• Contact
  • Connexion

La crise haïtienne vue de Pékin

Les discussions autour de la situation en Haïti au sein du Conseil de sécurité de l’ONU mettent en évidence la polarisation croissante entre Washington et ses alliés, d’un côté, la Chine, de l’autre. Pékin fait de la crise haïtienne une tribune pour critiquer l’ordre mondial. Mais jusqu’à quel point la diplomatie chinoise offre-t-elle une alternative ?

Deuxième partenaire commercial de la région Amérique latine et Caraïbes (ALC), le poids économique qu’a acquis le géant asiatique sur le continent ne se traduit pas pour autant directement sur le plan politique. Au contrairement même, Pékin n’a de cesse de mettre en avant son pragmatisme. Désireuse de ne pas bousculer Washington dans ce qu’il continue à concevoir comme son pré-carré, l’État chinois agit avec retenue, n’intervenant pas dans les affaires intérieures, et insistant sur le caractère purement économique – et avantageux – de ses échanges, dépourvus d’arrière-pensées politiques.

Il existe cependant un contre-exemple (relatif) au profil politiquement bas adopté par l’État chinois, à son « pragmatisme » et à sa volonté d’éviter les points de tension avec Washington dans sa zone d’influence. Depuis deux ans, en effet, la Chine se confronte directement aux États-Unis, sur la situation en Haïti et la manière dont l’ONU gère la crise actuelle. Petit État caribéen, largement dépourvu de ressources naturelles, le cas haïtien n’est cependant pas anecdotique. Il permet d’interroger la vision chinoise ainsi que les relations sino-latino-américaines à partir d’une expérience particulière, et de mettre à l’épreuve l’alternative, voire l’anti-impérialisme, que constituerait le modèle chinois.

La crise haïtienne

En 2018, Haïti est secoué par un soulèvement populaire. Jamais depuis le renversement de la dictature des Duvalier, en 1986, le pays n’avait connu un mouvement d’une telle ampleur. Au cœur des revendications : la lutte contre la vie chère et les inégalités, la corruption et l’impunité, L’augmentation du prix du carburant et la mise en évidence des centaines de millions d’euros des fonds Petrocaribe détournés – le plus grand crime financier que le pays ait connu –ont servis de détonateurs. L’oligarchie qui détient les rênes du pouvoir économique et politique est clairement dans le viseur [1].

Au cours de 2018-2019, à plusieurs reprises, les Haïtiens et Haïtiennes descendent en nombre dans les rues, bloquent des semaines durant le pays – peyi lock –, partagent au grand jour leur soif de changement. Mais, cet espoir est violemment réprimé par le pouvoir en place, qui va instrumentaliser les bandes armées pour briser les manifestations, plongeant le pays dans une spirale de violences [2].

De 2018 à nos jours, Haïti a subi une quinzaine de massacres [3]. Dans le même temps, le nombre de personnes en insécurité alimentaire et/ou ayant besoin d’une assistance humanitaire a plus que doublé, affectant plus de 40% de la population, et le choléra a refait son apparition [4]. La majeure partie de la capitale est aux mains des gangs, les enlèvements et les viols deviennent quotidiens [5], et tous les indicateurs socio-économiques et en matière de droits humains sont au rouge. L’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, a constitué une étape de plus dans cette descente en enfer.

Fruit des mobilisations de 2018-2019, l’ensemble des syndicats et églises, mouvements paysans et de femmes, organisations sociales et étudiantes, ont fini par converger autour d’une revendication – une transition de rupture – et d’un programme, formalisé le 30 août 2021 dans l’Accord de Montana (du nom de l’hôtel où cet accord a été conclu [6]). Mais le Premier ministre, Ariel Henry, forme entretemps un nouveau gouvernement, entend organiser au plus vite les élections et s’assure le soutien inconditionnel des chefs de files de la communauté internationale.

Situé à quelques heures de vol de Miami et de Cuba, Haïti est tout à le fois le pays de la révolution des esclaves, lesquels ont érigé en 1804 le premier Etat indépendant d’Amérique latine, et le pays le plus pauvre et le plus inégalitaire du continent, L’histoire récente d’Haïti est marquée par sa vulnérabilité aux aléas climatiques, l’ingérence de Washington et la dépendance envers les institutions internationales, au premier rang desquelles figure l’ONU. Ainsi, à la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) de 2004 à 2017, a succédé la Mission des Nations unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) et, depuis 2019, le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh).

