CETRI : À la fin de l’année dernière, FOCUS a publié une série d’articles sur l’héritage politique de Duterte intitulée « Duterte et les dégâts causés » [1]. À quelques jours d’une élection cruciale qui déterminera l’avenir des Philippines « post-Duterte », pouvez-vous revenir sur certains des principaux éléments que vous avez soulevés dans ces articles ?
Joseph Purugganan : Je voudrais commencer en précisant que notre organisation a cherché à documenter les politiques de Duterte, en particulier les politiques économiques, environnementales et sociales ainsi que les questions relatives aux droits humains, dès son élection en 2016. Duterte s’est présenté à la présidence sous le slogan « le changement arrive », se positionnant comme un politicien franc-tireur à l’écart de la politique traditionnelle - même s’il était déjà investi en politique depuis de nombreuses années avant de se présenter à la présidence - faisant notamment de la crise de la drogue, et de la criminalité qui y est liée, son enjeu numéro un. Plus largement, les promesses électorales ont été légion, par exemple en affirmant mettre fin à la sous-traitance, ce qui était une demande importante du monde syndical, ou en promettant aux communautés indigènes et aux groupes environnementaux des réglementations plus strictes sur l’exploitation minière. Toutes ces annonces s’inscrivaient dans un discours anti-élite et anti-entreprises, qu’il a entretenu dès le début en nommant, par exemple, l’éphémère secrétaire d’État à l’environnement, Gina Lopez, qui a tenté de s’opposer à certains projets miniers (en vain, finalement). Ainsi, outre les déclarations de campagne, certaines actions initiales ont conduit différents groupes sociaux à lui accorder le bénéfice du doute.
Maintenant, si vous regardez sa politique économique, alors qu’il projetait une image d’homme fort, il s’est aligné sur la même politique économique néolibérale qu’auparavant. Il a même déclaré qu’il ne s’occuperait pas de l’économie et qu’il laisserait les gestionnaires s’en occuper. Or, si vous examinez ces gestionnaires, leurs qualifications et leurs antécédents, vous trouvez, par exemple, des consultants de la Banque mondiale au profil profondément néolibéral [2].
Mais, bien sûr, sa politique principale, depuis le début, a été sa soi-disant « guerre contre la drogue ». Face à cela, notre organisation a rapidement rejoint un vaste mouvement appelé « In Defense of Human Rights and Dignity » (iDEFEND), qui s’est montré très cohérent dès le premier jour en mettant en avant les questions de droits humains et d’exécutions extrajudiciaires. Or, dans ce domaine, le mandat de Duterte s’est caractérisé par une véritable diabolisation des droits humains et de leurs défenseurs, avec des attaques constantes y compris contre les institutions, comme la Commission des droits humains. Ces attaques ont été menées parce que ces groupes représentaient une voix critique face à l’administration d’un président très populaire.
Donc, en termes de droits humains, sa présidence a vraiment constitué un retour en arrière, non seulement en termes d’engagement envers les normes internationales, où il est bien connu que les Philippines ont historiquement soutenu des positions très progressistes, mais aussi au niveau national. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de violations des droits humains, même commises par l’État, avant Duterte. Mais la situation a vraiment empiré, notamment à cause de la guerre contre la drogue. Une guerre violente et meurtrière qui a fait environ trente mille morts selon Human Rights Watch et Amnesty International. D’autres études menées par des organisations comme PhilRights [3] ont également conclu que cette guerre était en réalité une guerre contre les pauvres. Les personnes visées étaient surtout les petits consommateurs ou les consommateurs présumés, tandis que les grands seigneurs de la drogue étaient laissés en liberté.
Et puis, il y a tout ce qui est arrivé à la sénatrice Leila de Lima [4]. Avec des développements récents où deux des principaux témoins de l’État - l’un ayant avoué être un seigneur de la drogue, l’autre étant le chef du Bureau des services correctionnels - se sont rétractés et déclarés qu’ils avaient été forcés par des représentants du gouvernement - le secrétaire du ministère de la Justice a été mentionné - à faire de fausses déclarations contre la sénatrice, parce qu’elle remettait en cause la guerre de Duterte contre la drogue, ainsi que son bilan précédent en tant que maire de Davao, et condamnait les escadrons de la mort qu’il avait mis en place pour instiller la peur et tenter d’établir son modèle de paix et d’ordre dans cette ville.
