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RD Congo

Les mouvements citoyens à la veille d’un simulacre d’élection

Le dernier mandat de Joseph Kabila a vu éclore un phénomène politique d’un nouveau genre au Congo : les mouvements citoyens. Ils s’inscrivent dans le mouvement plus général d’affirmation de la jeunesse urbaine et diplômée comme acteur de la scène publique en Afrique francophone. La volonté de se donner un canal d’expression propre naît de la défiance vis-à-vis des partis politiques, obnubilés par la seule occupation des « postes », mais aussi du discrédit d’une société civile sous perfusion étrangère, dont les leaders se sont progressivement fondus dans l’establishment politique.

Au Congo, c’est d’abord le courage d’aller déployer ses revendications sous le nez des autorités qui a permis au pionnier parmi ces mouvements, Lucha, de se faire connaître. La constance de ses positions l’a ensuite aidé à se profiler comme interlocuteur crédible auprès des acteurs locaux et des intervenants étrangers. Mais c’est la réaction répressive disproportionnée des services de sécurité, paniqués à l’idée d’un soulèvement populaire « à la burkinabè » qui les a élevés, médiatiquement puis politiquement, au rang d’acteur du débat politique national. Les campagnes internationales pour la libération de leurs militants ont conféré à Lucha et à Filimbiun capital symbolique à l’étranger, qu’ils ont habilement converti en influence politique au sein de différentes arènes internationales.

Concrètement, les mouvements citoyens sont autour d’une quinzaine aujourd’hui au Congo et comptent généralement quelques dizaines à quelques centaines de militants. La Lucha est le plus structuré d’entre eux et le seul à pouvoir raisonnablement revendiquer une présence nationale. Cette mobilisation concerne donc une (petite) minorité (hyper) active, notamment sur les réseaux sociaux, plutôt qu’un mouvement de masse. Ce format, qui leur vaut régulièrement d’être considérés comme peu représentatifs ou élitistes, est vraisemblablement le prix à payer pour se perpétuer, dans un environnement marqué par le recours intensif à l’infiltration. De même que l’attention protectrice des ambassades.

C’est au début de l’année 2015 que la lutte pour l’alternance s’est imposée comme le principal combat de ces mouvements. Ils s’allient dans un premier temps aux partis politiques d’opposition, dont ils se méfiaient pourtant, afin de mobiliser la population pour obtenir le départ de Kabila au terme de son deuxième et dernier mandat, conformément à la Constitution. La fin de l’année 2016 les voit prendre leurs distances avec le dialogue « de la Saint Sylvestre » entre majorité et opposition, organisé par l’Église catholique, dont ils pressentaient avec justesse qu’il serait dévoyé par le Président. Le déraillement de l’accord et la division de l’opposition, déstabilisée par la mort du rassembleur Etienne Tshisekedi, les profilent pendant plusieurs mois comme la véritable opposition à Kabila.

Mais les marches, qu’ils sont seuls à convoquer, n’empêcheront pas la centrale électorale « indépendante » de reporter à nouveau d’un an l’échéance, une décision qu’avalise la communauté internationale. La difficulté à mobiliser et à peser sur les rapports de forces nationaux, les amène un mois plus tard à rejoindre les marches organisées par l’Église catholique pour exiger la décrispation politique et l’annonce par Kabila qu’il ne se représenterait pas fin 2018. Une revendication nettement plus modérée que la leur, qui est le départ de Kabila et l’avènement d’une « transition citoyenne » qui soit coordonnée par une personne de la société civile jouissant d’une grande légitimité. Comme l’évêque Monsengwo, qui a mené les charges les plus virulentes contre le régime, ou le récemment nobélisé docteur Mukwege, qui apporte depuis 2016 son soutien aux mouvements citoyens.

En août 2018, le choix d’un dauphin, Emmanuel Ramazani Shadari, amène cependant la Lucha à plus de pragmatisme. Dans un premier temps, le mouvement promulgue sept exigences pour crédibiliser le processus électoral,tout en maintenant sa préférence pour la transition citoyenne. La non-satisfaction de ces exigences oblige les militants à un deuxième décalage stratégique. Au lieu d’appeler au boycott d’un « simulacre d’élection », ils s’efforcent de prendre les autorités à leur propre jeu, en encourageant les Congolais à « se lever par millions pendant et après la journée du 23 décembre 2018, pour en finir une fois pour toute avec J. Kabila, son régime, et tout ce qui y ressemble ». Cet appel paradoxal s’explique par le fait que les mouvements citoyens préparent parallèlement, avec les catholiques laïcs, un réseau d’observateurs indépendants afin de superviser le déroulement du scrutin dans un maximum de bureaux de vote. Une stratégie qui au mieux, mais les militants eux-mêmes ont de la peine à y croire, contribuera à réduire significativement l’ampleur de la fraude, au pire permettra de détenir les preuves de la parodie d’élection et d’amener la population, qui n’aura sans doute pas attendu, à se mobiliser contre les résultats officiels.

Voir en ligne L’article sur La Libre Afrique

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.

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