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Mayapolis !

Mayapolis - Tourisme et expansion urbaine dans la péninsule du Yucatán

 Un film (59 minutes) de Renaud LARIAGON, à visionner gratuitement ici : https://www.youtube.com/watch?v=rs_VQkb-DS4

 Commentaire de Bernard Duterme (CETRI) invité à intervenir après la projection de ce documentaire, en présence de son réalisateur Renaud Lariagon (UNAM/CEMCA), au Dk (Actrices et Acteurs des Temps Présents) à St-Gilles (Bruxelles) le 18 octobre 2024, à l’initiative d’Inter-Environnement Bruxelles - IEB et de l’asbl À bâbord :

Tout y est ! Ou presque. Pour le Centre tricontinental, ce film est un régal, une performance, tant il parvient à illustrer, en 59 minutes d’images et d’entretiens bien structurés, les différentes dimensions du rapport inégal sur lequel se construit et se développe le tourisme Nord-Sud. On le sait, appréhender le tourisme comme un marché – où se croisent des offres et des demandes –, c’est aussi le considérer comme un rapport social de domination. Un rapport social qui creuse les écarts ou qui, pour le moins, met en présence asymétrique des sociétés émettrices et des sociétés réceptrices, des populations riches et des populations pauvres, des investisseurs, des tour-opérateurs et des acteurs locaux, des visiteurs et des visités, et plus globalement l’activité humaine et les écosystèmes qui lui servent de cadre.

Ce documentaire le montre à l’envi : l’industrie touristique génère d’importants bénéfices, mais aussi d’importants coûts. Le problème principal provient du fait que, faute de régulation publique digne de ce nom, ces bénéfices et ces coûts sont extrêmement mal répartis. Les premiers, financiers et récréatifs, sont majoritairement captés par les tour-opérateurs et les touristes ; les seconds, sociaux, culturels, environnementaux…, sont plutôt dévolus aux populations locales, en particulier aux couches les plus exploitées, discriminées et dépossédées d’entre elles, surreprésentées parmi les travailleurs migrants, les femmes et les indigènes mayas. Tous ceux et toutes celles en somme qui ne parviennent pas à profiter, même à la marge, de la manne touristique ; et qui, à l’inverse, en font les frais, privé·es économiquement ou physiquement qu’ils et elles sont d’un accès vital à leurs ressources, à un logement, à une terre, à l’eau, à l’électricité…

Comme Mayapolis l’explique et l’illustre didactiquement, cette injuste répartition s’opère à travers une série de mécanismes liée à la forte libéralisation, dérégulation et marchandisation des lieux et des comportements, sur laquelle repose la mise en tourisme de la péninsule du Yucatán, sa « touristification ». Impossible de les passer tous en revue ici, mais chacun renvoie aux impacts économiques de l’industrie touristique (concentration croissante du secteur et des profits, mise en concurrence des destinations de la région, course à l’attractivité, au moins-disant fiscal, social, environnemental pour les investisseurs, dépendance à un secteur « élastique » délocalisable à la moindre menace sanitaire, sécuritaire, climatique, etc.), aux impacts sociaux (appropriation privative des ressources locales, inflation, éviction, gentrification, précarisation et informalisation du travail…), aux impacts environnementaux (pressions, dégradations, pollutions en hausse, saturation des « capacités de charge » et déplacements consécutifs, vulnérabilisation écologique des populations locales pauvres…), ainsi qu’aux impacts culturels particulièrement bien soulignés par ce documentaire (asymétries culturelles, chocs des attentes, folklorisation de rituels prétendument « authentiques », instrumentalisation commerciale des identités mayas…).

L’ONU tourisme, anciennement Organisation mondiale du tourisme, est consciente de l’impact dévastateur de ces différents mécanismes, mais sa position institutionnelle – instance supranationale de « promotion » du tourisme, au sein de laquelle les 500 premiers tour-opérateurs mondiaux sont représentés – rend son discours ambivalent : tantôt elle appelle à « transformer le tourisme » pour le rendre « plus accessible, plus équitable et plus durable », tantôt elle n’en a cure et considère son industrie fétiche comme une panacée, un moteur de prospérité économique, de préservation de l’environnement, de dialogue interculturel et de paix. Tantôt elle appelle à « réguler » le secteur, pour minimiser ses multiples dommages collatéraux, tantôt elle s’y oppose (parfois d’ailleurs dans le même article du « Code mondial d’éthique du tourisme »), considérant toute tentative de régulation comme un « obstacle », un « frein » au libre déploiement du tourisme et de ses bienfaits.

Pour conclure ce trop long commentaire, juste une petite question : est-ce volontaire, de la part du réalisateur, d’avoir évité dans ce film la confrontation directe en images entre, d’un côté, les excès somptuaires du tourisme occidental dans les fastueux hôtels de la « Riviera maya » et, de l’autre, les conditions de vie précaires des populations déplacées, des quartiers périphériques des stations balnéaires, des baraquements des travailleurs et travailleuses migrantes, etc. ? Est-ce le résultat d’un manque de moyens, d’images ou celui d’un choix éditorial conscient, sobre et analytique, à distance d’un sensationnalisme racoleur ou d’un militantisme simplificateur ?

* Sur « La mise en tourisme de la Riviera maya : prédation ou régulation ? », lire ou visionner cette autre interview LN24 : https://www.cetri.be/La-mise-en-tourisme-de-la-Riviera.


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.

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