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Haïti : intellectualité et militance

Les cadres supérieurs des appareils d’État, des entreprises privées, les petits industriels, les petits artisans, les médecins, les cireurs de chaussures, les petits employés de commerce, les soldats des portiers etc… possèdent tous (certains par rapport à d’autres) des conditions économiques d’existence totalement différentes, se traduisant à travers l’existence d’espaces sociaux (espaces de classe) très différenciés qui sont bien l’expression d’une structure de classe. En effet, en toute objectivité, il est tout à fait impossible d’affirmer que les agents supérieurs de l’État se retrouvent dans la même classe que le petit cordonnier indépendant, le marchand ambulant ou le portier d’un service administratif. Les uns vivent dans l’opulence et sont possesseurs de pouvoir tandis que les autres connaissent la pauvreté et subissent la domination et l’exploitation des premiers [1].

Que faut-il entendre par intellectuel ? D’aucuns pensent qu’un intellectuel c’est un savant, quelqu’un qui manipule les idées, les concepts, participe à la production et à la transmission des savoirs. C’est quelqu’un qui se distingue par son expertise. Lénine disait des intellectuels qu’ils doivent être des intellectuels avant-gardistes membres du parti révolutionnaire qui doivent accompagner les travailleurs dans la lutte pour la révolution [2]. Antonio Gramsci parlait d’intellectuel formel et d’intellectuel engagé. Mais au fondement de sa conception « tout homme est un intellectuel [3] ». Il y a chez Gramsci une catégorie d’intellectuels qu’il appelle « des intellectuels professionnels qu’il distingue des intellectuels au sens anthropologique. Dans la pensée de Gramsci, donc, tous les hommes sont des intellectuels, mais tous les hommes ne remplissent pas dans la société la fonction d’intellectuel [4]. Quant à Jean-Paul Sartre, il disait des intellectuels que ce sont des « personnes qui ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui relèvent de l’intelligence abusent de cette notoriété pour sortir de leur domaine et se mêler de ce qui ne les regarde pas ». Quel est le rôle de l’intellectuel ? En référence à Sartre, on dirait que c’est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Dans la perspective de Sartre, l’intellectuel c’est quelqu’un qui est engagé. On ne peut pas ne pas être engagé [5], selon lui. Son rôle donc est de s’engager.

Dans une perspective tout à fait opposée, Raymond Aron parle de L’opium des intellectuels [6] en référence au marxisme dont il est un des grands critiques. Aron établit une hiérarchie intellectuelle constituée, d’une part, de ceux qu’il appelle « les cas purs », d’autre part, les collaborateurs de la presse et de la radio [7]. Il existe, selon Aron, une « intelligentsia technique » constituée « des individus qui ont reçu dans les universités, les écoles techniques, la qualification nécessaire à l’exercice de ces métiers d’encadrement. Ou bien l’on admet les écrivains, les savants et les artistes créateurs au premier rang, les professeurs ou critique au deuxième, les vulgarisateurs ou journalistes au troisième, les praticiens juristes, ou ingénieurs, sortant de la catégorie, au fur et à mesure qu’ils s’abandonnent au désir d’efficacité et perdent le souci de culture [8] ». Ils ont pour fonction d’écrire, d’enseigner, de prêcher, de paraître sur la scène ou de pratiquer les arts et les lettres . Ces intellectuels peuvent adresser dans la pratique de leur profession trois types de critique : la critique technique, la critique morale et la critique idéologique [9].

Elsa Mourgues, en référence à Françoise Dosse, parle des trois rôles de l’intellectuel. Premièrement, l’intellectuel qui se met au service de la Cité en mettant ses compétences à la disposition des citoyennes et des citoyens conformément aux conceptions de Michel Foucault traitant des rapports des intellectuels avec le pouvoir [10] et de Paul Ricœur de « l’intellectuel spécifique » qui a pour mission de faire un travail spécifique d’éducation de la citoyenneté. Deuxièmement, l’intellectuel assurant le lien entre les experts et les citoyennes. Selon Mourgues, ils peuvent utiliser leurs compétences à rendre audibles les grands enjeux citoyens et à œuvrer dans le sens d’un approfondissement de la démocratie. Troisièmement, l’intellectuel qui se donne pour devoir de rouvrir le futur c’est-à-dire on attend des intellectuels « par l’idéologie, que par l’utopie concrète ils rouvrent un horizon d’attente, un horizon d’espérance qui n’existe plus. Or, un individu qui grandit a besoin d’un projet de vie personnel, une société qui grandit a aussi besoin de se projeter dans l’avenir, besoin d’un projet d’émancipation [11].

Dans une perspective plutôt contestataire, on dirait, à l’instar d’Edward Saïd que « l’intellectuel est la seule personne qui puisse dire la vérité́ en face de l’autorité́, c’est celui qui se fâche très rapidement, mais qui a un langage clair et audacieux [12] ». Pour mieux comprendre le rôle de l’intellectuel engagé dans la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, nous avons circonscrit notre analyse dans la période allant de 1980 à nos jours en distinguant deux types de critique intellectuelle : la critique morale et la critique idéologique avant d’analyser la situation des intellectuels haïtiens dans le contexte d’une interminable guerre des gangs à Port-au-Prince. La période considérée est divisée en deux sections : premièrement, l’offensive contre la dictature et le néolibéralisme ; Deuxièmement, la résistance contre les forces conservatrices et le coup d’État de 1991.

L’offensive morale de l’intelligentsia haïtienne contre la dictature et le néolibéralisme

L’offensive technique de l’intelligentsia haïtienne contre la dictature et le néolibéralisme coïncide avec l’arrivée au pouvoir, au début des années 1980, de deux séides du néolibéralisme, Ronald Reagan aux États-Unis et Margareth Thatcher au Royaume-Uni. Bien avant, une politique favorable aux droits humains avait été engagée par le prédécesseur de Reagan à la maison blanche, M. Jimmy Carter. Dans le cadre de cette politique de promotion des droits humains, des pressions ont été exercées sur les régimes militaires de la région latino-américaine afin de respecter les droits et de favoriser une transition à la démocratie.

