• Contact
  • Connexion

Brésil

Les dessous de l’incendie : la politique amazonienne de Jair Bolsonaro

Il faut profiter du fait que « la presse internationale se focalise quasi exclusivement sur le covid-19 » pour « faire passer des réformes [infra-légales] et assouplir les règles » en matière de protection et de préservation de l’environnement. Tel est en substance, le propos tenu par Ricardo Salles, ministre de l’environnement de Bolsonaro, filmé à son insu, le 22 avril dernier lors d’un conseil de gouvernement, dans une vidéo abondamment relayée par les médias.
Provoquant un tollé général, les déclarations du ministre ne sont nullement un simple écart de langage. Mieux que n’importe quelle démonstration, elles mettent en lumière le projet de destruction systématique des protections environnementales, promue par le gouvernement d’extrême droite, aux noms – et aux services – d’intérêts économiques et géostratégiques jugés supérieurs. Un projet qui renoue avec et actualise le vieux programme modernisateur autoritaire conçu pour l’Amazonie par le régime militaire (1964-1985).
Décryptage.

Version complète de l’article paru dans Basta ! le 20.12.2019
(Voir aussi Le Brésil de Bolsonaro : le grand bond en arrière, le dernier numéro d’Alternatives Sud)

Quelques mois après l’épisode estival des incendies de forêt au Brésil, une nouvelle page noire s’est ouverte pour les défenseurs de l’Amazonie et de ses peuples. Le premier novembre dernier, l’activiste indigène Paulo Polino, membre de la tribu des Guajajara (Maranão) et leader local des Guardiões da floresta (Gardiens de la forêt), un groupe de défense de l’Amazonie, est assassiné au cours d’une altercation avec des trafiquants de bois.

Quelques semaines plus tard, deux opérations policières d’envergure sont lancées simultanément. Menées à grand renfort de moyens et de publicité, elles ne visent pas à mettre la main sur le meurtrier du leader indigène, mais ciblent des militants de la cause environnementale : le 26 novembre, les locaux de l’ONG Saúde e Alegria, réputée pour l’excellence de son travail auprès des indigènes dans le bassin du fleuve Topajos, dans l’État du Pará, sont investis par la police civile, qui embarque ordinateurs et documents. Le même jour, quatre volontaires de la Brigada Alter do Chão, une organisation bénévole spécialement créée pour combattre les incendies de forêt auprès des pompiers, sont appréhendés et placés en garde à vue au motif qu’ils auraient eux-mêmes bouté le feu à la forêt, détruisant quelque 1200 hectares dans la région de Santarém, État du Pará (Brum, 2019).

Faisant écho aux déclarations du président Jair Messias Bolsonaro qui, en août dernier, avait accusé publiquement les ONG environnementales d’avoir volontairement provoqué nombre de ces incendies pour attirer l’attention et nuire à son gouvernement, ces deux opérations signalent qu’un stade de plus a été franchi dans l’offensive menée par les autorités brésiliennes contre les défenseurs de l’environnement et des droits de l’homme. Ordonnées par un juge issu d’une famille d’exploitants de bois active autrefois dans la région et ouvertement bolsonariste (Folha de São Paulo, 20 novembre 2019), elles indiquent que le pouvoir ne recule désormais devant rien pour museler, criminaliser et délégitimer, dans l’opinion publique, tous ceux qui s’opposent à son projet pour l’Amazonie : un projet autoritaire d’exploitation de l’immense espace amazonien renouant avec le vieux rêve de conquête et de valorisation de l’Amazonie porté par les généraux brésiliens (Brum, 2019 ; Dias, 2019).

L’obsession amazonienne des généraux brésiliens

L’information n’a pratiquement pas été rapportée par les médias européens. Elle est pourtant essentielle pour interpréter l’ampleur prise par les incendies de forêt au Brésil, et la crise diplomatique entre Brasília et Paris qui s’en est suivie l’été dernier.

Après avoir mis en lumière les manoeuvres de l’ex-juge Moro, actuel ministre de la Justice, pour obtenir la condamnation de l’ancien président Luis Inácio Lula da Silva, le 20 septembre 2019, le site d’information indépendant The Intercept a jeté un nouveau pavé dans la mare. Preuves à l’appui [1], il a révélé l’existence d’un vaste plan d’ouverture, d’exploitation et de peuplement de l’une des régions les plus isolées et les mieux préservées de l’Amazonie : un immense territoire appelé Calha Norte, à cheval sur les États de l’Amapá, du Roraima, du Pará et de l’Amazonas.

