Ce concept suppose que tous les pays financent à hauteur de leurs moyens un ensemble de biens publics mondiaux. Un changement qui serait à la fois juste et vital.
Loin d’être le signe d’une solidarité internationale en marche, la récente promesse des pays du G7 de livrer un milliard de doses de vaccin contre le coronavirus aux pays les plus pauvres d’ici la fin de l’année 2022 illustre les failles de la coopération intergouvernementale en matière de santé publique mondiale. Trop peu et trop tard, notamment au regard des objectifs initiaux du mécanisme international Covax. Mais ce que l’annonce des Cornouailles a de plus problématique, c’est qu’elle montre que la résolution d’une crise mondiale continue à dépendre de la bonne volonté et de la générosité du club des pays les plus riches. Un message gravement contre-productif au vu des immenses défis de coordination internationale qu’exige la résolution des enjeux planétaires en cours et à venir, à commencer par celui du dérèglement climatique.
Une révolution s’impose
Les errements de la diplomatie vaccinale sont la dernière manifestation d’une coopération internationale défaillante, notamment (mais pas seulement) car elle demeure engluée dans une logique d’« aide » inadaptée aux défis du XXIe siècle. Une révolution s’impose : dans un monde interdépendant, où ce qui se joue dans un coin de la planète a des conséquences potentielles sur l’ensemble des pays du globe, il faut passer de « l’aide » à « l’investissement public global ». Ce saut qualitatif est défendu par Jonathan Glennie dans un ouvrage convaincant publié en début d’année (The Future of Aid. Global Public Investment, Londres, Routledge).
L’aide suppose qu’un pays riche transfère des ressources à un pays pauvre en vue de suppléer au manque de ressources de celui-ci pour financer « son » développement. Le montant, la durée et les conditionnalités attachées à ce transfert sont unilatéralement décidés par le pays donateur, qui présente ce « don » comme le fruit de sa générosité, tout en s’efforçant d’en tirer un bénéfice diplomatique ou commercial. En revanche, l’investissement public global relève de la responsabilité de tout État, pauvre ou riche, de contribuer à hauteur de ses moyens au financement de biens publics mondiaux dont la préservation est cruciale à la survie de l’ensemble de l’humanité. Il ne s’agit pas d’un don, mais d’une contribution stable et prévisible au financement du « commun » dans un monde interdépendant. La démarche s’inscrit dans une logique de politique publique à l’échelle mondiale.
Changement d’échelle
L’idée de mise en commun de ressources préside déjà à nombre de fonds, de programmes et d’agences internationales, à commencer par l’OMS. Néanmoins le concept d’« investissement public mondial » proposé par Jonathan Glennie suppose, d’une part, un changement d’échelle dans les montants concernés et les problématiques prises en charge, d’autre part, la systématisation d’un mode de fonctionnement universel : l’ensemble des pays contribuent eu égard à leurs moyens ; l’ensemble des pays participent au processus décisionnel indépendamment de ces moyens ; l’ensemble des pays bénéficient des investissements eu égard à leurs besoins.
En recourant au concept d’« investissement » dans un bien public mondial, on délaisse l’idée de don « à fonds perdu » pour les pauvres « à l’autre bout du monde » qui préside à l’imaginaire de l’aide au développement. L’investissement suppose un retour pour celui qui finance, en l’occurrence sous la forme d’un monde plus sûr, plus durable, plus vivable, au Nord comme au Sud. On parle donc à l’intérêt « bien compris » du contribuable et on peut de la sorte l’amener à envisager une augmentation soutenue de cet investissement dont il est un des bénéficiaires. Par ailleurs, en adoptant une logique universelle - tout le monde contribue, décide, bénéficie -, on sort du schéma postcolonial qui continue à organiser les relations Nord-Sud (en dépit de la rhétorique du partenariat). Avec l’investissement public global, les pays du Sud n’ont plus le statut de « pays assisté » mais celui d’« ayant droit », au même titre que l’ensemble des membres de la communauté internationale.
Enfin, l’idée de contribution progressive pourrait permettre de sortir du schéma de dépendance Nord-Sud, sans pour autant perdre de vue la réalité des inégalités financières et économiques (dont l’accès inégal au vaccin est la dernière illustration). Les pays les plus riches contribuant davantage et les pays pauvres bénéficiant au-delà de leurs contributions, l’investissement public global pourrait constituer un puissant mécanisme de redistribution de la richesse mondiale au bénéfice du Sud global. Pour le ramasser en une formule, il permettrait de ne pas jeter le bébé (la solidarité) avec l’eau du bain (l’aide).
Prise de conscience
Les conditions de faisabilité de l’investissement public global sont politiques avant d’être techniques ou financières. Elles reposent en ultime instance sur la prise de conscience, dans les opinions publiques et la classe politique, que l’intérêt national est désormais tributaire d’un intérêt général planétaire.