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En Haïti, « la population garde un très mauvais souvenir des interventions étrangères »

Des milliers d’Haïtiens ont manifesté, mardi, contre l’appel de l’État à une intervention armée étrangère pour faire face à l’insécurité et à une résurgence du choléra dans le pays. L’ONU, en faveur de ce déploiement, semble avoir écorné ces dernières années son image d’institution internationale “crédible” dans le pays.
Interview avec Frédéric Thomas (CETRI) sur France 24.

La tension sociale ne retombe pas en Haïti. Le pays est le théâtre de manifestations violentes et de pillages depuis plusieurs semaines, après l’annonce par le Premier ministre Ariel Henry d’une hausse des prix des carburants. Depuis mardi 11 octobre, les manifestants ont aussi ajouté à leur mot d’ordre le refus d’une aide militaire internationale – formulée officiellement par le gouvernement haïtien quelques jours auparavant.

Les Haïtiennes et les Haïtiens – qui contestent depuis plus d’un an « la légitimité » d’Ariel Henry – refusent une ingérence étrangère dans leur pays où une mission onusienne est « constamment présente depuis 1994 », selon Frédéric Thomas, docteur en science politique. Le chercheur au Centre tricontinental (CETRI) à Louvain-la-Neuve et spécialiste d’Haïti fait le point sur la situation après que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est déclaré favorable au déploiement d’une force armée internationale dans ce pays des Caraïbes.

France 24 : Pourquoi l’État haïtien demande-t-il une intervention armée étrangère ?

Frédéric Thomas : L’État a fait cette demande à cause de son propre échec : il est incapable de régler la question sécuritaire, politique et sociale en Haïti. À cela s’ajoutent une contestation de la rue très forte depuis plusieurs semaines, la résurgence du choléra et, depuis une dizaine de jours, le blocage du principal terminal de carburant du pays par des bandes criminelles.

Les politiques font appel à une intervention armée étrangère pour assurer leur propre survie politique, n’ayant pas d’autre carte à jouer et sachant qu’ils étaient censés montrer des avancées au prochain Conseil de sécurité de l’ONU (consacré à la crise en Haïti le 21 octobre prochain, NDLR).

Pourquoi la population haïtienne conteste-t-elle cette demande d’aide extérieure de l’État ?

La population haïtienne conteste à la fois le fondement de cette demande et le fait qu’elle soit formulée par un gouvernement considéré comme illégitime, corrompu et totalement discrédité. Elle rejette ce pouvoir qui, pour des raisons clairement opportunistes, cherche à assurer son maintien.

Les Haïtiennes et les Haïtiens gardent, par ailleurs, un très mauvais souvenir des interventions onusiennes dans le pays ces dernières années. Ces missions n’ont jamais réglé les problèmes de fond auxquels est confrontée la population. Elles ont affaibli les institutions publiques, renforcé l’oligarchie en place et se sont finalement avérées contre-productives. La population ne veut donc pas qu’on reproduise les erreurs du passé.

Comment se sont déroulées les précédentes interventions extérieures en Haïti ?

De 1994 à aujourd’hui (avec le Bureau intégré des Nations unies en Haïti, NDLR), Haïti a été constamment couverte par une mission onusienne, et cela a laissé des traces.

L’ONU n’a pas été réactive du tout à la suite du tremblement de terre en 2010, elle a également eu un rôle de police problématique en intervenant durant des manifestations sociales : les Casques bleus sont là pour soutenir les pays en transition de la guerre vers la paix, ce que n’est pas Haïti.

Par ailleurs, des Casques bleus ont été accusés d’agressions sexuelles et on leur reproche aussi d’avoir importé le choléra, deux faits pour lesquels l’ONU a mis du temps à reconnaître sa responsabilité.

Tout cela a créé une forme de colère dans la société haïtienne, et tous ces précédents font que cette institution internationale n’a pas la crédibilité pour intervenir de nouveau aux yeux des Haïtiennes et des Haïtiens.

Quelles solutions reste-t-il pour lutter contre la violence endémique en Haïti ?

La solution existe depuis plus d’un an : elle a été formalisée par l’ensemble des acteurs de la société civile haïtienne au sein de l’accord de Montana (qui propose une transition de deux ans pour refonder l’État haïtien, NDLR). L’objectif est de redonner confiance aux institutions publiques, dont la police, pour leur permettre de se confronter réellement aux bandes armées.

On ne peut pas lutter contre l’insécurité sans lutter contre ses relais, ceux qui l’entretiennent et assurent l’impunité. Ce sont les personnes au pouvoir qui en sont responsables, elles ont largement échoué dans la réponse sécuritaire qu’elles devaient apporter.

La solution viendra de la société haïtienne qui a un programme pour sortir le pays de la crise. C’est ce programme-là qu’il faut soutenir plutôt que de toujours reconduire les mêmes politiques qui ont échoué.

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Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.