Les années 1980 sont aussi marquées par la montée de la théologie de la libération en Amérique latine. Les conférences organisées à Medellin et à Puebla ont contribué à l’extension de ce courant idéologique dans la région. L’église catholique s’est divisée en deux parties : d’une part, l’église de base composée des communautés ecclésiales de base et des prêtres engagés, de l’autre, le haut clergé avec des dirigeants situés, pour la plupart, au sommet de la hiérarchie de l’église. Les adeptes de la théologie de la libération entre autres les prêtres, ont pris parti pour les pauvres, les populations marginalisées, les opprimés tandis que le haut clergé conservateur, s’arrange du côté des classes dominantes.

C’est aussi la période au cours de laquelle le représentant suprême de l’église catholique, le Pape Jean Paul II, effectua sa première visite en Haïti. Au cours de cette visite, Jean Paul II déclara : il faut que quelque chose change dans ce pays. Cette déclaration avait servi de stimulant à des groupes de jeunes au niveau des villes de province et de la capitale ainsi qu’à des prêtres de l’église, entre autres ceux qui étaient engagés dans la théologie de la libération, à renforcer leur détermination dans l’accompagnement des pauvres en vue de changer l’ordre des choses.

Au début des années 1980, écrivains, artistes, journalistes, dirigeants d’église, bref certaines catégories d’intellectuels ont adopté une posture critique vis-à-vis de la dictature. Dans une pièce de théâtre intitulée « Pèlen tèt [13] » Frankétienne et Pyram ont passé au crible la situation socio-politique en Haïti ainsi que celle des immigrants haïtiens aux États-Unis. Sur les ondes de Radio Haïti Inter, Jean Dominique, à travers ses éditoriaux, adressait de vives critiques au pouvoir. Le groupe de musique « les frères Parent » composait et interprétait des chansons qui tournaient sur les ondes de certaines stations de radio, lesquelles chansons dénonçaient les conditions de vie des populations marginalisées, la dictature, les inégalités sociales et les injustices. Influencés par la théologie de la libération, certains prêtres de l’église catholique entre autres Jean Bertrand Aristide, Jean Marie Vincent, William Smarth, Rénald Clérismé, Max Dominique, pour ne citer que ceux-là, avaient publiquement pris position en faveur des pauvres et s’étaient prononcés contre la dictature, la hiérarchie de l’église et la domination capitaliste. Ainsi, des communautés ecclésiales de base allaient voir le jour dans le Nord du pays, particulièrement à Pilate, dans l’Artibonite, à Verrettes, et dans le Plateau Central, plus précisément à Thomassique. Dans le Nord-Ouest, avec le travail de l’équipe missionnaire de Jean-Rabel, des associations de paysans pauvres (avec ou sans terre) luttant pour la défense de leurs intérêts étaient formées. Plus tard, ces associations avaient donné naissance à des organisations paysannes plus autonomes issues de l’église catholique dans le Nord, le Nord-ouest et l’Artibonite (Dominique 1996). Il y a lieu aussi de signaler la formation d’autres groupements de paysans tels que le Mouvement Paysans de Papaye (MPP) dans le Plateau Central ainsi que l’organisation paysanne « solèy leve [14] » dans le Sud.

Même au niveau de certaines assemblées protestantes, on pouvait remarquer un certain engagement en faveur de la démocratie. À cette époque, un des leaders politiques les plus populaires était justement un pasteur : Sylvio Claude. Celui-ci dirigeait le Parti Démocrate Chrétien Haïtien (PDCH). À la veille des élections de 1987, celui-ci était perçu comme celui qui pourrait gagner ces élections. L’implication des artistes, des journalistes, des écrivains et des dirigeants religieux dans la lutte populaire avait contribué à la formation de nouveaux espaces où les problèmes de liberté, de démocratie, de la domination capitaliste, de marginalisation, des inégalités sociales ont été posés. Parmi ces espaces, il convient de citer entre autres l’église comme assemblée qui a subi certaines transformations avec le discours de la théologie de la libération. La chaire de l’église n’est plus seulement le lieu où l’on prêche l’obéissance à Dieu. L’assemblée cessait d’être ce lieu où les fidèles répétaient « Amen, ainsi soit-il » à tout ce que dit le prêtre ou le Pasteur. Elle devint un lieu d’engagement dans la lutte pour le changement des conditions sociales. Outre l’église, il faut citer aussi les médias comme lieu de prise de parole des gens de la rue, du sens commun, d’utilisation publique de la raison citoyenne pour critiquer un système fondé sur l’exploitation, la marginalisation. Des journalistes, des directeurs de médias ont ouvert leur espace à des catégories de gens qui jadis étaient refoulées dans ce qu’on a appelé l’arrière-pays ou dans les bidonvilles. De plus en plus de groupes finissent par avoir accès à cet espace après le renversement de la dictature.

Dans la paysannerie, on a assisté à la création de nouveaux espaces : les locaux des centres d’alphabétisation ou d’anciens conseils d’action communautaire, les marchés ruraux deviennent des lieux de codification des problèmes et définition des revendications touchant la production agricole nationale, la construction de réseaux routiers, la réforme agraire, l’abolition du système répressif symbolisé par les chefs de section, la stigmatisation à l’égard des paysans et de leurs enfants à travers les certificats de naissance, etc. Les idées de changement, de liberté d’expression, d’association telles que conçues et prônées par des artistes, des écrivains et des leaders religieux engagés ont contribué à créer de nouvelles dynamiques en vue d’un véritable changement social. Mais des intellectuels des groupes sociaux d’autres tendances et intérêts militaient à leur façon avec souvent de grands moyens à leur disposition.

La critique idéologique et ses conséquences

La critique idéologique se fait dans une période marquée par la production d’un ensemble d’œuvres qui célèbrent la victoire du peuple haïtien contre la dictature. Les symboles du duvaliérisme [15] ayant été détruits lors des manifestations populaires, des cercles se reconstituaient peu à peu, établissant leurs limites et leurs droits d’entrée. Cette critique est assurée par des artistes, des journalistes, des leaders religieux entre autres acteurs formant ce que Francklin Midy appelle « le mouvement social haïtien pour le changement [16] ». Selon Midy, le mouvement social haïtien était porteur de revendications démocratiques et nationales contre la société d’exclusion et l’État prédateur, contre la domination étrangère et l’oppression socioculturelle intérieure, le mouvement social a déjà produit des changements socioculturels significatifs, qui portent certains témoins à parler de révolution culturelle » [17].

