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Quatre questions sur la situation en Haïti, qui vit « une descente aux enfers »

Au moins 471 personnes ont été tuées, ont disparu ou ont été blessées dans l’affrontement de gangs depuis début juillet, selon l’ONU. Décryptage en quatre questions, avec le politologue Frédéric Thomas (CETRI).

Une interview de Frédéric Thomas (CETRI) par Lilian Ripert pour Ouest-France (https://www.ouest-france.fr/monde/haiti-vit-une-descente-aux-enfers-68bf5d40-0da7-11ed-be87-294c12aa52e6).

Ce mercredi, de nouveaux affrontements entre gangs ont eu lieu dans les rues de Port-au-Prince, en Haïti. La cathédrale de la capitale a été en partie incendiée ; des coups de feu ont retenti à Cité Soleil, le plus grand bidonville du pays (200 000 habitants). Depuis le 8 juillet, les résidents d’un des quartiers de Cité Soleil sont prisonniers d’une guerre entre deux gangs. Selon l’Onu, au moins 471 personnes sont mortes, ont été blessées ou portées disparues entre le 8 et le 17 juillet. « Une véritable descente aux enfers ​ », observe Frédéric Thomas, ​politologue belge, spécialiste d’Haïti au Centre tricontinental (Cetri).

Ce phénomène de gangs est-il nouveau ?

Les violences remontent à plusieurs années. Les bandes armées ont d’abord été utilisées pour « casser les manifestations de masse en 2018-2019 », contre la corruption et les inégalités dans ce pays de 11 millions d’habitants, le plus pauvre des Caraïbes. Ces violences n’ont cessé de se renforcer, jusqu’au massacre de soixante-dix-neuf civils et le viol de dizaines de femmes à La Saline, autre bidonville de la capitale, fin 2018. Pour Frédéric Thomas, cet évènement est un « déclencheur​ » de la montée en puissance des bandes armées qui concurrencent le pouvoir central, « en perte d’autorité​ ».

Que fait le gouvernement ?

Rien. Les autorités sont passives, pour ne pas dire complices de ces crimes. « Le Premier ministre Ariel Henry n’a pas eu un mot pour les morts de Cité Soleil ​ », dénonce Frédéric Thomas. Les gangs, qui auraient sous leur joug jusqu’à 60 % de Port-au-Prince, monnaient avec les responsables politiques le contrôle du territoire et d’hypothétiques voix électorales contre « ​«  » financement et impunité «  ». » Cela fonctionne. Aucun chef de gang et responsable d’homicide n’a été arrêté.

​Tristement célèbre, l’ex-policier Jimmy Chérizier alias « Barbecue », à la tête de la fédération de gangs G-9 impliqué dans ces massacres, n’a jamais été inquiété par la justice. Pourtant, Frédéric Thomas rappelle que cet homme est « impliqué dans le massacre en cours à Cité Soleil et était un des responsables de celui de La Saline, en 2018 ​ ».

Qu’est-ce qui bloque une sortie de crise ?

« On n’a pas cessé de saboter cette perspective », note le spécialiste. Aucun scrutin national n’a eu lieu depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, il y a plus d’un an​, malgré un projet de transition politique présenté, en 2021, par l’opposition. La communauté internationale, États-Unis en tête, suivis par la France et l’Onu, soutient implicitement le gouvernement en place. « Cela permet aux Américains de garder un certain contrôle sur les autorités ​ », estime Frédéric Thomas. Et Paris évite les sujets qui fâchent, comme la dette d’indépendance.

Quel est le poids de la dette coloniale sur la situation d’Haïti ?

Entre le XIXe et jusqu’au milieu du XXe siècle, Haïti a été écrasé par une dette imposée par la France, puis les États-Unis. Ancienne colonie française, Haïti a été contraint de verser 150 millions de francs à Paris dès 1825, sous peine de guerre.

Selon une enquête du New York Times publiée en mai 2022, qui fait écho aux travaux d’historiens sur la question, cette dette a eu des effets dévastateurs sur l’économie du pays. Au total, elle aurait coûté entre 21 et 115 milliards de dollars de pertes de développement économique sur deux siècles à Haïti. Depuis 2003, Port-au-Prince demande des réparations financières, refusées par la France. « Il n’y a pas de reconnaissance de la dette envers Haïti, de son remboursement et ni une volonté de demander pardon pour cette injustice​. »

Voir en ligne https://www.ouest-france.fr/monde/haiti-vit-une-descente-aux-enfers-68bf5d40-0da7-11ed-be87-294c12aa52e6

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.