En 2000, la Chine représentait un partenaire commercial très périphérique pour Haïti. Dix ans plus tard, alors que le pays des Caraïbes est frappé par un séisme de grande ampleur, et que Pékin participe de manière significative à l’aide internationale, la valeur des importations chinoises par Haïti a pratiquement été multipliée par dix. Bien qu’Haïti ait, contrairement à Panama, au Salvador et à la République dominicaine et au Nicaragua [7], maintenu ses relations diplomatiques avec Taïwan – gage d’un alignement sans faille sur Washington –, cette tendance s’est poursuivie, au point qu’en 2020, la Chine est devenue la troisième source des importations haïtiennes (représentant 16% des importations totales [8]). Par ailleurs, l’État chinois a participé à la Minustah avec une unité de police.

La crise haïtienne a une résonnance régionale et même mondiale. Elle soulève la question de la légitimité et de l’efficacité des interventions onusiennes, ainsi que leur perméabilité aux priorités stratégiques des États-Unis. Plus globalement, elle met en lumière l’architecture asymétrique des relations internationales. C’est sur cette base que, ces dernières années, au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, Pékin critique les missions onusiennes, se confronte directement à Washington, et entend faire prévaloir une voie distincte.

Tensions diplomatiques

Lors du vote au Conseil de sécurité du 25 juin 2019, instaurant le BINUH pour une période initiale d’un an (à partir d’octobre 2019), la Chine fut, avec la République dominicaine (et pour des raisons opposées), le seul pays à s’abstenir ; les treize autres membres approuvant la mise en place de ce Bureau [9]. Afin de justifier son vote, le représentant chinois rappela qu’il avait insisté pour que le mandat du BINUH soit « clair et concis », et souligné, par ailleurs, que la Chine avait proposé des amendements qui ne furent pas pris en compte.

En octobre 2020, se posa donc la question du renouvellement du mandat du BINUH [10]. La Chine proposa un nouveau mandat de six mois plutôt que d’un an ; mandat qu’elle entendait lier à une évaluation stratégique de la mission onusienne et à la mise en place d’une stratégie de sortie et de transfert des compétences au profit du gouvernement haïtien. Pékin demanda en outre d’inclure la dégradation de la situation sécuritaire et des droits humains dans le texte de la résolution. Seule la Fédération de Russie (désormais Russie) soutint la position chinoise.

Le rôle du BINUH devînt le point de focalisation des tensions et oppositions au sein du Conseil de sécurité. Et ce d’autant plus que la représentante du BINUH est une diplomate nord-américaine, Helen Lalime, qui tend à faire de l’instance onusienne la simple caisse de résonnance de la politique de la Maison blanche. N’est-il pas ironique que ce soit justement Moscou et Pékin qui soulevèrent la question des droits humains et de la légitimité d’une intervention internationale ?

En octobre 2021, alors que la situation du pays se détériore – et à la mesure de cette détérioration –, la Chine réitère ses demandes et critiques, soutenues par la Russie. Mais cette fois elles est rejointe par le Kenya, le Niger, la Tunisie et Saint Vincent et Grenadines (le « A3 plus un »). Suite à des négociations difficiles, il est finalement décidé que le mandat du BINUH serait renouvelé pour une période de neuf mois et qu’une évaluation ex-post serait menée. Cela marquait une avancée diplomatique du gouvernement chinois. Par ailleurs, Pékin insista sur le fait que la responsabilité première pour affronter les défis relevait du gouvernement haïtien.

Au cours des discussions et négociations de juin-juillet 2022, alors qu’un nouveau massacre était en cours dans la capitale, Port-au-Prince [11], fut décidé, sur base d’une évaluation somme toute assez superficielle, le renouvellement et un renforcement relatif du BINUH. La Chine continua à exercer une pression sur les autres membres, dont le gouvernement haïtien, tout en se montrant ouverte au compromis. Elle proposa – ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant – d’organiser et d’envoyer une mission internationale de police – et de demander au gouvernement haïtien de trouver un accord avec les autres parties prenantes, endéans les six mois. La première proposition fut rejetée ; la seconde aboutit à un compromis : le Premier ministre haïtien devait présenter, au plus tard le 17 octobre 2022, les avancées du dialogue.