On trouvait toutes sortes d’acteurs de ce vaste mouvement : des groupements paysans, des syndicats d’ouvriers, des comités de quartiers, des associations étudiantes et enseignantes, des associations de femmes et de jeunes entre autres [18]. Les meringues carnavalesques, telles que celles de « Boukman Expérience, de Boukan Ginen et de Koudyay  » et d’autres groupes de musique traditionnelle ont servi d’instruments de dénonciation des injustices sociales, de la corruption et des répressions exercées contre les masses populaires. Des journalistes engagés, au niveau de certains médias, tels que Radio Antilles Internationales, Radio Haïti Inter, Radio Caraïbes etc., ne baissaient pas les bras contre la répression des forces du statu quo. Dans la presse écrite (Haïti Progrès et Haïti en marche) certains des articles publiés fustigeaient la complicité de la communauté internationale dans la situation haïtienne. Les peintres des bas quartiers de Port-au-Prince ainsi que des chanteurs engagés, critiquaient à leur façon, la communauté internationale, particulièrement les États-Unis accusés d’être de connivence avec les militaires au pouvoir et d’être impliqués dans le massacre de la ruelle Vaillant contre des électeurs en ligne, le 29 novembre 1987. Sur les murs des clôtures de certaines maisons et des institutions de la capitale, on pouvait observer des fresques qui illustrent cette complicité. Haïti était comparée, dans une de ces fresques, à un verre de jus où des buveurs (Les États-Unis, la France, le Canada, le Japon) introduisaient leur paille, à l’aide de leur ambassadeur, buvant ce qu’il restait de jus du pays. Un des chanteurs engagés les plus célèbres à l’époque, Joseph Emmanuel Charlemagne dit Manno Charlemagne, à travers ses compositions, passaient au crible les puissances impérialistes, les « tontons macoutes », et les dirigeants politiques. Ses chansons servaient à rassembler des militants entre autres des étudiants universitaires, des lycéens qui étaient à la pointe des revendications populaires.

Les intellectuels engagés étaient à l’avant-garde des luttes populaires dans le cadre de la résistance contre ce qu’ils appelaient à cette époque les « forces anti-changement ». Leur niveau de professionnalisme et les ressources dont ils disposaient reflètent la nature des fonctions qu’ils remplissaient. Il y a eu beaucoup plus de production artistique en termes de chansons engagées que de publication de livres ou de production d’articles dans les journaux. Certains espaces publics créés au cours de la phase précédente ont été réduits ou ont tout simplement disparu. Les massacres exercés contre les associations paysannes ont réduit de façon systématique la dynamique de la mobilisation collective au niveau des marchés publics et des centres de formation d’alphabétisation. L’intervention brutale des paramilitaires dans les quartiers pauvres a eu les mêmes effets. Toutefois, l’église des pauvres demeure un espace de conscientisation ou des laïcs engagés continuaient d’accompagner les opprimés dans leur lutte pour la libération.

On ne peut pas parler de critique sociologique réelle des discours en vogue à l’époque. Le néolibéralisme ne trouva pas sur le terrain une opposition scientifique aux experts économiques au service de la Maison Blanche qui voulaient imposer le plan dénommé Initiative pour les Amériques ou plan Bush pour l’Amérique Latine et la Caraïbe [19]. Si on s’en prenait à des institutions financières internationales telles que le Fonds Monétaires International (FMI) ou la Banque Mondiale (BM), cela se faisait beaucoup plus à travers des slogans, des chansons ou des poèmes qu’à travers de véritables contre-propositions élaborées et discutées dans les milieux populaires et au niveau de la sphère de l’opinion publique pour obtenir un large support populaire et servir de cadre pour l’élaboration des projets de développement du pays.

Des intellectuels engagés vont être l’objet de persécutions de la part de certaines institutions et des autorités gouvernementales. Au sein de l’église catholique, une des institutions ayant été à la base de la mobilisation contre la dictature, (ce que Max Dominique appelle le secteur néo-conservateur), est passé à l’attaque contre la branche de la théologie de la libération. On procède, en avril 1988, à la fermeture de la mission Alpha responsable de la campagne d’alphabétisation de l’église ; on expulse, en décembre de la même année, Jean-Bertrand Aristide de la congrégation des Salésiens. En juin 1989, on procède au limogeage de l’équipe de Radio Soleil très impliquée dans les questions de justice sociale, d’alphabétisation et de conscientisation des classes populaires. La CARITAS, une ONG d’obédience catholique, qui faisait un travail de conscientisation auprès des couches pauvres, notamment les groupements paysans, a été mise sous contrôle de la hiérarchie de l’église catholique. Entre temps, les coups d’État se succèdent, et la répression vise particulièrement les quartiers pauvres des périphéries urbaines ainsi que des associations paysannes. Au cours de cette période de résistance, des intellectuels engagés se sont livrés à une critique de tous les abus de pouvoir, des massacres perpétrés contre les différents groupements paysans du pays. Au niveau de l’église catholique, certaines voix du haut clergé ont condamné l’attaque effectuée contre des prêtres engagés à Frecyneau, non loin de Saint-Marc. Le massacre contre les groupements paysans à Jean-Rabel, l’attaque à l’église de Saint-Jean Bosco, témoignent de la détermination des forces conservatrices à bloquer les mouvements sociaux dans la construction d’une alternative populaire stable. Selon Max Dominique, la résistance de l’église des pauvres, à cette époque se situe sur deux plans : d’une part, elle dénonce dans sa prédication le mensonge ambiant et suscite un effort de clarification conceptuelle, de l’autre, par des déclarations publiques ou plus souvent des lettres critiques envoyées à la Conférence épiscopale d’Haïti (CEH) elle s’efforce de contrer le soutien de l’église des riches au coup d’État (Dominique 1996 : 69).

