible aux agendas des grands : des puissances moyennes, notamment moyen-orientales, y développent une influence multiforme, jouant leur propre partition diplomatique en fonction de leurs intérêts nationaux. La prolifération depuis les années 2010 des sommets « Afrique + 1 » (UE-Afrique, Chine-Afrique, Russie-Afrique, Turquie-Afrique, Émirats-Afrique, etc.) est un indicateur de la surenchère diplomatique pour l’attention et les faveurs des pays africains.

L’expression de « nouvelle ruée vers l’Afrique » est régulièrement utilisée pour décrire la vigueur de ces convoitises. [1] L’image est évocatrice, mais comme le notent Abrahamsen, Chimhandamba et Chipato dans leur contribution à cet Alternatives Sud, elle ne rend que partiellement compte de ce qui se joue dans les rapports entre l’Afrique et le reste du monde, en laissant supposer que le continent est l’objet passif de menées externes.

Or, les États Africains entretiennent un rapport actif à leur environnement international, en dépit de leurs faiblesses et de leurs dépendances. Ils doivent être envisagés comme des protagonistes des recompositions géopolitiques en cours, la diversification des partenariats avec des acteurs externes leur fournissant de nouvelles ressources et marges de manœuvre. Cette capacité d’action africaine se décline sur le mode de l’action collective, à travers l’Union africaine essentiellement, qui s’efforce tant bien que mal de formuler et faire entendre les revendications africaines dans les enceintes multilatérales.

De l’oligopole des bailleurs au retour de la compétition géopolitique

Le regain d’intérêt pour l’Afrique auquel nous assistons succède à une période de marginalisation internationale du continent, entre la fin de la guerre froide et les années 2000. Cette phase est marquée par les crises économiques, les conflits, la faillite des États et la dévaluation géopolitique d’une région qui n’a plus la même importance stratégique dans le nouvel ordre mondial unipolaire. Une rivalité latente oppose bien les États-Unis, qui ont sonné la fin des chasses gardées postcoloniales, et la France, mais dans l’ensemble, le continent est l’objet d’interventions (militaro-)humanitaires davantage que d’investissements diplomatiques ou économiques.

Symptôme de ce désintérêt relatif, les montants de l’aide publique au développement baissent au cours des années 1990. Les rapports interétatiques du continent au reste du monde se résument alors pratiquement aux relations asymétriques qu’il entretient avec ses créanciers – pays occidentaux et institutions financières (FMI et Banque mondiale) dominées par ceux-ci. Cet oligopole de bailleurs de fonds partage une même vision libérale des problèmes de l’Afrique, et subordonne ses aides et allégements de dette à l’application de réformes économiques et de gouvernance.

La Chine est le premier pays émergent à s’interposer dans ce face-à-face Afrique-Occident. Un « retour », au milieu des années 1990, d’abord dicté par ses priorités économiques : importer des ressources naturelles (pour nourrir son appareil industriel en plein essor) et exporter sa production bas de gamme vers de nouveaux marchés. Pékin instaure un modèle de coopération taillé pour ses besoins – des prêt financiers et la construction d’infrastructures contre un accès à long terme aux gisements africains –, sous le regard sourcilleux des pays occidentaux.

Depuis, la croissance des échanges commerciaux sino-africains a été vertigineuse : + 2100% entre 2002 et 2022. Dès 2013, la Chine devient le premier partenaire commercial du continent (Moses et al., 2024). Elle est également désormais son premier créancier bilatéral, quoique ses prêts aient fortement diminué après le pic de 2016. La hausse du prix des matières premières liée à la demande chinoise sera le principal facteur de l’envolée de la croissance africaine au début des années 2000 et de la vague d’afro-optimisme qui s’empare bientôt des investisseurs globaux.

L’expansion chinoise en Afrique engage d’emblée des considérations géopolitiques, mais cette dimension gagne en centralité après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 et l’adoption d’une politique étrangère plus assertive. Les effets de la crise financière de 2008-2011 et le désinvestissement occidental persistant sur le continent sont alors perçus comme des « opportunités stratégiques », aux yeux du Parti communiste, pour arrimer politiquement l’Afrique à la Chine. À côté des financements et des tournées diplomatiques, cet effort de cooptation est servi par l’inclusion du continent au réseau mondial d’infrastructures des nouvelles routes de la soie.

Géraud Neema constate dans ce livre que la « diplomatie du chéquier » s’est traduite par le soutien des pays africains dans les enceintes multilatérales sur des enjeux essentiels pour Pékin, en particulier le principe d’« une seule Chine ». Le ralentissement économique chinois et les niveaux d’endettement des pays africains ont certes entraîné une nette baisse de cet engagement financier depuis la fin des années 2010 mais, comme le note le même auteur, le Sommet Chine-Afrique de 2024 montre que les attentes d’une adhésion de l’Afrique à la stratégie chinoise de révision de l’ordre mondial n’ont pas diminué, que du contraire.