De manière générale, la Chine a étendu sa critique du BINUH à l’expérience des interventions onusiennes en Haïti au cours de ces trente dernières années et, plus globalement encore, au modèle de l’aide de la communauté internationale, jugé inefficace et non durable. Ainsi, malgré les 15 milliards de dollars (14,3 milliards d’euros) investis dans le pays, non seulement les résultats ne sont pas au rendez-vous, mais la situation s’est encore dégradée. D’où la nécessité de tirer les leçons du passé et d’adopter une « nouvelle approche ».

La critique de la diplomatie onusienne se double d’une mise en cause de la politique de Washington. Explicitement, en exprimant ses inquiétudes quant aux rapatriements forcés des migrants haïtiens depuis les États-Unis ; implicitement, depuis 2022, en appelant un embargo sur les armes (dont la majorité provient de Miami), et en mettant en avant, à l’encontre de toute stratégie unilatérale, les États et organisations régionales des Caraïbes qui ont la « meilleure connaissance » et sont « les mieux placés » pour venir en aide à Haïti.

Dernière étape (en date)

La dernière étape (en date) de cette confrontation diplomatique s’est joué lors de la réunion du Conseil de sécurité d’octobre 2022. Le Premier ministre haïtien, en proie à une nouvelle flambée de manifestations exigeant (à nouveau) son départ, demanda une intervention armée internationale ; demande tout de suite appuyée par les secrétaires généraux de l’OEA et de l’ONU, ainsi que par Washington [12].

La Chine prit le leadership des pays qui tenaient à séparer la question des sanctions – qui pouvait plus facilement trouver un consensus – de celle d’une intervention armée – autrement plus problématique –, en exigeant deux résolutions distinctes. Alors que la Chine (comme la Russie) s’était traditionnellement montrée réticente face à l’adoption de sanctions dans les relations internationales, elle les approuva dans le cas haïtien, permettant de la sorte un vote à l’unanimité au Conseil de sécurité le 21 octobre 2022.

La résolution 2653 « crée un régime de sanctions concernant Haïti (interdiction de voyager, gel des avoirs et embargo sur les armes ciblé) », visant « à prendre des mesures appropriées contre quiconque participerait à la violence en bande organisée et à des activités criminelles ou à des atteintes aux droits humains ou appuierait de tels actes ou agirait de manière à compromettre la paix, la stabilité et la sécurité d’Haïti et de la région » [13].

Cette inflexion diplomatique de Pékin par rapport aux sanctions se doublait d’une réaffirmation de sa réticence à toute intervention internationale armée en Haïti. Il est paradoxal que ce soit la Chine qui ait, au sein du Conseil de sécurité, soulevé la question non seulement de la realpolitik, mais aussi de la légitimité démocratique d’une telle intervention, en demandant, par la voix de son ambassadeur, Geng Shuang :

« Nous avons également pris note de l’opposition de certains partis et groupes politiques à la présence de forces armées étrangères en Haïti. Comme le gouvernement haïtien manque de légitimité et est incapable de gouverner, le déploiement d’une force d’action rapide en Haïti recevra-t-il la compréhension, le soutien et la coopération de toutes les parties en présence ? Sera-t-il confronté à une résistance, voire à une confrontation violente de la part de la population ? Ces facteurs doivent être considérés de manière intégrée et être traités avec prudence » [14].

Il apparaît également paradoxal que lorsque la Chine proposa, trois mois plus tôt, le déploiement d’une force de police internationale, plusieurs membres du Conseil de sécurité affirmèrent, à juste titre, qu’une telle intervention pourrait aller à l’encontre des vœux exprimés par les Haïtiens et Haïtiennes. Suffit-il que les États-Unis poussent à une intervention internationale pour que s’effacent les voix haïtiennes ?

Enjeux (géo)politiques

Le positionnement de la Chine par rapport à la crise haïtienne est le plus souvent présenté par les observateurs soit comme un positionnement purement opportuniste d’un point de vue géopolitique – en fonction des liens diplomatiques qu’entretient Port-au-Prince avec Taïwan – soit, enfin, comme l’expression d’une stratégie internationale différente, voire d’un anti-impérialisme conséquent [15]. En réalité, il s’agit d’explications partielles et partiales de la politique de Pékin.

Si la question de Taïwan entre en compte, ce n’est que de façon secondaire. Comme le prouvent les relations de Pékin avec les pays de la région – dont Haïti –, les liens avec Taipei ne constituent pas un obstacle majeur au développement des échanges. Et le gouvernement chinois use de son soft power plutôt que de la confrontation diplomatique directe, pour pousser les pays à adopter le principe d’« une seule Chine ».

