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Addis Abeba, 13 au 16 juillet 2015

« Financement pour le développement ou développement pour la finance ? »

A propos de la troisième conférence de l’ONU sur le financement du développement, tenue à Addis Abeba du 13 au 16 juillet 2015.

‘Financement pour le développement ou développement pour la finance ?’ : voilà les termes utilisés par le dirigeant d’une grande ONG après l’échec – relatif – de cette conférence. Certes, si l’échec est relatif c’est parce que les 193 Etats-membres de l’ONU sont arrivés malgré tout à se mettre d’accord sur un texte et qu’ils continueront à travailler comme si tout allait bien, comme s’il n’y avait aucun obstacle sérieux à un réel progrès.

Cependant, l’optimisme n’est guère justifié. Cette conférence était la première de trois grands événements de 2015 : en septembre suivra à New York la conférence sur le ‘post-2015’, c.-à-d. l’accord qu’il faudra trouver pour remplacer les Objectifs du Millénaire (OMD) et y ajouter des Objectifs pour un développement durable (ODD). Puis, en décembre, le ‘COPS21’ à Paris, c.-à-d. la 21ème Conférence des Parties sur le changement climatique. Comme l’ont souligné plusieurs responsables de l’ONU pendant la Conférence à Addis, ‘nous sommes la première génération à pouvoir effectivement éradiquer la pauvreté extrême et nous sommes la dernière génération à pouvoir stopper le changement climatique’. Un défi énorme !

Les Conférences sur le financement du développement sont issues d’une initiative des pays du Sud qui, après les promesses de la Déclaration du Millénaire de 2000, avaient hâte de savoir comment les pays de Nord pensaient pouvoir respecter leurs promesses concernant l’éradication de la pauvreté extrême et de la faim dans le monde, ainsi que les multiples autres objectifs du millénaire. La première conférence eut lieu à Monterrey, au Mexique, en 2002, et se conclut par un ‘consensus’, le président Bush des Etats-Unis ne voulant plus négocier. La deuxième conférence eut lieu dans la capitale qatarie, à Doha, en 2008. Le ‘succès’ de cette conférence était que les objectifs réalisés à Monterrey ne furent pas trop démantelés … un succès qui n’a pas pu être répété à Addis, le forum de la société civile étant d’avis que le ‘Programme d’Action’ est un pas en arrière par rapport aux deux conférences précédentes.

Les contradictions

Le processus de ces conférences sur le développement souffre tout d’abord de ses contradictions internes. Le premier thème, de Monterrey à Addis, est le constat que le développement est la première responsabilité des Etats du Sud eux-mêmes et que c’est par la mobilisation de leurs ressources intérieures qu’ils pourront y arriver.
Un tel objectif ne peut qu’être applaudi, car il devrait permettre aux Etats d’augmenter les impôts et les redevances prélevées auprès des multinationales qui viennent exploiter les ressources naturelles. Ainsi, ils pourraient développer leurs infrastructures et mettre en place un système de protection sociale pour l’ensemble de la population.

Mais voilà que le deuxième thème est d’attirer les investissements étrangers, ce qui requiert le contraire du point précédent. En effet, les investisseurs ne viendront pas s’ils doivent payer un impôt même très raisonnable et s’ils doivent contribuer au développement social du pays en question. S’y ajoute même un troisième thème, à savoir le développement du libre-échange, encore un sujet qui requiert le démantèlement des filets de sécurité timides que certains Etats étaient en train de mettre en place pour aider les pauvres. Quant à la dette extérieure, quatrième thème, n’en parlons pas, car les institutions financières internationales continuent d’imposer leurs conditionnalités anti-sociales et anti-développement.

Ainsi, le développement devient un mirage et la responsabilité des pays pauvres ressemble à la quadrature du cercle.

La fiscalité

Au centre de toutes les discussions se trouve le thème de la fiscalité, nationale autant qu’internationale. Sur ce point, des progrès énormes ont été faits cette dernière décennie en matière de mise en lumières des flux illicites de capitaux, bien supérieurs à l’aide au développement octroyée par les pays du Nord. En 2002 existait un réel espoir quant aux ‘mécanismes de financement innovants’, c.-à-d. la possibilité d’une taxe sur les transactions financières ou les différents mécanismes mis en œuvre pour combler le déficit de l’aide internationale : le Fonds Global pour lutter contre le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose, ou encore le GAVI, Fonds pour la vaccination. D’autres fonds ont vu le jour depuis, mais il est difficile de dire qu’il s’agit de solutions structurelles. Le TTF a disparu de l’agenda politique et les autres initiatives ressemblent plutôt à une forme de philanthropie mondiale.

La grande revendication depuis Monterrey est de remplacer le Comité pour la coopération internationale sur la fiscalité – un comité technique au sein de l’ONU – par un réel organisme intergouvernemental – et donc politique - qui pourrait concrétiser une coopération réelle en matière de lutte contre l’évasion fiscale ou les paradis fiscaux. Hélas, une fois de plus, le ‘non’ des pays riches est resté sans appel. Aujourd’hui, c’est l’OCDE qui s’occupe de cette problématique, en dehors de toute interférence des pays pauvres. C’est la déception la plus grande de la société civile.

Et les objectifs pour un développement soutenable ?

Enfin, c’est le contexte général de ce programme d’action qui ne peut que provoquer le pessimisme. Certes, le document final de la conférence parle des objectifs pour un développement durable qui devront être adoptés au mois de septembre. Il en parle même trop. Car oui, il y a un lien entre ces deux thématiques, mais le ‘financement pour le développement’ a toujours eu des objectifs bien plus larges, notamment, après la crise économique et financière de 2008, de mettre en œuvre une réforme de l’architecture économique et financière mondiale. Il n’en reste rien.

Ces trois points ne sont pas les seules déceptions. Le groupe des femmes constate que l’égalité des genres est bien mentionnée à plusieurs reprises dans le texte, mais dans un but purement instrumental : les femmes deviennent l’instrument pour réaliser une ‘économie intelligente’, et non pas pour confirmer leur statut de citoyennes égales aux hommes. Les références aux droits humains ou aux politiques sociales restent particulièrement faibles.

Conclusion

En gros, cette conférence débouche sur un échec. Il n’y a pas de nouveaux engagements et sur les points essentiels on peut parler plutôt de régression que de progrès. La grande victoire est réservée au secteur privé qui est accueilli comme troisième partenaire, à part entière, à côté de l’ONU et de la société civile. La confiance dans les mécanismes financiers privés, de l’investissement au partenariat public-privé, est démesurée. Tout ce qui concerne la régulation nationale ou internationale a été évité. L’ONU est comme vidée de sa substance et le pouvoir financier et économique est passé des Etats au secteur privé.

Comme d’habitude, depuis les années 1950, l’ONU constate que ‘des progrès importants sont faits’, mais qu’il ‘reste un long chemin à parcourir’. A chaque conférence, on fait comme si on assistait à ‘l’avènement d’une ère nouvelle’.
‘Nous avons besoin de votre support’ disait Ban Ki Moon au Forum de la société civile. Celle-ci est certes prête à le lui donner, mais face à la réalité des négociations, Stefano Prato, le directeur d’une grande ONG a aussi constaté que le temps du ‘politiquement correct’ était passé. Il faut voir la réalité en face et elle n’est pas réjouissante.


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.