Les ressorts du réengagement de la Russie en Afrique sont plus directement géopolitiques et s’inscrivent dans la stratégie contre-hégémonique esquissée par Vladimir Poutine lors de son discours de Munich en 2007 contre « l’unipolarité » du monde. Continent délaissé du nouvel ordre international, l’Afrique peut potentiellement servir de levier à l’avènement du monde multipolaire souhaité par le président russe. L’annexion de la Crimée en 2014 et les tensions avec l’Europe et les États-Unis qui s’ensuivent accélèrent le déploiement de la politique africaine de Moscou, dont le principal vecteur est la mise à disposition de ressources sécuritaires.

Le Kremlin s’efforce en effet de capitaliser politiquement sur son rôle de premier fournisseur d’armes au continent, en multipliant les accords de coopération militaire et en renforçant ses liens avec ses principaux clients (Algérie, Égypte, Soudan, Zimbabwe, Angola, etc.) (Vigne, 2018). Il propose également une série de services sécuritaires aux régimes africains aux abois en valorisant sa « carte de visite syrienne » (Delanoë, 2023). Cette activité est sous-traitée officieusement à des milices paramilitaires semi-privées (à commencer par Wagner, devenu Africa Corps en 2023), d’abord en Centrafrique, puis au Soudan, en Lybie, au Mozambique, au Mali, au Burkina, plus récemment au Niger et en Guinée équatoriale.

Le basculement des trois pays sahéliens (Mali, Burkina Faso, Niger) dans son orbite constitue la principale percée diplomatique russe sur le continent, au détriment de l’influence française. Comme l’indique Folashadé Soulé dans sa contribution, la Russie a profité de l’enlisement de la campagne anti-djihadiste, des divergences entre soldats sahéliens et français sur la bonne stratégie à adopter face aux insurgés et d’un rejet populaire de la présence militaire française… que les Russes ont eux-mêmes attisé. Les exercices navals conjoints avec l’Afrique du Sud un an après l’invasion de l’Ukraine, les nombreuses visites de dignitaires africains à Moscou ou encore les abstentions de pays africains lors des votes à l’ONU condamnant l’invasion de l’Ukraine sont d’autres manifestations de l’empreinte géopolitique croissante de la Russie en Afrique.

Néanmoins, cette dernière ne doit pas être exagérée. La faible densité des relations économiques russo-africaines [2] et la crainte des États africains de perdre l’accès aux financements occidentaux constituent des freins à l’expansion diplomatique russe sur le continent, d’autant que Moscou a des priorités sur d’autres théâtres. En outre, l’incapacité de l’armée russe à empêcher la chute de Bachar el Assad en décembre 2024 (puis les bombardements de l’Iran six mois plus tard) a écorné l’image d’alternative sécuritaire fiable cultivée par Moscou et fragilisé sa position dans les capitales sahéliennes (Le Monde, 20 décembre 2024).

Les Russes et les Chinois ne sont du reste pas les seuls à ravir des parts du marché africain aux pays occidentaux, des puissances moyennes y développant une diplomatie active et remarquée. L’Inde, par exemple, voit dans son engagement en Afrique un adjuvant dans sa quête inachevée du statut de grande puissance, en plus d’un investissement pour contrebalancer l’influence du rival chinois sur le continent (et ses votes). New Delhi peut s’appuyer pour ce faire sur une relation commerciale dynamique (+18% par an depuis 2003) qui la place au rang de 3e partenaire commercial du continent après l’UE et la Chine, de même que sur l’importance de sa diaspora, l’insertion des entreprises indiennes dans le tissu économique africain, le dynamisme de sa coopération technique, notamment en matière de diffusion de technologies accessibles (paiements mobiles, énergies renouvelables, vaccins).

Sur le plan diplomatique, les Indiens se prévalent d’avoir obtenu l’inclusion de l’Union africaine en tant que membre à part entière du G-20, à la faveur du Sommet de New Delhi en 2023. Avec comme contrepartie attendue que les pays africains soutiennent la candidature de l’Inde au Conseil de sécurité des Nations unies, un objectif officiellement formulé par Narendra Modi lors d’un discours devant le parlement ougandais cinq ans plus tôt (Nantulya, 2024).

Mais le développement le plus sous-estimé en matière de géopolitique africaine en ces temps de nouvelle guerre froide réside dans la présence croissante et protéiforme des nations moyen-orientales – Turquie, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Qatar, Iran – sur le continent. Si les ressorts de leur investissement sont tout à la fois économiques, politiques, sécuritaires et culturels, l’objectif d’affirmation de leur rôle de puissance régionale ascendante semble prédominer.

Mesut Özcan et Mehmet Köse reviennent dans cet Alternatives Sud sur la trajectoire et les motivations de l’expansion turque en Afrique. L’ouverture de dizaines de nouvelles ambassades et le nombre, sans égal pour un chef d’État non africain, de tournées sur le continent de Recep Tayip Erdogan, traduisent avant tout la quête de statut de puissance incontournable sur la scène mondiale. Ce dynamisme, relativement récent, s’inscrit cependant dans la continuité des principes qui guident la diplomatie turque depuis les indépendances africaines, soit la volonté d’autonomie vis-à-vis des « alliés » occidentaux et la recherche de débouchés économiques pour l’industrie nationale.