C’est davantage au niveau de la chaire des églises et de la radio que certains intellectuels se rapprochaient des populations marginalisées. On peut dire que les prêtres, adeptes de la théologie de la libération, étaient les véritables artisans, avec la masse des fidèles qui les écoutait, de la résistance et du changement qui devait se produire. Mais la chaire de l’église reste ce qu’elle est. Les croyants demeurent des croyants avec un habitus construit à cet effet. La résistance n’aura pas duré longtemps après le retour de Jean-Bertrand Aristide au pouvoir. Déception, trahison conjuguées avec la répression systématique des paramilitaires et des militaires lors du coup d’État de 1991 vont venir à bout de l’engagement de beaucoup d’intellectuels. La plupart formeront des organisations non gouvernementales (ONG) pour aider et se doter en même temps d’un moyen de satisfaire leurs besoins personnels au nom de groupes spécifiques. D’autres passeront à la politique traditionnelle pour se faire élire ou trouver un poste dans l’administration publique ou bien partiront à l’étranger. Le champ reste encore libre, une fois de plus aux forces conservatrices et néo-conservatrices, aux oligarques et leurs serviteurs.

Régression de la critique

La répression systématique exercée par les militaires, soutenue par les États-Unis, les classes dominantes et la hiérarchie de l’église catholique ont largement contribué à la régression de la critique. Mais sur le plan interne, il faut reconnaître aussi une certaine absence de production scientifique au projet unilatéral américain [20] soutenu par l’oligarchie financière nationale. Les slogans ont beau faire bouger les gens vers les grandes actions collectives, même les urnes pour choisir un leader charismatique. Mais il n’y a jamais eu de projet socio-politique et économique dûment élaboré par ces intellectuels membres d’un parti progressiste, de concert avec les membres des associations de quartier, des regroupements paysans, des syndicats, des coopératives, bref des organisations populaires en vue d’opposer un contre-projet au projet impérialiste.

La régression de la critique correspond également à un moment de l’histoire récente où un leader charismatique produit du mouvement démocratique a été accusé de vouloir mettre en place des mécanismes de répression de ses opposants. La critique populaire du néolibéralisme et de l’impérialisme fit place à la critique d’un chef d’État. De nouveaux acteurs entre autres des représentants de l’oligarchie, renforcés par des intellectuels de renom, appuyèrent ce qu’ils ont appelé « le Nouveau Contrat social » qui aboutit au renversement, le 29 février 2004, de Jean-Bertrand Aristide. En effet, on peut signaler deux moments clés de la régression de la critique. Premièrement, la critique de certaines dérives dites dictatoriales du Président Aristide dont la plupart de ses opposants ont été soit assassinés soit jetés en prison. Deuxièmement une critique à l’allure de lutte des classes opposant les partisans d’Aristide issus largement des masses populaires à une bonne partie de la petite bourgeoisie et de l’oligarchie qui prétendaient vouloir élaborer un Nouveau Contrat Social sans rupture avec le néolibéralisme. Le renversement d’Aristide constitue un moment favorable à une floraison de nouvelles organisations de ce qu’on appelle « la société civile » dans sa version la plus libérale. Militants, intellectuels, même des représentants de l’oligarchie vont créer des Fondations, cette fois dans la logique de ce qu’on appelle le « philantrocapitalisme [21] ». Des organismes de défense des droits humains seront renforcés, appuyés par des bailleurs internationaux. Tout y est pour faire du capital militant tandis que triomphe la révolution néoconservatrice à travers le Nouveau Contrat Social prôné par l’oligarchie.

De la militance comme capital

Le capital militant est associé au capital politique. Il peut être considéré comme une forme de capital symbolique [22]. Selon Matonti Frédérique et Franck Poupeau, « le capital militant désigne, par-delà la diversité des formes d’engagement, des savoir-faire acquis en particulier grâce à des propriétés sociales permettant de jouer, avec plus ou moins de succès, dans un espace qui est loin d’être unifié ». En ce sens, la militance est devenue une espèce de capital qui permet à ses détenteurs de se doter de ressources pour réaliser des actions à portée limitée avec des retombées positives pour la situation socio-économique de l’ex-militant. Une de ces actions est, par exemple, la participation aux élections.

En se faisant élire, certains intellectuels ont intégré un système que jadis ils critiquaient. Maintenant au pouvoir, ils deviennent ses défenseurs et sont prêts à commettre les mêmes actions dont ils étaient victimes à l’encontre de ceux qui n’ont pas changé de conviction ou qui viennent de rejoindre le camp des engagés. Une autre action qu’on pourrait citer en exemple est la création des Organisations Non Gouvernementales nationales ou locales. Évidemment, certaines ONG peuvent servir d’espace de résistance et de construction des alternatives au néolibéralisme, en appuyant les luttes populaires, en aidant les victimes des politiques néolibérales à découvrir ce qu’ils sont et ce qu’ils pourraient ou devraient être etc. Mais Les ONG peuvent être utilisées aussi comme arme pour démobiliser les organisations populaires, les corrompre voire les détruire. Ce sont des intellectuels jadis subversifs qui y sont recrutés pour les faire fonctionner. Ces ONG jouent une fonction de reproduction et d’ascension sociale. Incroyable mais vrai, ces « intello » dépourvus de capital financier pendant leur période d’engagement parviennent à subir une importante ascension sociale qui leur permet de mener un train de vie totalement différent de ceux que leurs ONGs desservent. Ils peuvent voyager au bout du monde pour participer à des rencontres, des colloques, des séminaires, rouler dans des autos de luxe. Mais ils n’ont pas assez de temps pour s’occuper réellement de ce qui se passe dans le village ou les quartiers pauvres en proie à toutes sortes de violences. Ce sont pour la plupart, des journalistes, des universitaires, des gens des professions libérales dont les agendas sont tellement chargés que même leurs enfants et les tâches ménagères, ils les confient à des domestiques. Ils disposent même de jardiniers pour entretenir la pelouse de leurs résidences. Ces ONG contribuent à la reproduction sociale des inégalités (parfois en les aggravant) et au renforcement des politiques prônées par les grandes institutions financières internationales, notamment la Banque mondiale, le FMI, la BID, etc. Les intellectuels impliqués dans ces structures ont carrément renoncé aux luttes populaires, à la fonction critique qu’ils remplissaient vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques. Pourtant, ils récupèrent, pour la plupart le langage de la gauche et parlent de pouvoir populaire, d’émancipation, d’égalité des sexes, de développement durable, de direction issue de la base entre autres. Le problème est que ce langage est employé dans le cadre d’une collaboration avec les agences gouvernementales et des donateurs engagés dans des politiques de non-confrontation [23].