De plus, si Pékin se montre critique envers le gouvernement haïtien, cela ne signifie pas pour autant qu’il soutient la société civile locale. À l’instar des autres pays – et peut-être davantage même –, le prisme de la diplomatie chinoise est la souveraineté étatique ; pas la souveraineté populaire. Et le décalage, les tensions, voire les antagonismes entre ces deux dimensions souveraines n’y changent rien.

Le rôle positif que Pékin joue au sein du Conseil de sécurité par rapport à Haïti tient à ce qu’il se montre autrement plus critique envers le gouvernement haïtien et, surtout, qu’il constitue un garde-fou à l’ingérence états-unienne et à la perméabilité de l’ONU aux injonctions de Washington. Cela traduit cependant bien moins une marque de solidarité envers le peuple haïtien – jamais Pékin ne s’est prononcé sur les manifestations de 2018-2019 ou l’Accord de Montana – que l’application du principe de non-intervention politique dans les affaires intérieures d’un pays. Par ailleurs, la Chine n’a pas réagi, à l’heure actuelle, aux sanctions imposées par le gouvernement canadien envers des membres de l’élite politique et économique haïtienne [16].

La moitié de tout ce qu’Haïti exporte vers la Chine est composée de produits textiles – dont une part importante des matières premières provient du géant asiatique lui-même –, fabriqués dans les zones franches. Le reste est essentiellement composé de peaux de cuir tanné, d’huiles essentielles et de cuivre. Et près de 30% de tout ce que la Chine exporte vers Haïti est composé de matières premières textiles pour la fabrication dans les usines de sous-traitance [17]. Quant à la balance commerciale, elle est très négative pour le pays caribéen. En 2020, Haïti a exporté vers la Chine pour une valeur totale d’un peu moins de trois millions de dollars, alors que ses importations en provenance du pays asiatique s’élevaient à un peu plus de 700 millions de dollars, soit trente-six fois plus…

Bref, la structure des échanges commerciaux avec la Chine ne se différencie guère de celle avec les États-Unis, et confirme plutôt qu’elle n’infirme la place spécialisée et subordonnée d’Haïti dans la division internationale du travail, piégeant un peu plus le pays dans une situation de dépendance. Si Washington et Pékin s’opposent sur le respect de la souveraineté de l’État caribéen, ils tendent à converger dans une même mécanique d’assujettissement économique. Et celle-ci détermine très largement, en retour, l’architecture sociale et l’orientation politique du pays, toutes deux configurées par l’oligarchie locale.

La situation en Haïti illustre les divergences diplomatiques réelles ; divergences que Pékin exploite en fonction de ses intérêts. En mettant au-devant de la scène internationale la triple impasse de l’ingérence états-unienne, des interventions onusiennes et de la géopolitique Nord-Sud, la crise haïtienne constitue une tribune avantageuse pour la Chine. Celle-ci s’en sert pour critiquer (à juste titre) le double langage du monde occidental – condamnant l’impérialisme russe en Ukraine, tout en soutenant l’ingérence néocoloniale en Haïti – et pour promouvoir sa politique étrangère.

La diplomatie chinoise relève donc à la fois de lignes stratégiques, de choix opportunistes et d’affirmation de ses propres intérêts. Et, à la différence des États-Unis, elle repose sur la non-ingérence. Il serait cependant erroné de confondre ce principe, qui équivaut à une forme de laisser-faire politique – marquant une neutralité, voire une indifférence quant aux formes étatiques et aux manières de gouverner [18] – avec une solidarité Sud-Sud, relevant, elle, d’une dynamique interventionniste, sur une base non asymétrique.

Une chance pour Haïti ?

À court terme, Haïti pourrait, sans doute, bénéficier des investissements chinois et du contre-poids diplomatique de Pékin pour se dégager quelque peu de « l’arrière-cours » de Washington - à condition cependant de rompre avec Taïwan. L’État haïtien n’aurait pas non plus à craindre l’immixtion dans ses affaires intérieures du côté du géant asiatique. Cela étant dit, il ne faut pas s’illusionner ; les relations resteront encore et toujours surdéterminées par le America first et le China first.

