Dimanche 7 février, le président haïtien, Jovenel Moïse, annonçait avoir déjoué une « tentative de coup d’État ». Dernier épisode en date d’une crise de régime, marquée par son refus de quitter le pouvoir. Selon la Constitution haïtienne, le mandat présidentiel débute le 7 février suivant les élections. Mais, le président prétend que son mandat a commencé le jour de son investiture, le 7 février 2017 et qu’il restera donc au sommet de l’État, jusqu’en 2022.
Si cette « interprétation » de la Constitution est rejetée par l’ensemble des acteurs de la société civile et les institutions judiciaires du pays, elle bénéficie du soutien international. En Haïti, beaucoup y voient la confirmation de la dérive autoritaire du régime ; un régime contesté pour son incurie, sa corruption et sa complicité avec les gangs armés, qui se sont multipliés, et, avec eux, les enlèvements qui touchent toute la population. La volonté de Jovenel Moïse d’organiser en 2021 un référendum constitutionnel et des élections est vue comme une manière de reproduire ce « système » et de consacrer l’impunité.
Mobilisation des églises
À l’approche de l’échéance du 7 février, les manifestations et prises de position des acteurs de la société civile se sont multipliées. Y compris parmi le secteur vaudou et les églises. Ainsi, le 12 janvier, les représentants de la communauté protestante tiraient la sonnette d’alarme : « nous sommes littéralement assis sur une poudrière, une situation dangereuse exacerbée par l’entêtement de Monsieur Jovenel Moïse à se maintenir au pouvoir après le 7 février 2021 ». En conséquence, ils demandaient au président « de prendre acte de la fin de son mandat », et invitaient les organisations internationales « à cesser immédiatement leur ingérence ».
Le 2 février, c’était au tour de la Conférence épiscopale d’Haïti de prendre position. Affirmant que « l’Église est toujours du côté du droit, de la vérité, de la justice et du respect de la vie et de la dignité humaine », elle soulignait l’« extrême détresse » d’un pays « au bord de l’explosion ». « Le quotidien du peuple, c’est la mort, les assassinats, l’impunité, l’insécurité. Le mécontentement est partout ».
Plus consensuel, en apparence, le message n’en était pas moins clair — et les Haïtiennes et Haïtiens l’ont compris. C’est d’ailleurs ce que confirme Jocelyne Colas, directrice de la Commission épiscopale nationale Justice et Paix. « Même si, en fonction de l’analyse de la situation que chacun fait, il peut exister certaines différences dans la façon de dire les choses entre les représentants des diverses églises et des autres organisations de la société civile, tous partagent la même position : on est en train de violer la Constitution, de violer les principes démocratiques ».
De fait, c’est bien ce qu’affirment les évêques : « La loi est une pour tous. Il nous semble que tout le monde soit d’accord sur le principe que personne n’est au-dessus de la loi et de la Constitution. Ce premier constat fait, aucune littérature et aucun justificatif juridique ne sont nécessaires. Tout le monde veut qu’Haïti soit un État de droit ». Et de poser, comme une évidence, cette question : « Devons-nous accepter ou tolérer cela ? ».
Quelles perspectives ?
Lundi 8 février, la police bloque l’entrée du siège de la Cour de cassation. Maître Joseph Mécène Jean-Louis, qui en est le juge le plus ancien, vient d’accepter la proposition des partis d’opposition d’assumer la présidence provisoire. Quelle est la situation actuelle ? Jocelyne Colas répond : « Calme et très tendue, à la fois. Il n’y a presque pas d’activités ni de circulation. Seuls quelques rares bureaux et commerces sont ouverts ». Elle poursuit : « Il n’y a pas de coup d’État. Il y a une série d’arrestations organisée par l’équipe au pouvoir. C’est de la comédie ».
Comment comprendre, dès lors, le soutien inconditionnel de Washington et de l’Onu, la complicité de l’Union européenne ? « C’est bizarre ce qu’il se passe. Jusqu’à maintenant, nous nous posons la question. Le soutien le plus ferme provient des États-Unis, même si la situation n’est plus la même qu’auparavant. Avec Donald Trump, il y avait une certaine accointance. Jovenel Moïse s’est aligné presque totalement sur lui ; ce qui lui a permis d’être soutenu et de faire ce qu’il voulait. Aujourd’hui, on attend, on espère une évolution avec le nouveau gouvernement états-unien ».
En attendant un hypothétique changement de politique de l’international, l’inquiétude grandit ; une inquiétude « beaucoup plus évidente du fait de la résistance de Jovenel Moïse à quitter le Palais national ». Le président a, selon Jocelyne Colas, « tous les moyens. Il peut continuer à utiliser la police et les alliés armés pour arrêter les gens, poursuivre les exactions. Il faut le dire : on est en pleine situation de dictature. L’équipe au pouvoir accapare et veut contrôler toutes les institutions ».
Le 9 mars 1983, de passage en Haïti, sous le régime de Duvalier, le pape Jean-Paul II avait déclaré, devant une foule de fidèles : « Quelque chose doit changer ici ». L’appel résonna auprès d’une population, qui avait soif de changement, et qui allait renverser la dictature trois ans plus tard. Aujourd’hui, « la position des différentes confessions religieuses est centrée sur la dénonciation des violations de la Constitution, des exactions, des kidnappings, etc. D’autres organisations jouent un rôle beaucoup plus actif dans la transition de rupture, mais, au fond, c’est clair pour tout le monde : ce n’est pas possible que ça continue comme ça ».