Pour rester dans le domaine économique, le rôle financier de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis en Afrique concurrence désormais celui des grandes puissances. Les Émirats, en particulier, ont récemment annoncé près de cent milliards de dollars d’investissement dans les énergies renouvelables, les ports, les mines, l’agriculture, les infrastructures et le bâtiment (Pilling et al., 2024). Ces engagements s’inscrivent dans une stratégie de diversification économique et de renforcement de la sécurité alimentaire, mais ils sont également un vecteur d’influence géopolitique et sécuritaire. Les dizaines de milliards de dollars destinés à l’Égypte ont pour objectif de stabiliser économiquement un régime, celui d’Al-Sissi, considéré comme un rempart contre l’expansion de la force politique la plus crainte par Abou Dhabi, l’islam politique des frères musulmans. [3]

Les Émirats s’emploient également à renforcer leurs positions africaines en appuyant, plus ou moins clandestinement, des parties impliquées dans des conflits internes en Lybie, en Éthiopie, au Soudan, en Somalie, au risque d’aggraver ou de faire perdurer les violences. Husam Mahjoub s’intéresse plus particulièrement dans ces pages à la manière dont Abou Dhabi s’est immiscé dans la guerre civile qui déchire le Soudan depuis 2023, en soutenant les Forces de soutien rapide, une milice paramilitaire soupçonnée de crimes de guerre et de nettoyage ethnique à une échelle telle que les Nations unies s’alarment de l’existence d’un risque « très élevé » de génocide (Le Monde, 23 juin 2025).

Plus généralement, l’Afrique du Nord et la Corne de l’Afrique apparaissent comme le théâtre des affrontements par procuration que se livrent les puissances proches et moyen-orientales engagées dans la course à la domination régionale – la Turquie et le Qatar s’y mesurent à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, l’Iran à l’Arabie saoudite, la Turquie à l’Iran, l’Arabie saoudite aux Émirats, etc.

Si, au début de l’année 2025, la France est toujours occupée à tirer les leçons de sa déroute sahélienne, les puissances occidentales ne restent pas passives face à l’affirmation de ces nouveaux compétiteurs au sud de la Méditerranée. En témoigne le lancement en 2022 de l’initiative Global Gateway, un programme européen d’investissement à grande échelle dans les infrastructures des pays du Sud ayant pour objectif avoué de répondre aux nouvelles routes de la soie, entre autres sur le continent africain. L’enjeu est à la fois de (re-)connecter l’Afrique et ses ressources aux chaînes de valeur contrôlées par l’Europe et de reconquérir le terrain perdu sur le plan géopolitique face à la Chine et à la Russie, en augmentant le montant des engagements financiers, mais aussi en communiquant mieux sur les investissements et l’aide en provenance de l’Union et de ses États membres (Teevan et al., 2022).

Les États-Unis ont plus explicitement encore fait de l’endiguement de l’influence chinoise un axe officiel d’une politique africaine… que l’administration Trump est occupée à désosser dans le cadre d’une « réorganisation structurelle totale » du département d’État en vue d’un alignement sur la doctrine de « l’Amérique d’abord » (La Croix, 20 avril 2025). Cette réduction de la surface diplomatique états-unienne est supposée être compensée par la conclusion d’accords bilatéraux au cas par cas, visant à garantir l’accès des entreprises américaines aux minéraux critiques. Une stratégie expérimentée en Afrique centrale, où les États-Unis s’efforcent de réconcilier la RDC et le Rwanda après avoir promis d’investir six milliards de dollars dans les infrastructures de transport reliant la région cuprifère du Congo au port de Lobito en Angola. La « bataille des corridors » en Afrique ne fait que commencer (Vircoulon, 2024).

Déploiement d’un soft power post-occidental

Un trait commun à l’ensemble des concurrents des pays occidentaux est de légitimer leur expansion sur le continent par la mise en avant de l’absence de compromission coloniale en Afrique, virginité historique qui serait la garantie d’une relation d’une autre nature, d’une coopération Sud-Sud plus « respectueuse », « équitable », « fraternelle », orientée « gagnant-gagnant », que celle que les États africains entretiennent avec les anciennes métropoles, aux visées irrémédiablement « néocoloniales ».

Cette rhétorique s’accompagne de la mobilisation de références narratives autour de la condition commune d’ex-nations colonisées et des solidarités historiques, bien réelles mais magnifiées, dans les luttes pour l’indépendance et contre l’apartheid. Russes et Chinois recourent abondamment à ce répertoire, c’est connu, mais c’est également le cas des Turcs, dont le président répète à l’envi lors de ses déplacements africains que « la Turquie, héritière de la Sublime Porte, n’a jamais colonisé » (Özcan et Köse dans cet Alternatives Sud), tandis que les Indiens n’hésitent pas à rappeler l’activisme de Gandhi ou de Nehru pour la « libération du continent » (Nantulya, 2024).