Après la chute de la dictature, plus précisément à partir des années 1990, le nombre des organisations de base et des organisations non gouvernementales avait connu une hausse extraordinaire. On estime que le nombre total les organisations du premier type varie entre 2000 et 12.000 pour l’ensemble du pays tandis que le nombre des ONG intermédiaires se situerait aux environs de 400 [24] (Morton, 1998). Il faut prendre ces données avec prudence car plus la répression augmente plus les organisations de base tendent à disparaître ; ce qui n’est pas nécessairement le cas pour les ONG. Plus les gens deviennent pauvres, plus le nombre des ONG et des églises protestantes augmente. Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, Haïti a été baptisée « République des ONG [25] ». Pierre Salignon en est venu à placer cette République sous « l’empire humanitaire » en question [26].

Diabolisation des organisations populaires et des idées de gauche

Avec le retour de Jean Bertrand Aristide au pouvoir, en 1994 sous escorte militaire américaine (20.000 hommes de troupe), le processus de déstabilisation de la mouvance populaire ainsi que de la pensée critique enclenchée depuis le renversement de la dictature avaient atteint son apogée. Après avoir mis sur pied la Fondation Aristide pour la Démocratie puis fondé son parti « Fanmi-Lavalas », Aristide s’est mis à recruter des jeunes issus des populations marginalisées pour les embrigader dans son parti. La plupart de ces jeunes étaient des membres et/ou des dirigeants d’organisations de base. Ils ont été, pour la plupart, cooptés et mis au service du leader appelé chef historique du mouvement Lavalas. Désormais, les organisations auxquelles appartenaient ces jeunes ont perdu tout ce qu’elles avaient de populaire pour être subordonnées au chef du parti Fanmi-Lavalas. Elles n’étaient plus porteuses de revendications populaires, mais plutôt d’actions répréhensibles contre tous ceux qui voulaient ou oseraient contester le pouvoir d’Aristide. Désormais c’était « Aristide ou La mort ».

Ils s’attribuaient pourtant l’appellation d’Organisations populaires (OP). Pourtant, quand les membres de ces organisations populaires prennent la rue, ce sont les biens et les intérêts des gens des populations marginalisées qu’ils détruisent : des étalages de petites marchandes du secteur informel sont saccagés, les vitres des camionnettes ou des taxis sont prisés, les enfants des quartiers pauvres ne peuvent plus se rendre à l’école. Ces actions visaient seulement à maintenir un homme au pouvoir. En retour, les meneurs espéraient quelques avantages. Ainsi, ce qu’on appelle Organisation populaire (O.P) avait perdu de plus en plus de son contenu progressiste. Dès qu’on parle d’O.P. on voyait les « chimères », c’est-à-dire des regroupements de jeunes désœuvrés, recrutés dans les quartiers les plus pauvres de Port-au-Prince dont la plupart étaient armés.

En effet, l’espace critique que représentaient les organisations populaires a été usurpé d’une part par des intellectuels jadis eux-mêmes critiques et devenus par la suite des directeurs d’ONG de développement et/ou d’assistance. Ils ont réussi à travers le financement de petits projets soumis par les organisations de base à les mettre sous contrôle et veiller à ce qu’il n’y ait pas de confrontation sociale. Même sous le régime de René Préval, la politique de cooptation des jeunes n’avait pas cessé. Avec son Premier Ministre Jacques Édouard Alexis, ils ont développé dans les quartiers ces fameux programmes financés par l’aide internationale dénommés « programme d’apaisement social [27] ». D’autre part, certains intellectuels critiques qui ont accédé au pouvoir sans véritable transformation des structures de ce pouvoir ont vite été recyclés et sont devenus, dans certains cas, pires que ceux qu’ils critiquaient. Dans le meilleur des cas, il semble qu’on assiste moins à un renoncement qu’à un rejet du populaire.

Haïti est un des rares pays où l’on ne trouve plus de partis ou de véritables organisations de gauche socialement ancrés. Le secrétaire général de l’ancien parti unifié des communistes haïtiens (PUCH), après le renversement d’Aristide roulait dans les véhicules du corps diplomatique de l’Ambassade américaine comme premier ministre pressenti. Son parrain de noce était l’ambassadeur américain lui-même en poste dans le pays. Les autres partis dits sociaux-démocrates ne valent pas un parti de droite français, canadien, encore moins le parti démocrate aux États-Unis, pour ne citer que ces exemples. Certaines de leurs activités ont été même financées par l’Institut Républicain International (IRI) dont les dirigeants ont suivi des séminaires de formation en République Dominicaine, ou en Norvège.

Les inégalités sociales sont plus que criantes, mais on ne parle plus de luttes des classes. C’est chose du passé. Les ouvriers de la sous-traitance gagnent des salaires de misère par jour et ne peuvent même pas organiser librement des manifestations publiques pour dénoncer les mauvaises conditions de travail, mais on ne parle plus de la théorie de la plus-value qui est plus que pratique en Haïti. Heureusement, il reste encore quelques groupes de défense des intérêts ouvriers et des classes populaires qui font tant bien que mal avancer certaines revendications populaires même si le système fait semblant d’être aveugle et sourd-muet au Sud, quoique bien entretenu au Nord par les forces de l’empire. Les pauvres s’enfoncent de plus en plus dans une misère qui n’a pas de nom quand les sectes fourmillent dans les bas quartiers et la paysannerie pour vendre la foi et faire croire aux damnés que c’est une prophétie qui est en train de s’accomplir : Jésus revient bientôt. La religion n’est plus l’opium du peuple. On ne parle plus de classes dominantes. Plutôt du secteur privé. On ne parle plus des rapports Nord-Sud ou de centre et périphérie. Plutôt du monde comme village global. À travers le « philantrocapitalisme », des fondations et des ONG, en tenant compte des vertus du marché et de la libre concurrence, la doxa néolibérale prône la fin des inégalités sociales et de la violence qui en découle. Vérité au-delà des Pyrénées, diraient les Français, erreur en deçà. On voit bien ce qui se passe en Haïti qui est, selon Joao Peschansky [28], la plus grande expression du néolibéralisme.