La réaffirmation de la souveraineté haïtienne implique de se tourner prioritairement vers la production locale et les besoins de la population. Soit de s’opposer à la mainmise du voisin nord-américain et d’aller à l’encontre des intérêts de Washington… et de toute autre puissance régionale ou mondiale. L’enjeu le plus important pour le pays est de se dégager d’échanges commerciaux inégaux, qui consacrent l’oligarchie locale – placée dans les nœuds de l’import-export, elle se repaît de la dépendance du pays – et la logique impériale qui gouverne l’économie et l’État haïtiens.

Mais, peut-être la principale leçon des tensions diplomatiques internationales autour d’Haïti se dessine-t-elle en creux ; dans l’absence d’un leadership et même d’une stratégie régionale, en matière d’environnement, d’économie, de sécurité, etc. Force est, en effet, de constater que, non seulement la région caribéenne et, plus largement, latino-américaine, demeure encore très passive face à la crise haïtienne, mais aussi qu’elle agit en ordre dispersé et même opposé.

Or, la Chine n’est pas totalement étrangère à cette situation. D’un côté, elle en appelle aux forces régionales pour contribuer à trouver une solution à la crise haïtienne, mais, de l’autre, elle développe des échanges commerciaux bilatéraux, au détriment des marchés locaux, et ne cessent d’entraver ou de freiner la montée en puissance d’une forme de régionalisme, qui risquerait d’aller à l’encontre de ses propres intérêts ou, à tout le moins, de conditionner (davantage) ses relations avec le continent latino-américain [19].

Le Mexique, qui a été à plusieurs reprises le porte-plume, avec les États-Unis, des résolutions de l’ONU, semble être sur la même ligne que Washington, tandis que la République dominicaine, partageant l’île avec Haïti, construit un mur sur sa frontière, déploie une politique xénophobe et appelle à une intervention armée chez son voisin [20]. Quant à la majeure partie des autres États latino-américains, ils se montrent indifférents, sinon atones.

Le nouveau gouvernement colombien de Gustavo Petro s’est distingué par des déclarations fortes – la demande de pardon pour l’assassinat de l’ex-président haïtien par des mercenaires colombiens, et la reconnaissance de la dette historique de la Colombie et de l’Amérique latine envers le pays caribéen [21] –, qui ne se sont pas pour autant, jusqu’à présent, traduites par une diplomatie active et différente.

La nouvelle vague rose qui se dessine sur une partie du continent après la victoire électorale de candidats et candidates de gauche ou de centre-gauche en 2022 annonce-t-elle un activisme régional et une politique internationale plus indépendante et affirmative vis-à-vis d’Haïti ? Rien n’est moins sûr.

En attendant, le vacuum actuel laisse la place à l’ingérence de Washington et, indirectement, à un jeu géopolitique au sein duquel les États latino-américains continuent d’occuper une place subalterne. Le garde-fou que constitue la diplomatie chinoise par rapport à l’interventionnisme états-unien en Haïti – aussi propice qu’il soit –, ne représente pas plus le point de départ d’une stratégie de développement alternative que le fondement d’un renversement des rapports de dépendance, caractéristiques de la dynamique centre-périphérie.

Télécharger La crise haïtienne vue de Pékin PDF - 4 Mo

Notes

[1Frédéric Thomas, « Les deux racines de la colère haïtienne », Cetri, 30 janvier 2020, https://www.cetri.be/Les-deux-racines-de-la-colere.

[2Frédéric Thomas, « Haïti, État des gangs dans un pays sans État », Cetri, 7 juillet 2022, https://www.cetri.be/Haiti-Etat-des-gangs-dans-un-pays.

[3Sur ces massacres, lire les rapports de la RNDDH (https://web.rnddh.org/).

[5Pour s’en faire une idée, lire Orla Guerin, « Haiti : Inside the capital city taken hostage by brutal gangs », BBC, 5 décembre 2022, https://www.bbc.com/news/world-latin-america-63707429.

[7Ces pays ont rompu leurs relations avec Taïwan en 2017-2018, pour les trois premiers, et en 2021 en ce qui concerne le Nicaragua. Au cours de sa campagne électorale, l’actuelle présidente hondurienne, Xiomara Castro, s’était, elle aussi, engagée à rompre avec Taïwan au bénéfice de Pékin, mais elle n’en a rien fait jusqu’à présent. Sur cette question, lire China en America latina, « China vs. Taiwán : qué países de América Latina y el Caribe reconocen a la “isla rebelde” », China en America latina, 3 août 2022, https://chinaenamericalatina.com/2022/08/03/china-vs-taiwan-que-paises-de-america-latina-y-el-caribe-reconocen-a-la-isla-rebelde/.