Ces stratégies discursives sont d’autant plus efficaces qu’elles se déploient dans un contexte que l’on peut qualifier de « fatigue de l’Occident » sur le continent africain. La défiance est spécifiquement forte en Afrique francophone, traversée par une vague d’aspiration souverainiste face à la perception d’une tutelle économique, monétaire, militaire et politique française, et plus particulièrement au Sahel, où la présence de l’armée française dans le cadre d’une crise sécuritaire sans fin a de plus en plus été vécue comme une occupation.

Folashada Soulé le montre bien dans son article, les manifestations contre la présence militaire française et pour une intervention de la Russie, qui ont préparé le terrain aux coups d’États, ont été « fortement influencées par ce que certains désignent comme l’œuvre d’une « russosphère » en Afrique », à savoir un dispositif d’influence informationnelle anti-France multiforme orchestré par la Russie et ses relais sur les réseaux sociaux africains (Audinet et Limonier, 2022).

Néanmoins, et au-delà de l’ex-pré carré français, le déclin de la légitimité des pays occidentaux sur lequel prospèrent les stratégies de ses concurrents est indissociable de l’approfondissement des conditionnalités politiques, de plus en plus vécues comme une dépossession de souveraineté et la manifestation d’un « impérialisme moral » (Olivier de Sardan, 2022). Il résulte aussi de l’impression générale d’une hypocrisie des « anciens colons » en matière de principes humanistes, dans le contexte des politiques migratoires, de la course aux vaccins contre le covid ou des guerres « oubliées » d’Afrique.

Dans le chef de la Chine et de la Russie surtout, le dénigrement de « l’Occident collectif » va de pair avec la promotion de systèmes politiques alternatifs à celui de la démocratie libérale, qui ont un potentiel de séduction non négligeable sur les élites africaines.
L’expression de « consensus de Pékin » (par opposition au « consensus de Washington ») émerge au milieu des années 2000 pour qualifier les stratégies de développement « à la chinoise », mettant l’accent sur la non-ingérence (absence de conditionnalité) et la priorité au développement de l’appareil productif par rapport aux enjeux de démocratisation.

Cette stratégie de diffusion de normes mondiales s’est affirmée au début des années 2020 dans le cadre des trois initiatives globales chinoises (développement, sécurité et civilisation) visant à supplanter le modèle occidental à vocation universaliste (Kewalramani, 2024). L’objectif d’alignement des leaders africains sur ce projet de gouvernance mondiale sino-centré était au cœur du sommet Chine-Afrique de 2024 pour « la construction conjointe d’une communauté Chine-Afrique d’avenir partagé en toute saison pour une nouvelle ère » (voir article de Neema).

Le développement d’une influence idéologique en Afrique passe également par le recours aux registres civilisationnel, identitaire et religieux. C’est avec un succès indéniable que la Russie s’est érigée en défenseuse mondiale des valeurs traditionnelles et familiales face à ce que beaucoup d’Africain·es considèrent comme une offensive culturelle occidentale d’exportation de normes (féminisme, droits LGBTQI) contraires aux « valeurs africaines » (Banégas et al., 2024). L’objectif est de creuser un fossé culturel et politique entre les pays africains (et le « Sud global » en général) d’un côté et les États-Unis et l’Europe de l’autre (Mandaville, 2022).

Du côté des puissances émergentes musulmanes, les références à l’islam occupent une place de choix dans les efforts de séduction des pays africains par les pays du Proche et du Moyen-Orient. L’Arabie saoudite a dans ce domaine un avantage comparatif sans égal, qu’elle tire de l’influence grandissante de son réseau d’institutions religieuses sur le type d’islam pratiqué en terre africaine. [4]
Le développement d’un soft power en contexte africain dépend aussi plus classiquement de l’ouverture de représentations diplomatiques – le nombre d’ambassades est passé en peu d’années d’une poignée à plusieurs dizaines s’agissant de la Turquie, du Qatar, des Émirats ou de l’Inde, alors que les États-Unis s’apprêtent à fermer la majorité des leurs sur le continent –, le financement de projets de développement et humanitaires (versus le démantèlement de la coopération états-unienne) et le déploiement d’une coopération culturelle et éducative multiforme.

C’est ce dont il est question dans l’article de Mesut Özcan et Mehmet Köse, qui évoquent la dissémination des écoles Maarif, destinées à faire rayonner la langue et la culture turques, et la distribution de milliers de bourses aux étudiant·es africain·es, qui ont contribué à faire de la Turquie une destination privilégiée, tandis que se restreignent les possibilités d’accès aux études en Europe sous l’effet des politiques migratoire et d’austérité.

La sphère médiatique africaine n’est logiquement pas épargnée par ces luttes d’influence, dont on a déjà évoqué la vigueur sur les réseaux sociaux. La Chine et la Russie en particulier travaillent à réduire l’audience des chaînes occidentales (BBC, TV5 Monde, RFI...) au profit de leurs propres canaux (Russia Today, Sputnik, CGTN) ou de médias « panafricains » qu’elles influencent. Comme le constate Géraud Neema, « Pékin mobilise plusieurs leviers : la formation de journalistes africains, la fourniture de contenus aux médias locaux et l’expansion de ses propres organes, tels que l’agence Xinhua et la China Global Television Network (CGTN) » (Neema, 2025).