La déroute de l’intelligentsia haïtienne

Il n’y a pas de statistiques disponibles sur le nombre d’intellectuels contraints de fuir le pays à cause de la violence qui sévit à Port-au-Prince et dans d’autres villes du pays. Écrivains, professeurs d’université, médecins, artistes, musiciens, beaucoup ont quitté le pays pour se réfugier dans d’autres pays notamment les États-Unis et le Canada.

L’intelligentsia haïtienne est mise en déroute aujourd’hui avec, d’une part, la violence des gangs qui est une conséquence directe de l’application des politiques néolibérales et de la corruption qui y est associée. D’autre part, l’ouverture du programme Humanitarian Parole du président des États-Unis, Joseph R. Biden invitant Haïtiens, Cubains et Vénézuéliens à laisser leur pays pour se réfugier aux États-Unis pour une période d’au moins deux ans. La violence des gangs a pour corollaire la corruption des élites politiques et économiques. Plusieurs acteurs politiques et économiques ont été cités dans un rapport publié par ce qu’on appelle « le groupe des experts des Nations unies, comme étant les associés des malfaiteurs soit pour accumuler davantage de profits dans leurs activités commerciales soit pour conserver leur position de pouvoir. Selon International Crisis Group, « ces groupes ont toujours entretenu des liens étroits avec les responsables politiques haïtiens et les riches entrepreneurs qui les ont longtemps utilisés comme des armées privées [29] ». Les noms d’un ancien Président de la République et de deux anciens premiers ministres ont été cités. Élites politiques et économiques, quelques grandes figures de l’intelligentsia haïtienne arrivées au pouvoir après l’assassinat du Président Jovenel Moïse ne parviennent pas à assurer la sécurité de la population et même celle de leurs pairs.

Plusieurs professeurs d’université ont été assassinés dont Patrice Michel Derenoncourt, Jacques Étienne Faubert, Solon Fortunat entre autres. Certains d’entre eux ont dû fuir leur maison occupée par des bandits lourdement armés. Par exemple, la maison du célèbre écrivain Gary Victor a été vandalisée à Carrefour-Feuilles, tandis que sa collègue Emmelie Prophète Milcé est ministre de la justice, qualifiant de territoires perdus les quartiers assiégés par les gangs. Parmi les personnes déplacées, on compte des étudiants et étudiantes à l’université, des professeurs, des artistes, des écrivains. Par rapport aux artistes, dans la commune de Croix-des-Bouquets située au Nord-est de Port-au-Prince et qui est devenue un champ de bataille des gangs, Plus de 75 familles d’artistes ont dû prendre la fuite ; ce qui représente une perte énorme pour l’artisanat haïtien.

Vient le programme Humanitarian Parole de Biden constituant une porte de sortie pour des milliers de personnes, des jeunes en majorité, qui s’empressent de quitter le pays. Selon les données de plusieurs organismes internationaux rapportés par Vladimir Predvil du Journal Le National « plus de 100 000 haïtiens ont déjà migré aux États-Unis grâce à ce programme initié sous l’administration Biden [30] ». Par rapport au même programme, des milliers d’Haïtiens ont préféré transiter par le Nicaragua. Selon Radio Métropole « Des médecins, des enseignants, des policiers, des étudiants, n’ont plus d’espoir en leur pays miné par la violence des gangs (…) Le week-end écoulé 28 vols ont été enregistrés à l’aéroport international Toussaint Louverture. Ce sont plus de 4000 personnes qui ont fui le pays en 48 heures [31] ».

Déchirée par la guerre des gangs, vidée de la majorité de sa population économiquement active et de ses intellectuels, la République d’Haïti n’est plus que l’ombre d’elle-même par rapport à ce qu’elle était à la chute de la dictature des Duvalier et à l’occasion de l’organisation des premières élections démocratiques le 16 décembre 1990 lesquelles devraient consacrer la transition démocratique haïtienne. Mais tout espoir n’est pas perdu. Heureusement, quelques intellectuels soit en Haïti soit à l’étranger montent au créneau pour dénoncer l’hypocrisie de l’aide internationale qualifiée d’Assistance mortelle [32], de Charité qui tue [33], d’échec [34], d’imposture humanitaire [35]. Récemment, un collectif d’écrivains haïtiens ont produit un ouvrage dénonçant la situation d’Haïti face à l’hypocrisie et à la mainmise génocidaires des puissances impérialistes tout en soulignant la nécessité d’une solidarité internationale agissante [36]. Mais ça ne suffit pas. Il n’y a presque plus d’espace public pour engager des débats sur la situation du pays. Par exemple, bien avant le séisme du 12 janvier 2010, il n’y avait aucune salle de théâtre et de cinéma dans le pays. Il n’y a qu’un musée qui ne sert qu’à accueillir des chefs d’État ou de gouvernement à l’occasion de grandes fêtes nationales. Les journaux sont rares. Les revues scientifiques aussi. C’est la déroute de l’intelligentsia haïtienne.


Notes

[1Charles Etzer (1994). Le pouvoir politique en Haïti. De 1957 à nos jours. ACCT KARTHALA, Paris, P. 36, 36.