Achèvement de la route BR-163 pour relier la ville de Santarém dans l’État du Pará à la frontière du Surinam, construction d’un pont sur le fleuve Amazone et d’un nouveau barrage hydroélectrique, élargissement et consolidation des voies navigables, ouverture le long de ces nouveaux axes de pénétration de vastes portions du territoire à l’exploitation minière, agro-forestière ou agro-industrielle, etc., y compris des aires naturelles protégées et des terres indigènes. Discuté dans le plus grand secret, sous la houlette du Secrétariat des Affaires stratégiques auprès de la présidence, le projet est ambitieux. Il vise à terme à consolider la présence de l’État dans cette région de frontière supposément exposée à des menaces externes et à accroître sa participation au PIB national, en y stimulant les investissements et en encourageant son peuplement.

Outre leurs ambitions économiques et géostratégiques, les auteurs du projet ne manquent pas de lister les obstacles et risques potentiels susceptibles d’entraver sa réalisation : « campagne globaliste » orchestrée par les ONG environnementalistes internationales pour « relativiser la souveraineté du Brésil sur l’Amazonie », organisations de défense des droits humains, Église catholique militante, organismes publics nationaux en charge de la protection de la forêt et des droits des populations indigènes (Ibama, FUNAI etc.), etc. Autant de menaces potentielles qu’il s’agit de neutraliser.

Inspiré par les idées du général de réserve conspirationniste Maynard Marques de Santo [2], le plan Barão de Rio Branco, n’a en réalité rien d’original. Il ne fait que réactualiser le vieux rêve de conquête du « grand vide amazonien », à travers son peuplement et son développement économique, et de militarisation de la frontière Nord du pays (Dias 2019).

Ambitions frustrées

« Intégrer [le territoire] pour ne pas s’en séparer, en être dépossédé » (integrar para não entregar). La formule résume l’un des grands axes de la doctrine des généraux qui prennent le pouvoir au Brésil en 1964 et le garderont jusqu’en 1985. Obsédés par la menace très largement fantasmée d’une « internationalisation » de la région [3], ils ne tardent pas à la mettre en pratique dès le début des années 1970 en lançant un vaste programme de valorisation économique et de peuplement de l’Amazonie. Le chantier est colossal. Il prévoit notamment la construction d’une route de plus de 4000 km traversant de part en part la région selon un axe Est-Ouest. Inaugurée en grande pompe en 1972, la Transamazonienne se veut alors une réponse à l’angoisse existentielle des militaires pour qui tout espace vide d’hommes à l’intérieur du territoire est une menace pour la sécurité nationale. Mais elle est envisagée aussi comme une solution conservatrice à l’aggravation des conflits sociaux dans le pays. La distribution de terres « à défricher » - et à valoriser économiquement - le long de ces quelques milliers de km de route doit permettre de régler définitivement le problème des sans-terres et de la pauvreté rurale dans le Nordeste. « Des terres sans hommes pour des hommes sans terre ». Le slogan ne cesse alors d’être martelé par un régime qui rejette toute idée de réforme agraire.

Très vite pourtant, le rêve amazonien des militaires se brise sur le mur des réalités économiques. Le premier (1973) et le second choc pétrolier (1979) plongent le pays dans la récession. Les projets pharaoniques du régime (transamazonienne, barrage d’Itaïpu, etc.) plombent les finances publiques. Et l’endettement explose. De nombreux chantiers sont abandonnés tandis que les promesses faites par les militaires en matière d’infrastructure sociale, éducative et sanitaire ne sont pas tenues. Bientôt, le « miracle économique » brésilien se transforme en cauchemar pour les colons et les sans-terre, qui sont abandonnés à leur sort. Et la région devient le théâtre de nombreux conflits agraires et socio-environnementaux. L’échec est patent.

Amorcée au début des années 1980, la démocratisation du pays et, avec elle, l’émergence d’un nouvel activisme engagé dans la défense de la forêt et des peuples qui y vivent donneront au projet amazonien des militaires son coup de grâce. Dans un contexte international marqué par une croissante prise de conscience de l’importance des enjeux environnementaux, ces acteurs parviendront au prix d’importantes mobilisations, à imposer dans la nouvelle Constitution (1988) la reconnaissance de droits sociaux, économiques et culturels des populations amazoniennes, tout comme l’obligation pour l’État de les garantir et de les réaliser à travers la mise en place d’instruments et de dispositifs appropriés. Pour la première fois, le droit à la terre des peuples indigènes est reconnu par la Constitution. Et il incombera désormais à l’État de le garantir, en démarquant leur territoire. Les pouvoirs publics seront également tenus d’assurer la préservation des espaces naturels présentant un intérêt écologique majeur.