Les publics d’Afrique du Nord sont par ailleurs depuis longtemps l’objet d’une concurrence entre les très géopolitiquement marquées Al Jazeera (contrôlée par le Qatar) et Al Arabyia (contrôlée par l’Arabie saoudite). On notera aussi le lancement en 2019 par l’Iran de Hausa TV, adressée aux 50 millions de locuteur·trices haoussa d’Afrique de l’Ouest (Bouvier, 2024), et celui en 2023 de la chaîne TRT Africa par le radiodiffuseur public turc, accessible en français, anglais, haoussa et swahili, avec comme but affiché de « proposer un narratif différent de celui des chaînes occidentales sur le continent » (www.agenceecofin.com, 3 avril 2023).

Marges de manœuvre et capacité d’action africaine

Plusieurs auteur·trices de cette livraison d’ Alternatives Sud dénoncent les biais de la discipline des relations internationales dans son approche des rapports entre l’Afrique postcoloniale et le reste du monde. Les pays africains ont trop longtemps été présentés comme les « objets », les « cibles » ou les « terrains » de stratégies d’alliance impulsées par des puissances extérieures au continent. Contre cette approche occidentalo-centrée, Rita Abrahamsen, Barbra Chimhandamba et Farai Chipato soulignent « l’importance de la capacité d’action africaine, entendue au sens large de pouvoir et d’influence que plusieurs acteurs du continent ont mis en œuvre sur la scène internationale ». C’est dans ce souci de restitution de l’« agentivité » des acteurs locaux que Folashadé Soulé revient dans ces pages sur les points de vue des responsables politiques et militaires sahéliens sur les enjeux et risques de la stratégie de diversification partenariale en matière sécuritaire.

Cette approche par le pouvoir d’action est d’autant plus nécessaire que l’apparition d’une nouvelle offre de soutien de la part d’acteurs émergents engendre une situation concurrentielle qui renforce les marges de manœuvre des États africains pour (re-)négocier les termes de leurs relations avec le reste du monde. Ce nouveau contexte replace les leaders africains dans la configuration qui prévalait durant la guerre froide, dans laquelle ils pouvaient monnayer leur maintien dans le camp du « monde libre » ou du bloc socialiste.

Cette stratégie de mise en concurrence est sous-jacente à la déclaration du président congolais Étienne Tshisekedi, déçu du manque de soutien occidental dans le conflit avec le Rwanda, selon laquelle « [la] Russie et la Chine en Afrique se comportent mieux que les Occidentaux. Ils ne prétendent pas nous faire la morale. » (LCI, 4 mai 2024). Elle motive également les pressions du même Tshisekedi sur Pékin pour renégocier les contrats miniers, signés sous son prédécesseur, en vue d’un partage plus équilibré des revenus du cuivre et du cobalt entre les sociétés chinoises et l’État congolais. Ou encore son passage, à quelques mois d’intervalle, à Doha et Abou Dhabi, afin de faire jouer les rivalités entre monarchies du Golfe en matière d’investissements (Battory et Vircoulon, 2024).

C’est avec cet objectif de se redonner un poids géopolitique aux yeux des pays occidentaux que beaucoup de pays africains envisagent le rapprochement avec les BRICS ou la signature d’accords militaires avec la Russie, la Chine ou la Turquie. Les États africains sont donc des acteurs proactifs de la transformation de leur environnement international dans le sens d’une plus grande concurrence, plutôt que les jouets de la compétition entre puissances impériales ascendantes ou déclinantes. Pour une majorité de ces États, et à l’instar de la plupart des États du Sud global dans le fond, le repositionnement géopolitique en cours tient du « multi-alignement » et de l’exploitation pragmatique de la diversification des fournisseurs d’appui économique et militaire plutôt que du retournement d’alliance et du réalignement sur un camp ou un autre.

Mais la capacité d’action africaine est également une capacité d’action collective sur la scène internationale. Elle s’exprime essentiellement à travers l’Union africaine, qu’Abrahamsen, Chimhandamba et Chipato analysent à l’aune de l’ambition de ses créateurs d’en faire l’instrument de la concrétisation du projet panafricain. Faut-il le rappeler, cette idéologie politique émancipatrice née dans l’espace américain-caribéen est au fondement de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1964, que son principal architecte, le président ghanéen Nestor Nkrumah, envisageait comme les prémices des États-Unis d’Afrique.

La fondation de l’Union africaine sur les cendres de l’OUA en 2002 visait à redynamiser ce projet d’union politique africaine, dans la foulée de la fin de l’apartheid, afin que l’Afrique puisse « prendre la place qui lui revient de droit dans les affaires internationales », pour paraphraser le président sud-africain Thabo Mbeki. La nouvelle organisation associait les ambitions d’intégration continentale et d’affirmation mondiale à la promotion des idéaux de démocratie et de droits humains, les trois objectifs devant se renforcer mutuellement.

