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Niger

Le « Tazarcé » et la chefferie traditionnelle : la complicité invisible

Le mot Tazarcé signifie continuité en langue Haoussa, il est évoqué dans plusieurs contextes pour solliciter ou pour exhorter la continuité d’une situation. Dans le cas nigérien, nous sommes en politique et le tazartcé n’est rien d’autre que le renversement de l’ordre constitutionnel par le président Tandja. Le 4 août dernier, à travers un referendum illégal, il a changé la constitution pour se maintenir au pouvoir trois années complémentaires, pouvoir se représenter ensuite indéfiniment, et surtout concentrer les pouvoirs dans ses mains. Avant ce référendum, il avait dissout l’Assemblée Nationale et la Cour Constitutionnelle. C’est dans ce contexte que la 6e République du Niger est née, qui donne un pouvoir absolu au président.

Il importe cependant de noter que pour réaliser ce forfait politique, le président a bénéficié de la complicité de certaines institutions, parmi lesquelles la chefferie traditionnelle. La présence tangible de membres de la chefferie dans les mouvements dits de « soutien de l’action du président » en atteste. Ensuite, la nouvelle constitution (6e République) comporte des dispositions qui favorisent la chefferie, notamment le titre XII qui prévoit un conseil national de la chefferie traditionnelle qui a pour rôle principal d’assister le président et le parlement [1]. Enfin, la présence de certains chefs traditionnels dans les missions d’explication du de l’âpres Tazarcé dans les pays voisins confirme cette impression que la chefferie traditionnelle a joué un rôle important dans le Tazarcé qui aujourd’hui divise les Nigériens.

La réflexion qui va suivre a ainsi pour objet l’analyse du rôle de la chefferie dans le Tazarcé et les conséquences que cette situation devrait engendrer.

Qu’est que la chefferie traditionnelle ?

Il convient de rappeler que la chefferie traditionnelle est une institution qui dérive des sociétés politiques et des Etats qui existaient en Afrique avant la conquête coloniale. Le terme « traditionnel » a d’abord été utilisé par le colonisateur pour distinguer l’administration coloniale de ces royautés considérées comme dépassées et archaïques. Profondément transformée par la colonisation, la chefferie traditionnelle a par la suite cherché à se positionner dans l’Etat postcolonial, désormais régi par une élite intellectuelle dite moderne.

Dans la majorité des Etats postcoloniaux, la chefferie traditionnelle est intégrée, mais également contrôlée. Par ailleurs, dans certains Etats, elle a purement et simplement été supprimée (cas de la Guinée en 1957 et du Sénégal en 1960). Mais du fait du poids des traditions et de leur influence morale sur les populations, la chefferie traditionnelle continue à jouer un rôle politique non négligeable de nos jours dans la majorité des Etats africains, notamment en tant qu’instance de pouvoir de proximité dans les zones dites rurales (Nach Mback 2000 :79).

Sans conteste, la discussion de la nature, du rôle et de la place de la chefferie dans le nouveau système (démocratique) est à l’ordre du jour en Afrique. Les points de vue en débat, souvent controversés, révèlent l’intérêt politique central et persistant de cette institution coutumière.

Au Niger, l’Etat a tenu compte de cette importance dès les indépendances et l’a intégré comme une partie de l’administration publique. L’article 2 du Statu de la chefferie traditionnelle stipule que « les communautés coutumières et traditionnelles sont hiérarchiquement intégrées dans l’organisation administrative de la République du Niger et placées sous la tutelle des circonscriptions administratives et des collectivités territoriales (arrondissement ou commune), telles qu’elles ont été définies et fixées par la législation en vigueur ».
 [2]

Des années 1990 à nos jours le statut de la chefferie a connu plusieurs évolutions. Avec la décentralisation, les chefs sont devenus des conseillers municipaux de droit. C’est une façon de les intégrer dans la gestion des communes et d’harmoniser leurs fonctions de conciliation [3] dans un contexte nouveau. Cependant, pour une question de neutralité, il est interdit à la chefferie de faire la politique. Le chef traditionnel est normalement le chef de toute sa communauté et c’est pour cette raison qu’il doit s’éloigner de toute situation qui l’amènerait à choisir un camp. A priori la chefferie paraît donc à l’abri de toute manipulation, corruption ou instrumentalisation par la politique et le politique.

La chefferie traditionnelle : instrument du politique au Niger.

Dans les faits cependant, la chefferie ne s’est jamais tenue à l’écart du jeu politique, elle a toujours été présente dans la politique. Autrement dit, chaque parti a ses chefs traditionnels. Ces derniers sont comparables à de « grands électeurs », qui orientent l’électorat vers tel ou tel parti. Les moyens ne manquant pas pour contourner les dispositions du statut, les chefs s’adonnent à toutes sortes de pratiques pour donner des consignes de votes. Et ces consignes sont souvent suivies du fait de leur influence morale. A un point » tel que les chefferies sont courtisées par les partis politiques, qui vont jusqu’à la corruption pour conquérir les plus grand nombre possible de chefs traditionnels.

Mais une fois les élections terminées, le parti ou la mouvance au pouvoir devient le maitre du jeu. Et la chefferie, désormais esclave de son propre jeu (ou de celui des autres), en devient l’instrument. L’Etat détient le bâton, et au moindre manquement, il frappe. L’Etat prévoit des sanctions contre les chefs en cas de faute ou de manquement. Ces derniers obéissent à un régime disciplinaire, ils ont des droits et des devoirs comme n’importe quel autre fonctionnaire. L’Article 31 du statu stipule : « Les autorités investies du pouvoir de nomination des chefs coutumiers exercent à l’encontre de ces derniers le pouvoir disciplinaire ».

