À Genève, 179 pays se sont retrouvés pour tenter de conclure un traité visant à mettre fin à la pollution plastique. Cette rencontre représentait la dernière étape d’un cycle de négociations lancé en 2022 par les Nations unies, après plusieurs rounds infructueux. L’enjeu était de taille : ce texte était destiné à devenir l’accord international le plus ambitieux depuis l’Accord de Paris. Mais les espoirs ont été déçus : aucun plafond de production plastique n’a été fixé, aucune réglementation contraignante adoptée, et aucune restriction imposée sur les produits chimiques nocifs pour la santé humaine.
Deux camps se sont affrontés. D’un côté, le puissant bloc de la pétrochimie [1] a tout fait pour entraver le processus et protéger un débouché stratégique pour son or noir, à l’heure où le monde tente de se détourner des énergies fossiles. De l’autre, une grosse centaine d’États « ambitieux », [2] soutenus par des ONG et la société civile, ont plaidé pour un accord fort, assorti d’objectifs et d’échéances juridiquement contraignants couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la gestion des déchets. Dix jours de discussions où se sont heurtés la défense d’intérêts économiques colossaux et l’urgence de répondre à une crise écologique hors de contrôle.
De la promesse à l’ivresse
Le plastique n’est pas né coupable. Dans les années fastes d’après-guerre, il incarnait le progrès technique, la prospérité et la démocratisation de la consommation. Léger, résistant, malléable, peu coûteux, il supplanta progressivement des ressources naturelles rares ou onéreuses comme l’ivoire, le caoutchouc, le bois, le verre ou les fibres naturelles. Ses promoteurs vantent encore aujourd’hui ses vertus « écologiques », censées préserver les ressources, limiter le gaspillage alimentaire et économiser l’énergie.
En 1956, Lloyd Stouffer, lors d’une réunion de la Society of the Plastics Industry à New York, prophétisait : « L’avenir du plastique est à la poubelle ». Il invitait les industriels à cesser de penser en termes de réutilisation et à miser sur l’usage unique : emballages jetables, vaisselles éphémères, produits conçus pour être remplacés. Une stratégie qui ouvrait la voie à un marché de la consommation inépuisable.
Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer un monde sans plastique. Il suffit de lever les yeux pour s’en rendre compte. Pourtant sa production à grande échelle ne remonte qu’aux années 1950. Depuis, ce matériau est devenu le moteur d’un capitalisme avide de croissance. Résultat : de moins de 2 millions de tonnes produites en 1950, on dépasse aujourd’hui les 450 millions de tonnes par an. Et ce chiffre pourrait tripler d’ici 2060, selon les projections de l’OCDE.
Le revers d’un matériau « miracle »
Cette explosion de la production s’est accompagnée d’une hausse vertigineuse des déchets plastiques, au point que ce matériau « miracle » devienne un fléau. 91 % des plastiques produits ne sont pas recyclés. Ils sont incinérés, mis en décharge ou abandonnés dans la nature. Les 9 % restants sont quant à eux transformés en produits de moindre qualité, qui termineront à leur tour… à la poubelle.
Le recyclage n’est qu’un leurre. Si les plastiques industriels ont une durée de vie de 35 ans, leur décomposition peut prendre de 5 à 1000 ans. Quant aux micro et nanoplastiques, ils sont quasi éternels et omniprésents. Ils polluent et contaminent l’air, les sols, l’eau potable, et même le sang humain, où ils peuvent transporter des substances chimiques tels le tristement célèbre Bisphénol A (BPA), détecté chez 98 % de la population belge testée [3].
Les fausses solutions
Le recyclage sert aujourd’hui d’alibi et de caution morale pour produire et consommer toujours plus. Ce n’est pas un hasard si les États pétrogaziers et les lobbys industriels réduisent la pollution plastique à un simple problème de « mauvaise gestion des déchets » et s’emploient à recentrer les débats sur la phase post-consommation.
Ce cadrage déplace opportunément le regard : au lieu de s’attarder sur l’amont de la chaîne de valeur, là où l’essentiel des déchets sont produits, lors de l’extraction des ressources fossiles, de la fabrication et de la distribution ; l’attention est détournée vers l’autre extrémité de la chaîne, en aval. Dans cette logique, la responsabilité de résoudre la crise incomberait d’abord aux consommateurs, aux citoyens responsables, davantage qu’aux industries qui l’alimentent.
Ce tour de passe-passe ne se limite pas au cas emblématique des plastiques. Si l’on élargit la focale au problème mondial des déchets dans son ensemble, on constate que 97,4 % des déchets sont générés par l’industrie, contre à peine 2,6 % par les ménages.
Une gestion responsable des déchets devrait s’appuyer sur la règle des 3R : « réduire » la production de déchets à la source, « réutiliser » les objets et les matériaux pour prolonger leur durée de vie, et enfin « recycler » ce qui ne peut plus être utilisé. Cette hiérarchie n’est pas un slogan mais un ordre de priorité. Réduire agit en amont. Réutiliser prolonge l’usage. Recycler intervient en dernier recours, ne traitant que les symptômes.
À Genève, le « bloc pétrochimique » s’est employé à torpiller l’article 6 du traité, qui visait à réduire la production mondiale de plastique, et a tenté de faire croire qu’il serait possible de sortir de la crise du plastique par le recyclage, l’innovation technologique et la valorisation énergétique. En se concentrant presque exclusivement sur le dernier « R », il a entretenu l’illusion d’une économie circulaire vertueuse, alors que la production plastique reste prisonnière d’un modèle linéaire : extraire, fabriquer, consommer, jeter.
Réduire la production est la seule façon d’aligner nos modes de vie sur les limites planétaires. Il est grand temps de cesser de croire que la croissance peut se détacher de ses impacts écologiques.
A paraître : Alternatives Sud, « Les déchets du monde : envers du décor », LLN, Cetri-Syllepse.