Les mêmes auteur·trices tirent un bilan contrasté des vingt premières années d’existence de l’Union africaine. Ils et elle présentent comme des avancées incontestables l’adoption de « positions africaines communes » aux Nations unies, notamment en matière de réforme du Conseil de sécurité (consensus d’Ezulwini), la création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), l’adoption de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, le renforcement de l’architecture africaine de paix et de sécurité selon le principe « des solutions africaines aux problèmes africains » ou encore la coordination des réponses nationales à la pandémie du covid. On peut également mettre à l’actif de l’organisation régionale la lente émergence d’une diplomatie environnementale coordonnée en matière climatique, dont Moïse Tsayem s’emploie à décrire les contours et les contraintes dans sa contribution.

Néanmoins, Rita Abrahamsen et ses collègues portent un regard lucide sur les limites de l’organisation régionale. Elle et ils constatent des régressions préoccupantes, dans ces mêmes domaines où des progrès ont été accomplis. En matière de promotion de la démocratie et des droits humains, l’organisation « semble avoir abdiqué son intransigeance face aux coups d’État et aux changements anticonstitutionnels de pouvoir » qui se sont multipliés sur le continent. Sur le front de la paix et de la sécurité, l’ambition de l’Union de « faire taire les armes » n’a jamais paru si ambitieuse, étant donné le nombre et la violence meurtrière des conflits. Illustration cruelle de cette impotence : si la RDC et le Rwanda viennent de signer un accord de paix préliminaire à l’heure où nous bouclons cet Alternatives Sud, c’est dans un cadre non africain, sous la houlette des administrations américaine et qatarie, après trois ans de négociations stériles à l’échelle régionale.

Enfin le contexte d’un système international en voie de multipolarisation constitue un sérieux défi à l’affirmation d’un agenda africain en réponse aux grands enjeux mondiaux, malgré une reconnaissance internationale croissante de l’importance géopolitique du continent. Cette difficulté à parler d’une seule voix se manifeste dans le rôle mineur joué par l’Union africaine dans les sommets « Afrique + 1 », où prédominent les négociations bilatérales avec chaque chef d’État africain (Tevoedjre, 2023). Elle est clairement apparue dans le cadre du conflit russo-ukrainien, face auquel le continent n’est pas parvenu à être le pôle de stabilité qu’il ambitionnait d’être, les actions de l’Union s’étant avérées « au mieux ambiguës, révélatrices d’un exercice d’équilibre presque impossible consistant à satisfaire à la fois les partisans africains de Moscou, les pays opposés à la guerre et les pays attachés à la neutralité » (Abrahamsen et al.). ?

Elle s’est aussi manifestée lors de l’offensive israélienne sur Gaza, selon Patrick Bond, dont nous reproduisons un entretien dans cette livraison, où « l’on a vu comment les pays africains ont été divisés et manipulés sur la question du soutien à Israël, certains ayant été littéralement achetés par Tel-Aviv ». Au demeurant, une grande part des difficultés de l’organisation régionale réside dans la « crise de mise en œuvre » de ses résolutions, qui restent souvent lettre morte du fait de l’absence de volonté politique des États membres, des rivalités entre ces derniers et de la dépendance de l’institution vis-à-vis des financements étrangers. [5]

Du néocolonialisme au sous-impérialisme ?

Si les recompositions géopolitiques qui nous intéressent n’ont manifestement pas contribué à la démocratisation et à la pacification du continent, les reconfigurations géoéconomiques qui les accompagnent ont-elles modifié la trajectoire de développement des pays africains, dans le sens d’une insertion plus avantageuse dans la mondialisation ? Se présentant comme plus pragmatiques et respectueuses des souverainetés, les nouvelles coopérations « Sud-Sud » charrient en effet des promesses de transformation économique et d’industrialisation, à une époque où nombre de chefs d’État africains placent l’objectif de transformation des ressources naturelles en bonne place dans leurs stratégies de développement.

Plusieurs émergents prétendent donc contribuer à extraire les pays africains du rôle de fournisseurs de matières premières dans lequel le « néocolonialisme » des pays occidentaux les enferme depuis les indépendances. Le concept de « modernisation », mentionné à treize reprises par Xi Jinping dans son discours aux chefs d’État africains réunis lors du sommet Chine-Afrique de 2024, renvoie ainsi au « droit de s’industrialiser » en fonction de son propre contexte culturel, historique et social, soit en dehors de standards occidentaux, comme l’a fait la Chine (voir la contribution de Neema).

En d’autres termes, si elle a indubitablement contribué aux taux de croissance africains de ces vingt dernières années, la densification des relations économiques avec les émergents a-t-elle pour autant été le vecteur d’une diversification des économies africaines, de transferts de technologie et de savoir-faire, de création d’activités à forte valeur ajoutée et/ou à forte intensité de main-d’œuvre, plus résistantes aux chocs internationaux ? La masse des prêts et investissements des émergents se sont concentrés dans les secteurs des infrastructures, des ressources naturelles et de l’énergie, dans une moindre mesure de la construction et des télécommunications. Les carences en infrastructure et en énergie sont effectivement des freins aux processus d’industrialisation. Mais ces effets positifs, ainsi que les investissements chinois dans l’industrie manufacturière africaine, réels bien que limités en dehors du cas spécifique de l’Éthiopie, ont-ils contrebalancé les innombrables faillites entraînées par la concurrence des produits chinois à bas prix ?

