Les critiques légitimes qui peuvent être formulées à l’encontre de la présidence d’Evo Morales ne peuvent exonérer notre pays de sa responsabilité première de ne pas reconnaître le retour au pouvoir illégal et violent de la vieille oligarchie bolivienne.
Ce dimanche 10 novembre, la Bolivie a été victime d’un coup d’État militaire. Après plusieurs semaines de protestations de la part de l’opposition contre le résultat contesté des élections du 20 octobre attribuant à Evo Morales la victoire au premier tour, le chef d’état major de l’armée et le chef de la police de La Paz ont “suggéré” au Président de quitter le pouvoir.
Les protestations de l’opposition s’enracinent dans une polarisation très forte de la société bolivienne depuis plusieurs années déjà. Elles épousent largement les antagonismes historiques entre les régions riches de la Media Luna et les périphéries déshéritées, largement peuplées d’indigènes, qui composent de 50 à 65 % de la population.
Les 14 années au pouvoir de M. Morales ont été caractérisées par une progression sans précédent de la situation sociale de cette seconde catégorie. Les communautés indigènes ont été reconnues comme partie intégrante de la Nation, des programmes sociaux ambitieux aux résultats unanimement reconnus ont été lancés en faveur des masses jusqu’alors victimes d’une exploitation séculaire, et les bénéfices tirés par les multinationales des rentes gazières ont pu être réorientés vers la population bolivienne elle-même. Les chiffres publiés par les organismes internationaux démontrent notamment une baisse drastique des taux de pauvreté et d’analphabétisme. S’il est légitime de s’interroger sur les raisons de l’érosion manifeste de la popularité de M. Morales, il faut être clair sur la situation actuelle.
Les jours qui ont suivi la démission de M. Morales ont donné lieu à un déferlement de violence symbolique comme physique à l’encontre des classes populaires et des indigènes. Si derrière les manifestations contre le résultat des élections se trouvaient énormément de personnes sincères, ce sont aujourd’hui des groupes fascistes qui, la Bible à la main, brûlent le drapeau wiphala (symbole des ethnies andines) et font la loi dans les rues. Les déclarations des nouvelles autorités ne souffrent d’aucune ambiguïté sur la place qui attend les indigènes dans la Bolivie post-Morales.
Jeanine Añez, vice-présidente du Sénat, investie présidente par intérim de manière illégale (faute de disposer du quorum requis au Parlement bolivien), a par exemple déclaré en 2013 “rêver d’une Bolivie libre des rites sataniques des indigènes, la ville n’est pas faite pour les Indiens, qu’ils retournent dans les montagnes”. Autre artisan du coup d’État, le millionnaire d’extrême droite Fernando Camacho s’est quant à lui fait photographier au Palais présidentiel à genoux devant la Bible en proclamant : “La Pachamama (Terre mère révérée par les Indiens) ne reviendra jamais au Palais. La Bolivie appartient désormais au Christ.”
Sur les réseaux sociaux abondent des vidéos de ratonnades d’Indiens, d’incendies de domiciles de membres du MAS (le parti du président) mais également de manifestations en faveur et en opposition au coup d’État. La situation est donc explosive, et il importe de renouer au plus vite avec l’ordre démocratique et constitutionnel.
Les expressions légitimes, pacifiques et démocratiques de manifestants ne doivent pas nous conduire à fermer les yeux sur la prise de pouvoir antidémocratique par les franges les plus réactionnaires des classes dominantes. Reconnaître l’autorité de ces dernières représenterait un blanc-seing pour laisser libre cours au déferlement de la violence raciste, intégriste religieuse et profondément antisociale qui se manifeste d’ores et déjà. Cela contribuerait également à saper les efforts de médiation entamés par les acteurs régionaux et internationaux.
Pour ces raisons, et quels que soient nos analyses et points de vue quant aux causes de la crise actuelle, il est impératif d’exiger que la Belgique dénonce sans ambiguïté ce coup d’État, comme l’a déjà fait le gouvernement espagnol.