[2« Le devoir des membres du parti est de commander le moins possible, ou plutôt de ne pas donner d’ordres du tout, mais de s’approcher le plus attentivement possible des spécialistes de la science et de la technique, de suivre leur enseignement et de les aider, d’élargir leur point de vue et de compter avec les possibilités du domaine donné de la science. Et surtout ne pas oublier qu’un ingénieur viendra au communisme par un autre chemin qu’un fonctionnaire et un travailleur du parti, oui un propagandiste journaliste ou écrivain, c’est-à-dire, par la voie de sa science, que l’agronome, le sylviculteur, etc. » arrivent au communisme chacun à sa façon. » (Citation tirée de Teige Karel. Les intellectuels et le socialisme. In : L’Homme et la société́, N. 9, 1968. Sociologie Tchéquoslovaque et renouveau de la pensée marxiste. pp. 113-129. L’auteur cite un article de Lénine publié en 1921 où il donne des indications sur le rapport entre les membres du parti et les spécialistes de la commission d’électrification.

[3Jean-Marc Lamarre en fait le titre de son article ou il reprend les idées de Gramsci (1891-1937). En référence à Gramsci, il affirme ceci « Gramsci montre que le développement de l’industrie crée le besoin d’un nouveau type d’intellectuels. Il élargit le concept d’intellectuel (au sens de la fonction sociale) : les universitaires, les écrivains sont des intellectuels, mais aussi les ecclésiastiques, les techniciens, les hommes politiques, les experts, les fonctionnaires, etc., c’est-à-dire tous ceux qui ont une fonction culturelle, politique ou technico-scientifique dans la société. Il distingue aussi entre l’« intellectuel organique » et l’« intellectuel traditionnel ». Par « intellectuel organique », il entend un type d’intellectuel qui émerge aux côtés d’une classe ascendante de la société et par « intellectuel traditionnel » un type d’intellectuel qui préexiste à la classe montante (par exemple l’ecclésiastique qui est un produit de la société féodale mais qui lui a survécu) ». Voir Lamarre Jean-Marc (2016). « Tout homme est un intellectuel » Dans Le Télémaque 2016/2 (N° 50), pages 111 à 116 Éditions Presses universitaires de Caen.

[4Gramsci Antonio (1923). Cahier de prison,12. P. 346, Paris l’Harmattan.

[5« Nous sommes condamnés à l’engagement de la même façon que nous sommes condamnés à être libres. L’engagement n’est pas l’effet d’une décision volontaire, d’un choix qui lui préexisterait : je ne décide pas d’être ou non engagé car je suis toujours déjà engagé, comme je suis jeté au monde. L’engagement et le délaissement sont un seul et même état de fait » ( citation tire de Patrick Wagner, « La notion d’intellectuel engagé chez Sartre », Le Portique [En ligne], Archives des Cahiers de la recherche, Cahier 1 2003, mis en ligne le 17 mars 2005, consulté le 12 novembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/leportique/381

[6Aron, Raymond (1968). L’opium des intellectuels, idées, Gallimard, Paris.

[7La hiérarchie intellectuelle établie par Aron est ainsi conçue : « Ceux qui constituent les cas purs : les romanciers, les peintres, les sculpteurs, les philosophes constituent le cercle intérieur. Ils vivent pour et par l’exercice de l’intelligence. Les artistes qui œuvrent sans rénover, sans apporter d’idées ou de formes neuves, les professeurs dans leurs chaires, les chercheurs dans leurs laboratoires peuplent la communauté du savoir et de la culture.
Au-dessous se situeraient les collaborateurs de la presse et de la radio, qui répondent les résultats acquis, qui maintiennent les communications entre les élus et le grand nombre. Dans cette perspective, la catégorie aurait pour centre les créateurs et, pour frontière, la zone mal définie où les vulgarisateurs cessent de traduire et commencent de trahir, soucieux de succès ou d’argent, esclave du goût supposé du public, ils deviennent indifférents aux valeurs qu’ils font profession de servir » (Aron, Raymond (1968). Op. Cit. P. 283).

[8Aron Raymond (1968). Op. Cit. P. 287.

[9Dans le cadre de la critique technique, « on se met à la place de ceux qui gouvernent ou administrent, on suggère les mesures qui atténueraient les maux que l’on dénonce, on accepte les servitudes de l’action, la structure immémoriale des collectivités, parfois même les lois du régime existent. Par rapport à la critique morale, on dresse contre ce qui est, la notion vague mais impérative de ce qui devrait être, on refuse les cruautés du colonialisme, l’aliénation capitaliste, on refuse l’opposition des maîtres et des esclaves, le scandale de la misère à côté du luxe étalé. En ce qui concerne la critique idéologique historique, elle s’en prend à la société présente, au nom d’une société à venir, elle impute les injustices dont le spectacle offense les consciences au principe de l’ordre actuel- le capitalisme, la propriété privée portent e eux la fatalité de l’exploitation, de l’impérialisme, de la guerre, elle trace l’esquisse d’un ordre radicalement autre où l’homme accomplirait sa vocation ( réf. Aron Raymond (1968). Op. Cit. P. 291).

[10La notion d’intellectuel spécifique est de Michel Foucault, datant, selon Daniel Mouchard, de 1976, mais qui trouve ses racines théoriques en 1972 dans un dialogue de Foucault avec Gilles Deleuze. Ce dialogue, dit Mouchard, « Ce dialogue vise à amorcer une réflexion sur le statut et le rôle de l’intellectuel engagé, à la lumière de l’expérience des mobilisations qui marquent cette période, et de l’engagement des intellectuels aux côtés de celles-ci » (Muchard Daniel, Intellectuel spécifique, dans dictionnaire des mouvements sociaux PP 307-312.

[11Mourgues Elsa (2018). « les trois rôles de l’intellectuel par François Dosse » in https://www.franceculture.fr/societe/les-trois-roles-de-lintellectuel-par-francois-dosse
Consulté le 22 octobre 2021.

[12Saïd, Edouard : AL muthqf wall Sulta, (L’intellectuel et le pouvoir), traduit anglais en arabe par Mohamed Enani, Rueia pour la publication, Le Caire, 2006.

[13Traduit en français par : piège à tête.

[14Traduit en français par : le soleil se lève.

[15Le drapeau noir et rouge a été remplacé par le bleu et rouge, la milice des tontons macoutes a été officiellement dissoute ; les noms des membres de la famille des Duvalier qui figuraient sur certaines instituions ont été remplacées. Une nouvelle constitution a été adoptée qui abolissait la présidence à vie, etc.