Dans l’histoire de la chefferie au Niger, on retient qu’elle a beaucoup souffert sous le régime militaire de Seyni Kountché (1974-1989). Beaucoup de chefs ont été révoqués à l’époque. La démocratie semble avoir rendu une certaine sécurité à la chefferie. Ce n’est cependant pas le cas car les procédures de nomination et de révocation des chefs n’ont pas changé : le gouvernement a toujours le dernier mot, il reste et demeure le juge de la chefferie. Le gouvernement peut toujours révoquer un chef lorsqu’il considère que celui-ci n’est plus apte à diriger sa communauté.

Sous Tandja, une chefferie aux abois

La destitution du Sultan de Zinder par le régime Tandja est un exemple palpable de cette subordination. Sur la base d’une accusation de ses frères, le sultan de Zinder a été limogé du trône par le gouvernement. Même le président de l’association des chefs traditionnels a reconnu le vice de la procédure et le caractère passionnel de l’affaire dite du Sultan de Zinder.

« Pour le Secrétaire Général de l’Association des Chefs Traditionnels du Niger, l’Administration, après avoir reçu une plainte à l’encontre du sultan de Zinder, a pris des sanctions sans respecter la procédure prévue par les textes. Il précise que celle-ci a pris d’abord un arrêté de suspension et ensuite un autre de destitution à l’encontre du chef et ceci en violation de l’ordonnance 93- 028 du 30 mars 1993, portant statut de la chefferie traditionnelle en République du Niger qui stipule en son article 32 que « il est cependant, crée au niveau national, régional et sous régional des commissions de discipline chargées de donner leurs avis avant toute mesure disciplinaire devant frapper un chef coutumier ». »
 [4]

Jamais la chefferie n’a été aussi menacée que sous le régime Tandja : les mythes qui l’entouraient sont cassés (le gouvernement faisait défiler les chefs à l’occasion des fêtes nationales) ; les nominations des chefs ne sont plus objectives, ce qui remet en cause la légitimité de certains chefs ; la cohabitation avec les élus locaux est de plus en plus difficile. Les maires sont des princes ou des personnalités qui revendiquent leur légitimité populaire vis-à-vis des chefs. Beaucoup d’élus locaux pensent que les chefs sont des opportunistes, qu’il faut désormais éloigner de la gestion des localités. L’argument qu’ils avancent est qu’ils sont les seuls responsables des communes en tant qu’élus dotés d’un cahier des charges. Cette responsabilité ne peut être correctement assumée si les chefs traditionnels s’immiscent dans leur gestion. [5]

Dans ces conditions, quel choix restait-il à la chefferie ? Beaucoup de chefs se sont adonnés au culte de la personnalité du président pour avoir sa sympathie. Puisqu’ils ne sont plus en mesure de résister comme ils l’on toujours fait face au danger, ils coopèrent désormais pour survivre. La participation de la chefferie au Tazarcé était donc prévisible dans ce contexte. Peu audacieuse, elle négocie une place à côté du maître.

Tazarcé ou la mort.

Des chefs de canton et de groupement ont été à l’avant-garde du mouvement Tarzatcé. Ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour rallier la population au mouvement. Certains, plus rétifs, n’ont malgré tout eu d’autre choix que de montrer un minimum leur capacité de mobilisation, pour ne pas hypothéquer leur avenir et des ressources non négligeables. Si la situation est bigarrée, globalement l’appui de la chefferie au mouvement est indéniable.

Mais les Nigériens sont, espérons-le, plus que jamais des démocrates. L’influence morale des chefs sur la masse rurale pourrait s’être fortement consumée avec le Tazarcé. Par exemple de la chefferie de Dosso, fief d’un des leaders de l’opposition (feu Moumouni Djermakoye), a été saccagée et brûlée par des manifestants anti-Tazarcé. Les jeux sont complexes à déchiffrer, mais on peut espérer qu’à la faveur de la situation actuelle un mouvement de renouveau démocratique puisse s’ancrer dans la prise de conscience que chacun doit pouvoir faire entendre sa voix. Le processus de décentralisation – toujours en cours – sera sans doute fortement influencé par la crise politique que traverse le pays.

En soutenant le Tazarcé, les chefs traditionnels espéraient effectivement une récompense en termes de sécurisation de leur trône. Leurs pouvoirs seront-ils renforcés en étant au Sénat du président ? Ont-ils un avenir dans un Niger démocratique ? Le débat reste ouvert.


Notes

[1Titre xii, constitution du 4 Aout 2009.

[2Les chefs sont des fonctionnaires de l’Etat avec salaire et autres avantages. Leur rôle reste néanmoins toujours ambigu.

[3« Le chef traditionnel dispose du pouvoir de conciliation des parties en matière coutumière, civile, et commerciale. Il règle selon la coutume l’utilisation par les familles ou les individus des terres de cultures et espaces pastoraux, sur lesquels la communauté coutumière dont il a la charge possède des droits coutumiers reconnus. » (Article 15 de l’Ordonnance n° 93-028 du 30 mars 1993portant statut de la chefferie traditionnelle du Niger).

[4Rapport d’enquête, CNDHLF sur l’affaire Sultan de Zinder, août 2001, p°3.

[5Plusieurs études ont été menées sur les pouvoirs locaux par les chercheurs du LASDEL. Ces études rendent compte des formes multiples de conflits entre les maires et les chefs traditionnels.


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.