La réponse de Patrick Bond est tranchée. « [L]es BRICS n’ont pas changé la division internationale du travail ni cherché à réformer les institutions multilatérales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC. J’irais même jusqu’à dire que les BRICS ont amplifié ces problèmes. […] Les projets d’infrastructure financés par la Chine en Afrique ne sont pas pensés pour le développement du continent, mais pour accélérer l’extraction des ressources au profit des entreprises chinoises. […] en Afrique, on exporte des matières premières vers la Chine et on importe des produits manufacturés, comme le veut la vieille logique néocoloniale […] De la même façon, les mercenaires russes ou les conglomérats indiens comme Vedanta exploitent le continent comme le faisaient (et le font toujours) les entreprises occidentales. »

Les BRICS développent donc, selon Patrick Bond, une stratégie « sous-impérialiste » dans leurs sphères d’influence respectives. Le même concept de sous-impérialisme est utilisé par Husam Mahjoub dans sa contribution pour décrire l’action des Émirats arabes unis en Afrique. Les investissements de ces derniers dans les ports, les terres et les mines africaines visent à renforcer les positions de leurs entreprises et fonds souverains dans les chaînes de valeur qui structurent l’exploitation capitaliste du continent, sans favoriser la diversification des économies des pays concernés.

L’expansion émiratie montrent également combien le rôle des investisseurs non occidentaux est problématique en matière de développement agricole et de soutien à la petite paysannerie. Les pays asiatiques, à commencer par ceux du Golfe, sont en effet surreprésentés dans les transactions foncières à grande échelle de ces dernières années à des fins de sécurisation de leurs approvisionnements alimentaire et énergétique, d’exploitation forestière, de compensation carbone…, au prix de la souveraineté alimentaire des pays hôtes et de l’accroissement des tensions intercommunautaires. [6]

Au risque d’assombrir le tableau, il faut également mentionner les effets du surendettement de nombreux pays africains vis-à-vis de la Chine, pour des ouvrages dont l’utilité en matière de développement est souvent discutable, dont le remboursement pèse (tout autant que les prêts occidentaux) sur les budgets nationaux au détriment de la santé et l’éducation, et que Pékin instrumentalise politiquement en vue de renforcer son emprise sur les ressources minérales critiques (Mhango, 2024).

Et pourtant, les recompositions internationales génèrent des opportunités en matière de développement d’une base industrielle africaine. La compétition entre puissances étrangères pour l’accès aux minerais stratégiques fournit des leviers de négociation aux leaders africains, davantage en position d’exiger de l’exploitant qu’il investisse dans la transformation locale des matières premières, le transfert de compétences, la construction d’infrastructures polyvalentes, le développement de chaînes d’approvisionnement nationales. Le mémorandum de coopération États-Unis-RDC-Zambie sur la mise en place d’une chaîne de valeur dans le secteur des batteries électriques est l’exemple le plus ambitieux de ce nouveau type d’engagement « géopolitiquement motivé ».

D’autre part, la baisse de la demande chinoise en matières premières (causée par le protectionnisme américain) et la disparition du programme états-unien de préférences commerciales en faveur de l’Afrique (l’AGOA), devraient, selon Patrick Bond et plusieurs économistes africains, être considérées par les gouvernements africains comme des occasions pour réorienter leurs appareils de production vers le continent. Une stratégie commerciale africaine concertée, moyennant l’accélération de la mise en œuvre de la ZLECAf, pourrait contribuer à l’industrialisation et au renforcement des chaînes de valeurs régionales.

Au final, la capacité des pays africains à convertir les opportunités dont les nouvelles configurations internationales sont porteuses en développement social dépendra de l’existence d’un consensus politique non soumis aux (seuls) intérêts à court terme des puissants locaux et des puissances étrangères, occidentales ou du Sud global. L’émergence d’un « pacte des élites accompagné d’un engagement commun pour le développement inclusif », pour reprendre la formule de l’ex-économiste en chef de la coopération au développement britannique (Dercon, 2024), ne se produit néanmoins pas indépendamment des rapports sociopolitiques internes aux sociétés africaines. La manifestation d’une exigence populaire, quelle que soit sa forme (électorale, syndicale, émeutière, religieuse), pèsera dans la détermination des gouvernants à négocier les alliances internationales au prisme de l’intérêt général.


Notes

[1En référence au partage colonial du continent au 19e siècle.

[2La Russie ne figure pas dans les dix premiers partenaires commerciaux du continent.

[3En février 2024, les Émirats ont annoncé des investissements en Égypte à hauteur de 35 milliards de dollars. Ils ont parallèlement converti 11 milliards de dollars, déposés depuis quelques années à la Banque centrale d’Égypte, en lires égyptiennes. Cet afflux de devises a toutes les allures d’un plan de sauvetage économique… et politique. D’une part, la situation macroéconomique du pays s’en trouve grandement améliorée, rassurant le FMI et les agences de notation, d’autre part les grands chantiers (comme le mégaprojet de développement urbain de Ras El Hekma sur la côte méditerranéenne) financés par ces investissements auront l’avantage, pour le régime, de générer des milliers d’emplois et de réduire les tensions sociales et politiques (PWC, 2024).