En 1992, l’organisation parle Brésil du premier Sommet de la terre marquera un pas de plus dans la volonté du pays de s’engager dans des politiques sociales et environnementales plus ambitieuses. Mais ce n’est qu’avec l’arrivée du PT au pouvoir, en janvier 2003, qu’un réel saut qualitatif est franchi, à travers l’accélération du processus de démarcation des territoires indigènes, l’extension des aires naturelles protégées, le renforcement des institutions en charge de la lutte contre la déforestation et de la défense des droits humains, la multiplication des organes de concertation avec les acteurs de terrain, l’adoption du Plan national contre le changement climatique (2009) et les objectifs ambitieux que s’est donné le pays dans le cadre des accords de Paris sur le climat (2015). Les résultats de ces politiques volontaristes sont indéniables : entre 2004 et 2014, on observe une diminution de près de 82 % du rythme de la déforestation en Amazonie (Aubertin, Kalil, 2017).

Certes, les politiques amazoniennes des gouvernements de Luis inácio Lula da Silva et de Dilma Rousseff ne rompent pas complètement avec celles de leur prédécesseur. À bien des égards, elles ont même accentué certains traits du modèle de développement agro-extractiviste dans lequel elles ont continué de s’inscrire. En témoignent l’ouverture de grands chantiers, comme la construction polémique du barrage de Bello Monte, décrit aujourd’hui comme « un monument au gaspillage et à la folie » (cité in Vigna 2019), le soutien aux politiques de libéralisation, l’octroi de nombreuses concessions aux secteurs agro-exportateurs, la réforme du Code forestier puis le coup de frein donné au processus de démarcation des terres indigènes sous le deuxième gouvernement Rousseff (Brum 2019).
Mais en tentant de concilier impératifs économiques et exigences sociales et environnementales, elles n’ont pas manqué non plus de s’attirer les foudres des vieux généraux conservateurs, hermétiques aux enjeux environnementaux et à la question indigène. Parce qu’elles étaient plus réceptives aux revendications des mouvements sociaux et écologistes, elles ont fini par alimenter leur crainte panique de voir leur chasse gardée amazonienne laissée à la merci de groupes de pression internationaux avec l’appui de leurs supposés relais locaux : ONG, organisations indigènes et environnementales, organismes des Nations unies, etc. Les charges furieuses de Bolsonaro contre les militants écologistes, les « bandits de gauche » et les ONG environnementalistes, sa dénonciation hystérique des Accords de Paris, assimilés à un complot international visant à saper les efforts de développement du pays, sa promesse de geler définitivement toute nouvelle démarcation des terres indigènes et ses rappels au droit souverain du Brésil sur l’Amazonie, ne pouvaient que trouver un écho favorable dans les casernes et chez les généraux qui craignaient plus que tout un éventuel retour du PT aux commandes du pays.

Nul doute que ses prises de position sur l’Amazonie ont contribué au ralliement franc et massif des militaires, tenus jusqu’ici à un devoir de réserve, à sa candidature, à mesure qu’il progressait dans les sondages. Son arrivée au pouvoir allait non seulement leur donner les moyens de se remettre en selle politiquement, mais surtout de reprendre la main sur les politiques amazoniennes.

Un chaos planifié

Principale région concernée par Plan Barão do Rio Branco, le Pará connaît l’un des taux de déforestation les plus élevés du pays. Il est également l’un des États les plus violents et le théâtre de très nombreux conflits agraires et socio-environnementaux. C’est là, dans la municipalité de Novo Progresso, le long de la route BR-163, qu’est organisé le 10 août dernier le « jour du feu » : des dizaines de foyers d’incendie sont allumés simultanément à l’initiative d’éleveurs et de producteurs agricoles de la région qui entendent témoigner de leur soutien aux politiques amazoniennes de Bolsonaro.

Averti bien à l’avance de l’organisation de l’événement, le ministère de l’Environnement n’a pas daigné intervenir. Et mis sous pression internationale, Bolsonaro n’a pas hésité, quelques jours plus tard, à reprendre les arguments des responsables présumés – les membres du Syndicat des producteurs ruraux de Novo Progresso –, criant à une « conspiration internationale contre le Brésil » et rejetant la responsabilité des incendies tantôt sur la sécheresse, tantôt sur les ONG environnementalistes (Repórter Brasil, 25 août 2019 ; Rayes, 26 août 2019).

