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Les Suds face à la démondialisation

Depuis la crise financière de 2008, les signes d’une volonté politique grandissante d’inverser (plus ou moins décisivement) le cours de la mondialisation se multiplient dans le monde occidental. La « mondialisation heureuse » a vécu, sous les chocs successifs de la désindustrialisation, de la perte de contrôle de domaines stratégiques (santé, énergie, alimentation), de la montée des préoccupations environnementales et des mutations technologiques. Qu’en est-il dans les pays du Sud ? Les pays émergents ont régulièrement été présentés comme les gagnants de la mondialisation, avec des taux de croissance de leur production et de leurs échanges nettement supérieurs à ceux de la zone euro-américaine. Des déclarations publiques dénonçant le patriotisme économique des pays occidentaux à l’OMC ont renforcé cette perception d’un Sud désormais plus favorable que le Nord à la poursuite de l’intégration économique mondiale.

La réalité est autrement plus contrastée. D’une part la poussée économique du monde en développement est fortement concentrée dans la région de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, emmenée par la Chine. Les pays d’Amérique latine et d’Afrique ont globalement connu un processus de « reprimarisation » de leurs économies ces trente dernières années : leur croissance dépend de plus en plus des exportations agricoles et minières et ils fabriquent de moins en moins les produits transformés qu’ils consomment, au détriment donc de l’environnement et du travail décent. D’autre part, même dans les pays asiatiques ayant connu un boom de la production et des services qui a permis un élargissement accéléré des classes moyennes, des groupes sociaux non négligeables ont souffert de la libéralisation du commerce et de l’investissement, dans les zones rurales en particulier.

Des mouvements sociaux, intellectuels et politiques existent dès lors dans le « Sud global » qui critiquent la mondialisation telle qu’elle va. Si leurs références idéologiques sont diverses, deux grands courants se dégagent du côté des progressistes. Il y a tout d’abord ces acteurs pour lesquels la mondialisation néolibérale est problématique car elle a retiré aux États du Sud les moyens d’intervenir stratégiquement en faveur du développement de la productivité nationale et donc de la conquête de positions plus avantageuses dans la division internationale du travail. Ils promeuvent le retour d’une souveraineté économique, défendent la possibilité de soutenir directement l’industrie nationale, de la protéger de la concurrence mondiale, d’assouplir les règles de la propriété intellectuelle, bref veulent modifier les règles de la mondialisation pour une insertion plus favorable de leurs économies dans les échanges mondiaux. Ils voient d’un bon œil les échanges Sud-Sud et les accords régionaux, car ils permettent potentiellement des échanges commerciaux moins asymétriques.

Il y a ensuite un ensemble de forces qui s’inscrivent dans une perspective de rupture vis-à-vis du capitalisme international. Dans cet espace radical, les organisations anti-impérialistes marxisantes sont désormais supplantées par les courants critiques du « développementalisme ». Ceux-ci s’articulent à la vivacité des luttes socio-environnementales et indigènes pour le contrôle des territoires et la défense des identités, contre les grands projets et l’accaparement commercial des ressources. En accord avec le concept de Buen Vivir, ils entendent refondre les rapports entre société humaine et environnement au départ d’un nouvel imaginaire, centré sur l’équilibre et le « prendre soin », à l’opposé d’une rationalité instrumentale tournée vers l’accumulation. Bref, une forme de décroissance adossée à la réhabilitation de valeurs et de vécus que la modernité occidentale a historiquement disqualifiés. A leur manière, ces deux courants prolongent et renouvellent la question postcoloniale non résolue de la participation souveraine, c’est-à-dire guidée par des priorités socioéconomiques internes, au sein du système mondial.

* Lire le volume Alternatives Sud consacré à ce thème : https://www.cetri.be/Demondialisation

Télécharger Article F.Polet dans la revue Démocratie PDF - 102.1 ko

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.