[4À travers le rayonnement des lieux saints, le financement de mosquées, d’associations et d’école coraniques, mais aussi et surtout la formation dans les universités islamiques saoudiennes de centaines d’imams et d’oulémas africains qui ont conservé des liens avec le royaume et occupent désormais de hautes responsabilités religieuses dans leurs pays respectifs (Augé, 2020). Ces derniers sont les acteurs de la « révolution salafiste » au Sahel (Sounaye, 2021). Leur autorité religieuse leur confère un pouvoir considérable de (dé-)légitimation des autorités civiles et militaires, comme on a pu le voir dans les pays sahéliens, où des imams ont directement contribué aux soulèvements populaires ayant débouché sur des coups d’État et sont désormais courtisés par les autorités néo-souverainistes… en lutte contre le djihadisme armé (Sambé, 2023).

[5Ces faiblesses avaient déjà justifié en 2016 le lancement d’un programme de réformes institutionnelles de l’Union africaine, sous la direction du président Paul Kagame.

[6Sur la participation des émergents au « colonialisme vert », lire Duterme B. (dir.), Business vert en pays pauvres, Paris, Syllepse, 2025.


bibliographie

  • Audinet M. et Limonier K. (2022), « Le dispositif d’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone : un écosystème flexible et composite », Questions de communication, 41(1).
  • Augé B. (2020), « La politique de l’Arabie Saoudite en Afrique : vecteurs et objectifs », L’Afrique en question n°52, Ifri, 6 février.
  • Banégas R., Blamangin O., Duarte L., Minfegue C. et Sanaren D. (2024), De quoi le rejet de la France en Afrique est-il le nom ?, Centre de recherches internationales (CERI), Tournons La Page (TLP).
  • Bouvier E. (2024), « La présence croissante de l’Iran en Afrique », Les clés du Moyen-Orient, 26 juin.
  • Battory J. et Vircoulon T. (2024), « Quand le Congo rencontre le Moyen-Orient : la nouvelle diplomatie d’affaires de Kinshasa », Notes de l’Ifri, Ifri, février.
  • Delanoë I. (2023), « Un “retour” inachevé : la relation entre la Russie et l’Afrique à l’épreuve de la guerre en Ukraine », Paix et sécurité européenne et internationale, 19.
  • Dercon S. (2023), Gambling on development. Why Some Countries Win and Others lose, Londres, Hurst.
  • Kewalramani M. (2024), China as a Rising Norm Entrepreneur : Examining GDI, GSI and GCI, Trends in Southeast Asia, ISEAS–Yusof Ishak Institute.
  • Mandaville P. (2022), « Le rôle croissant du religieux dans la rivalité entre grandes puissances – version française" », Bulletin de l’Observatoire international du religieux, 39.
  • Mhango Y. (2024), « Africa Insight : Minerals in focus as China taps debt diplomacy », Bloomberg, 10 septembre.
  • Moses O., Ngui D., Engel L. et Kedir A. (2024), China-Africa Economic Bulletin, 2024 Edition,Boston University Global Development Policy Center et African Economic Research Consortium.
  • Nantulya P. (2023), « Africa-India Cooperation Sets Benchmark for Partnership », Africa Center for Strategic Studies, 12 décembre.
  • Neema G. (2025), « La Chine déploie son Soft power en Afrique à travers les médias », Le Projet Afrique-Chine, 25 février.
  • Olivier de Sardan Jean-Pierre (2022), « « De quoi se mêlent-ils ? » : l’échec de l’impérialisme moral en Afrique », AOC, 14 juin.
  • Pilling D., Cornish C. et Schipani A. (2024), « The UAE’s Rising Influence in Africa », Financial Times, 30 mai.
  • PWC (2024), « Egypt’s economy achieves a turnaround with UAE support », Middle East Economy Watch, septembre 2024.
  • Sambé B. (2023), « Au Sahel, après le militaro-populisme, l’islamo-nationalisme ? », Jeune Afrique, 30 décembre.
  • Sounaye, A. (2021), « Révolution salafiste en Afrique de l’Ouest », Politique africaine, 161-162(1).
  • Teevan C., Bilal S., Domingo E. et Medinilla A. (2022), The Global Gateway, a recipe for EU geopolitical relevance ?, ECDPM Discussion Paper 323.
  • Tevoedjre E. (2023), « Policy Recommendation : Will the African Union become irrelevant on the international stage », Public Policy in Africa Initiative, 28 avril.
  • Vigne E. (2018), « Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences », Focus Paper 37, juillet, Institut Royal Supérieur de Défense.
  • Vircoulon T. (2024), « Exportation des minerais congolais : la bataille de corridors », RFI,4 septembre.

Nouvelle géopolitique de l'Afrique

Nouvelle géopolitique de l’Afrique

Cet article a été publié dans notre publication trimestrielle Alternatives Sud

Voir