Souvent qualifiée de surréaliste par la presse internationale, cette posture est au contraire très rationnelle du point de vue du gouvernement brésilien. Les feux de forêt en Amazonie ne sont pas le résultat d’une gestion irresponsable, incompétente ou erratique. lls sont la conséquence visible d’une politique délibérée et réfléchie d’affaiblissement des législations environnementales et de démantèlement de leurs organes de supervision et de contrôle. Une politique de destruction systématique des mécanismes de protection doublée elle-même d’un soutien à peine dissimulé aux groupes qui exploitent illégalement la forêt et à leurs milices.
En sapant le pouvoir de contrôle et de sanction des institutions en charge de la gestion de la forêt et de la défense des droits des peuples qui y vivent, sous prétexte d’économies budgétaires, le gouvernement brésilien cherche en effet à neutraliser les obstacles constitutionnels et légaux qui contrarient ses desseins amazoniens et ceux des groupes de pression qui le soutiennent (mineurs clandestins, forestiers, agro-business, militaire, éleveurs et grands propriétaires fonciers, etc.). Et en misant sur la stratégie du laisser-faire et du fait accompli, il entend soustraire certains territoires aux mécanismes de protection et forcer leur ouverture à une exploitation économique légale.

Cette tactique, qui explique la tolérance affichée par le gouvernement d’extrême droite vis-à-vis des groupes criminels qui terrorisent les défenseurs de la forêt et des peuples indigènes, n’est pas sans rappeler celle qui avait été adoptée par de la junte militaire à la fin des années 1960. Afin d’accélérer la colonisation et la conversion économique du Centre-Ouest et du Nord du pays, les généraux avaient encouragé d’une part, l’appropriation privative – et illégales - de terres publiques (le grilagem) à grande échelle, et d’autre part, l’invasion systématique des nombreux territoires « indigènes », vus comme autant d’obstacles à la frontière économique en marche.

Pour les militaires, il s’agissait en quelque sorte de faire table rase de l’existant pour faire émerger un monde nouveau, connecté aux pôles économiques du Sud du pays, quel qu’en soit le coût social et environnemental. Aussi, la construction de la route transamazonienne a-t-elle rayé de la carte de dizaines de villages indigènes et décimé des communautés entières, à l’instar des Waimiri-Atraori, passés de 3000 membres en 1972 à 350 en 1983. Au total, près de 8000 indigènes auraient trouvé la mort durant le régime des généraux, victimes d’empoisonnements volontaires, d’attaques d’hommes de main, d’altercations avec les militaires et des maladies apportées par les colons ou les travailleurs de ces chantiers (Dias, 2019).

Certainement pas de quoi émouvoir Jair Bolsonaro qui déclarait en 1998 devant le Congrès, dans une violente charge contre le processus de démarcation des terres indigènes : « La cavalerie brésilienne s’est montrée incompétente. Compétente, la cavalerie nord-américaine l’a été, oui. Dans le passé, elle a décimé ses Indiens. Aujourd’hui, ils n’ont plus ce type de problème dans leur pays » [4].

Représentant de l’extrême droite la plus dure, l’ex-militaire, a désormais les cartes en main pour mener à bien son projet pour l’Amazonie. A quel prix ? Vingt-sept aires protégées et terres indigènes devraient être touchées par l’initiative Barão de Rio Branco, dont le territoire de la communauté Wajapi dans l’État de lAmapá. Début août, son cacique, Emeyra Wajapi, a été retrouvé mort dans une rivière, assassiné semble-t-il par un groupe de garimpeiros qui convoitent les terres riches en minerais de la région. Les assassins présumés n’ont jamais été inquiétés…

La double morale de l’Union européenne

Cette connivence de fait entre le gouvernement brésilien et les groupes criminels qui opèrent en Amazonie a été dénoncée dans un récent rapport de Human Right Watch, intitulé Rainforest Mafia : How Violence and Impunity Fuel Deforestation in Brazil’Amazon (2019). Y sont bien mis en évidence les rapports entre les politiques du gouvernement Bolsonaro, le regain de violence envers les défenseurs des droits de l’homme, les représentants des peuples de la forêt, les écologistes et les agents de l’État en charge de la protection de l’environnement ; et le boom de la déforestation. Depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, des dizaines de militants ont été assassinés, blessés ou menacés. Et le rythme de la déforestation a atteint son plus haut niveau depuis une décennie. Plus de 10 100 hectares Km2 de forêt ont été détruits en 2019, soit une hausse de 43 % par rapport à l’année précédente – et de près de 74,5 % dans les seuls territoires indigènes (Le Soir, 28 novembre 2019).