[16Midy, F. (1991). Le mouvement social haïtien pour le changement : les ONG haïtiennes et l’aide canadienne. Nouvelles pratiques sociales, 4(1), 65–80.

[17Midy Francklin (1991). Op Cit. P. 67.

[18Midy, Francklin (1991). Ibidem.

[19Bush a formulé un plan en trois points : premièrement, la solidification de la coopération interaméricaine afin de mieux se positionner dans les négociations de l’Uruguay Round ; deuxièmement, l’accélération du mouvement d’ouverture des économies latino-américaines. Il affirme que les États-Unis sont prêts à négocier des accords de libre-échange avec des États ou des groupes d’États en Amérique latine ; troisièmement, de négocier des accords bilatéraux avec les États qui le désirent afin d’approfondir les relations commerciales (réf : Cadet Jean-Gérald (2000). « Les États-Unis et l’Amérique Latine. De Monroe à l’initiative pour les Amériques, ou de l’hégémonie totale à la volonté de partenariat » in Cahier de recherche 2000-01.

[20Pierre Bourdieu parle d’un modèle américain reposant sur quatre postulats : « premier postulat, l’économie serait un domaine séparé gouverné par des lois naturelle et universelles que les gouvernements ne doivent pas contrarier ; deuxième postulat : le marché serait le moyen optimal d’organiser la production et les échanges de manière efficace et équitable dans les sociétés démocratiques ; troisième postulat : la globalization exigerait de la réduction des dépenses étatiques, spécialement dans le domaine des droits sociaux en matière d’emploi et de sécurité sociale tenus pour à la fois coûteux et dysfonctionnels (réf : Bourdieu Pierre (2001. Contre-feux 2. Pour un mouvement social européen, raison d’agir éditions, Paris, P. 26, 27).

[21Selon Matthew Bishop (2013). Le philantrocapitalisme se propose de résoudre des problèmes sociaux par des moyens privés. Il englobe non seulement l’application des techniques commerciales modernes au don, mais aussi les efforts d’une nouvelle génération d’entrepreneurs philanthropes et de chefs d’entreprise pour favoriser le progrès social et environnemental en changeant la façon dont les entreprises et les gouvernements agissent (C’est nous qui traduisons. (Voir Matthew Bishop (2013). « Philanthrocapitalism : Solving Public Problems through Private Means » in Social Research Vol. 80, No. 2, Giving : Caring for the Needs of Strangers (SUMMER 2013), pp. 473-490 (18 pages).

[22Matonti Frédérique et Franck Poupeau (2004). « Le capital militant. Essai de définition », Le Seuil, Actes de la Recherche en Sciences sociales PP 4-11).

[23Petras James et Henry Veltmeyer (1999). La face cachée de la mondialisation. L’impérialisme au XXème siècle, Édition Parangon, Paris.

[24Morton Alice (1998). « Haïti, étude du le secteur des ONG », in Banque Mondiale, les défis de la lutte contre la pauvreté et gestion économique, Unité de gestion-pays, région Amérique latine et Caraïbe, Vol.2.

[25Thomas Frédéric (2020). Haïti, La République des ONG, invité de l’émission Superfail sur France Culture.

[26Salignon Pierre (2012). Haïti, République des ONG : « l’empire de l’humanitaire » en question, dans Jean-Daniel Rainhorn (dir). Haïti, réinventer l’avenir, Édition de la maison des sciences de l’homme, Édition de l’université d’État d’Haïti, PP 185-197.

[27Le programme d’apaisement social consiste en la réalisation de petits projets d’assainissement des quartiers ciblés. Les jeunes sont incités à monter des organisations communautaires de base (OCB) qui serviront de structures médiatrices entre le quartier et le gouvernement ou les ONG. C’est ainsi que des jeunes ont développé leur leadership pour devenir par la suite la clientèle de politiciens véreux qui vont leur distribuer des armes afin de contrôler les urnes pour assurer leur élection.

[28Peschanski Alexandre Joao (2005). « Haïti, la plus grande expression du néolibéralisme » in https://www.alterinfo.net/Haiti-la-plus-grande-expression-du-neoliberalisme_a149.html.
Robert Paris (2010). « Classes sociales en Haïti » in https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1787 site consulté le 13 juillet 2018.

[29International Crisis Group (2024). Les gangs en Haïti : une mission étrangère peut-elle briser leur emprise ? Briefing Amérique latine et Caraïbes de Crisis Group N°49 Port-au-Prince/New York/Washington/Bruxelles, 5 janvier 2024. Traduit de l’anglais.

[30Predvil Vladimir (2023). Haïti Migration. En 2023, des milliers de Haïtiens ont quitté le pays. Article disponible sur le site : https://lenational.org/post_article.php?pol=4441#:~:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20de%20nombreux,initi%C3%A9%20sous%20l’administration%20Biden. Consulté le 25 février 2024.

[31Radio Métropole (2023). De nombreux migrants haïtiens sont prêts à tout pour fuir leur pays. Articile disponible sur le site https://metropole.ht/de-nombreux-migrants-haitiens-sont-prets-a-tout-pour-fuir-leur-pays/ consulté le 25 février 2024.

[32Peck Raoul (2013). Fatal Assistance/assistance mortelle. Disponible en streaming sur le site https://boutique.arte.tv/detail/assistance_mortelle consulté le 25 février 2024.

[33Schuller Mark (2015). « Cette charité qui tue. Haïti, l’aide international et les ONG », Journal of Haitian studies 24(1). Disponible sur le site : https://journals.scholarsportal.info/details/10903488/v24i0001/161_ccqthlelobms.xml&sub=all?lang=fr site consulté le 25 février 2024.

[34Seiteinfus Ricardo (2011). L’échec de l’aide internationale à Haïti. Dilemmes et égarements, Éditions de l’Université d’État d’Haïti

[35Thomas Frédéric (2016). « De séisme en Ouragans, Haïti, l’imposture humanitaire », Le Monde Diplomatique, page 8.

[36Mérilien Josué et Camille Charlemers (2023). Haïti face à l’hypocrisie et la mainmise génécidaires des puissances impérialistes. Nécessité d’une solidarité internationale agissante, Édition C3, Port-au-Prince.


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