[9“Security Council Establishes United Nations Integrated Office in Haiti, Adopting Resolution 2476 (2019) by 13 Votes, 2 Abstentions », 25 juin 2019, Reliefweb, https://reliefweb.int/report/haiti/security-council-establishes-united-nations-integrated-office-haiti-adopting-resolution. « En 2019, outre les cinq membres permanents, à savoir Chine, France, Fédération de Russie, Royaume-Uni et États-Unis, le Conseil était composé des membres non permanents ci-après : Afrique du Sud, Allemagne, Belgique, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale, Indonésie, Koweït, Pérou, Pologne et République dominicaine », ONU, Aperçu de la pratique du Conseil de sécurité en 2019, https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/highlights-2019.

[10Sauf mention contraire, les informations et citations proviennent des rapports des discussions au sein du Conseil de sécurité de l’ONU : https://www.securitycouncilreport.org/.

[11RNDDH, « Nouvelle guerre à Cité Soleil : Le RNDDH exige l’intervention immédiate de l’institution policière », 13 juillet 2022, https://web.rnddh.org/.

[12L’origine immédiate des manifestations tenait dans la décision gouvernementale de doubler les prix des carburants. Voir Frédéric Thomas, « Bruit de bottes en Haïti », Cetri, 13 octobre 2022, https://www.cetri.be/Bruit-de-bottes-en-Haiti.

[13ONU, « Haïti : Le Conseil de sécurité adopte un régime de sanctions ciblées visant Jimmy Cherizier et ceux qui menacent la paix, la sécurité ou la stabilité », 21 octobre 2022, https://press.un.org/fr/2022/cs15073.doc.htm.

[14« Remarks by Ambassador Geng Shuang at the UN Security Council Briefing on Haiti », 17 octobre 2022, http://un.china-mission.gov.cn/eng/hyyfy/202210/t20221018_10785454.htm.

[15Sur cette question, lire Cédric Leterme, « Édito : Au-delà de la ‘menace’ chinoise », Alternatives Sud, Chine : l’autre superpuissance, vol. XXVIII, n°1, 2021, https://www.cetri.be/Au-dela-de-la-menace-chinoise ; et Frédéric Thomas, Chine - Amérique latine et Caraïbes : Coopération Sud-Sud ou nouvel impérialisme ?, Cetri, 2020, https://www.cetri.be/Chine-Amerique-latine-et-Caraibes.

[16Gouvernement du Canada, Le Canada impose des sanctions contre des membres de l’élite économique haïtienne, 5 décembre 2022, https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2022/12/le-canada-impose-des-sanctions-contre-des-membres-de-lelite-economique-haitienne.html.

[18Encore que, la diplomatie chinoise s’accorde mal avec des États soumis à des contre-pouvoirs forts qui, en exigeant un droit de regard, le respect de normes et de principes nationaux et internationaux, et en exerçant un contrôle sur les politiques mises en œuvre, sont plus susceptibles de mettre en cause les projets développés avec la Chine, ainsi que les échanges commerciaux.

[19Frédéric Thomas, Chine - Amérique latine et Caraïbes : Coopération Sud-Sud ou nouvel impérialisme ?, Cetri, 2020, https://www.cetri.be/Chine-Amerique-latine-et-Caraibes.

[20Assemblée des peuples Caraïbes (APC) Chapitre-Haïti, « APC-Haïti condamne les violences et répressions systématiques exercées contre les migrant-e-s haïtien-ne-s en République Dominicaine », 22 novembre 2022, https://www.pressegauche.org/APC-Haiti-condamne-les-violences-et-repressions-systematiques-exercees-contre.

[21Voir « Petro pide perdón a Haití por asesinato de presidente, cometido por colombianos », El Tiempo, 22 septembre 2022, https://www.eltiempo.com/politica/gobierno/petro-pide-perdon-a-haiti-por-asesinato-de-presidente-moise-704268 ; et « Vicepresidenta Francia Márquez Mina, sostuvo encuentro clave con el Embajador de Haití en Colombia Jean Mary Exile », 26 septembre 2022, https://fmm.vicepresidencia.gov.co/prensa/Paginas/Vicepresidenta-Francia-Marquez-Mina-sostuvo-encuentro-clave-con-el-Embajador-de-Haiti-en-Colombia-Jean-Mary-Exile.aspx.


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.