Face à ce que l’on peut résolument qualifier de politique d’État, l’Union européenne a une fois de plus montré ses profondes contradictions. Poussé par la vague d’indignation face à l’ampleur des incendies de forêt, ses dirigeants ont multiplié certes les pressions diplomatiques contre le Brésil. Mais ces protestations sont demeurées vaines. Quant aux déclarations maladroites de Macron, remettant au goût du jour la vieille proposition d’une internationalisation de la région, elle se sont révélées contre-productives.

Parfaitement conscient du caractère sensible de la question au Brésil, y compris dans les rangs de l’opposition, le président d’extrême droite a saisi la perche tendue. Prompt à agiter la fibre nationaliste de l’opinion publique brésilienne, il n’a pas manqué de dénoncer l’ingérence des Européens dans les affaires internes du pays, de réactiver le spectre d’un complot « globaliste », tramé par la communauté internationale, tantôt pour faire main basse sur l’Amazonie et ses richesses, tantôt pour faire obstacle aux légitimes aspirations économiques du pays. Et de réaffirmer, enfin, le droit souverain du pays à exploiter l’Amazonie, fustigeant au passage les notions de « poumons de la planète » et de « patrimoine de la planète » au motif qu’elles servent avant tout des intérêts néocoloniaux.

A défaut de mesures de rétorsion économique, les postures moralisatrices des dirigeants européens et leurs gesticulations diplomatiques sont peu susceptibles modifier la donne. Le gouvernement brésilien ne fléchira que si les intérêts économique de ses principaux soutiens sont menacés. Mais, engoncés dans leurs dogmes libre-échangistes, l’Union européenne a préféré jouer une autre partition. Alors que la crise des feux de forêt battait son plein, elle se félicitait d’avoir conclu un accord de libre-échange historique avec les pays du Mercosur, donnant de ce fait un chèque en blanc à Bolsonaro et ses alliés dans leur entreprise de destruction de la forêt et de démantèlements des mécanismes de protection environnementale – et des droits humains.

C’est pourquoi les indigènes brésiliens appellent l’Europe à ne pas ratifier l’accord. À la tête d’une délégation reçue par des parlementaires européens en novembre dernier, Nora Barré, coordinatrice générale du COIAB, une fédération de près de 300 communautés indigènes brésiliennes, expliquait « Nous sommes ici pour demander au Parlement de ne pas ratifier l’accord avec le Mercosur... En tous cas pas le texte tel qu’il est aujourd’hui. Parce que tel quel, il entraîne un génocide des peuples indigènes....La demande de l’Europe, en termes de consommation de produit en provenance du Brésil, accroît la déforestation et l’accaparement de nos territoires au profit de l’agrobusiness. La croissance de cette demande a un impact direct chez nous...L’Europe consomme beaucoup de soja et de bois....des produits qui sont extraits de nos territoires » (cité in RTBF-Info, 6 novembre 2019).

Le temps presse pour agir. « Nous sommes en train d’assister à une offensive finale contre les peuples indigènes » avertit ainsi l’anthropologue brésilien, Eduardo Viveiros de Castro (El País Brasil, 12 octobre 2019). Le 7 décembre dernier, une nouvelle attaque armée contre les Guardiens de la forêt a été perpétrée causant la mort de deux indigènes et en blessant plusieurs autres. Ils appartiennent à la même ethnie que Paulo Polino, assassiné un peu plus d’un mois plus tôt.


Notes

[1The Intercept a obtenu les contenus audio et les présentations de réunions organisées au siège de la Fédération de l’Agriculture du Pará (FEAPA), à Belém, entre les responsables du projet, des politiques locaux et des représentants de producteurs ruraux.

[2Nommé au Secrétariat des affaires stratégiques par Bolsonaro lui-même, le général ne cachait pas son hostilité envers les politiques de démarcation des terres indigènes. « Le plus grand problème géopolitique de l’Amazonie est son vide de population, explique-t-il dans une interview réalisée en 2013. Je crois que créer des réserves (indigènes) le long de la frontière va contre l’intérêt national. C’est un crime de lèse-patrie. Les anthropologues ont beau dire ce qu’ils veulent. L’anthropologie militante, ce qu’elle veut. C’est un crime de lèse-patrie » (Dias, 2019).

[3Voir à ce sujet Lambert (2019).


bibliographie


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.