L’article du Journal du Dimanche, avec les analyses de Frédéric Thomas.
Haïti coule et le monde, en manque de solutions, la regarde sombrer. Une nouvelle réunion du Conseil de sécurité de l’ONU doit se pencher mardi sur l’île des Caraïbes , en proie à une triple crise, sécuritaire, politique et humanitaire. « Mais il ne faut pas en attendre grand-chose, prévient Frédéric Thomas, chargé d’études au CETRI (Centre tricontinental). Au mieux, on y enterrera l’idée d’une intervention armée internationale. » Ce projet avait germé à l’automne dans l’esprit du Premier ministre haïtien, Ariel Henry, avant d’être défendu à Washington. « Sauf que les États-Unis ne veulent pas y prendre part et se sont tournés vers le Canada pour qu’elle en assume la direction », poursuit le chercheur. Joe Biden s’est heurté alors au refus de Justin Trudeau, qui ne souhaite pas engager ses soldats dans une opération où il n’y a que des coups à prendre.
En attendant, les gangs qui ont mis le pays en coupe réglée continuent d’imposer leur loi. L’effet des sanctions canadiennes et américaines prises récemment contre des personnalités – dont l’ancien président Michel Martelly – accusées d’entretenir des liens avec les groupes criminels s’est déjà dissipé. Depuis début janvier, kidnappings et violences sont repartis à la hausse. Cette insécurité a entraîné un déplacement de 150 000 Haïtiens tandis que la faim et le choléra ont fait leur retour sur l’île.
Le bureau de l’ONU sur place incite à organiser des élections
Cette boucle du malheur peut-elle encore être brisée ? Probablement, encore faudrait-il à Port-au-Prince des autorités locales vertueuses et légitimes. Depuis le 9 janvier et la fin de mandat des dix derniers sénateurs encore en poste, le pays ne compte plus un seul représentant élu national. Le très contesté Ariel Henry dirige seul, s’appuyant sur une administration soupçonnée au mieux de corruption, au pire de collusion avec les gangs.
Le bureau de l’ONU sur place incite donc à organiser des élections. Un vœu pieux tant le climat de violence rend ce projet impossible. « Il existe pourtant une autre solution, déjà connue : la mise en place d’une transition de rupture », affirme Frédéric Thomas. Sous pression, Ariel Henry a signé en décembre des accords avec les partis et la société civile pour qu’un Haut Conseil de la transition composé de trois personnalités indépendantes accompagne le gouvernement jusqu’à la tenue d’un nouveau scrutin en février 2024. Une partie de l’opposition y voit surtout une façon pour le chef de gouvernement de garder la main et de gagner du temps.