Il y a donc eu un recul important et une aggravation de la situation des droits humains, qui a ensuite été intégrée dans un discours très fort de contre-insurrection. Et ceci, à mesure que la pression internationale s’intensifiait, par exemple via le Conseil des droits humains de l’ONU. Cela a en effet poussé le gouvernement philippin à répondre en prétendant que toutes ces préoccupations en matière de droits humains n’étaient pas fondées, qu’elles n’étaient que l’œuvre de petits groupes communistes terroristes marginaux, mais bien financés. Ainsi, au lieu de répondre aux accusations qui le visaient, le gouvernement a détourné l’attention à travers un contre-récit axé sur la contre-insurrection.
Il disait également à la communauté internationale que la crise de la drogue était une question nationale que le gouvernement avait le droit de régler comme il l’entendait et rappelait que le peuple philippin lui avait donné mandat, citant la grande popularité et la cote de confiance de Duterte.
La dernière articulation de cette stratégie a été la constitution d’un « groupe de travail » visant à mettre fin aux conflits armés avec les guérillas communistes locales, qui s’est notamment traduite par l’intensification des meurtres de militants. On n’a donc pas uniquement assisté à des meurtres liés à la guerre contre la drogue, mais aussi à des meurtres de militants étiquetés « rouges » ou « terroristes ». Cette situation s’est même aggravée au cours des deux dernières années du mandat de Duterte. Elle a culminé avec l’adoption du projet de loi antiterroriste [5], qui a été un grand revers, notamment parce que la Cour suprême l’a finalement jugé constitutionnel, à l’exception de quelques dispositions.
Vous pouvez enfin faire le lien entre ces attaques et les politiques économiques, car Duterte a mis en place un programme économique qui a entraîné le déplacement de nombreuses communautés. Vous avez donc une double conséquence : d’une part, les déplacements de population dus, par exemple, à des projets de barrages ou des projets miniers et d’autre part, si les communautés résistent ou expriment des inquiétudes, elles sont étiquetées comme des groupes terroristes communistes.
Raphael Baladad : En ce qui concerne les impacts sur les droits humains, les principales cibles ont été les communautés qui luttent pour la terre, pour les droits aux territoires, etc. Ici, à FOCUS, nous avons été témoins de la façon dont ces communautés ont fait face, par exemple, au harcèlement des entreprises qui tentaient de s’emparer de leurs terres, et nous avons vraiment pu voir comment le gouvernement a érodé, non seulement le récit ou les politiques basés sur les droits, mais aussi l’état de droit réel.
Dans les zones urbaines, les gens ont accès aux médias sociaux, ce qui leur permet au moins de signaler les abus, mais dans les communautés rurales, la plupart de ces histoires ne reçoivent pas suffisamment d’attention au niveau national. Des gens sont chassés de chez eux, des maisons sont détruites. Il y a aussi du harcèlement judiciaire, à travers lequel des tribunaux locaux sont payés pour monter de fausses affaires contre des dirigeants communautaires, afin de les envoyer en prison ou même de les faire disparaître. Et pourtant, ces questions n’ont pas été beaucoup mises en avant dans les récits nationaux.
CETRI : Au vu de ce bilan, comment Duterte peut-il encore être aussi populaire, du moins si l’on se fie aux derniers sondages sur le sujet ?
Bianca Martinez : Par rapport à son investiture, sa popularité a baissé, comme cela a toujours été le cas avec les administrations précédentes. Mais dans le cas de Duterte, à la fin de l’année dernière, il avait encore l’approbation de plus de 50 % de la population, ce qui est effectivement très significatif par rapport aux administrations précédentes.
Un facteur important qui sous-tend cette popularité est son utilisation de la rhétorique, ainsi que les récits qu’il a propagés depuis le début de son administration. Il a su exploiter les frustrations et les craintes des gens concernant, par exemple, l’économie, la paix et la sécurité, etc., de manière à les faire adhérer au type de régime autoritaire qu’il proposait.
Il y a vraiment deux aspects clés dans sa rhétorique. L’un est le contenu des récits qu’il propage, et le second est la manière dont il livre ces récits. En termes de contenu, une dimension centrale est la façon dont Duterte a introduit un violent sentiment d’altérité qui sous-tend une demande de justice punitive [6]. Nous l’avons constaté à travers les différentes politiques mises en œuvre par son administration au fil des ans, y compris bien sûr la guerre contre la drogue, mais aussi la réponse militariste de l’administration à la pandémie de covid-19 ou encore son approche très autoritaire des problèmes environnementaux.
Dans tous ces cas, le discours de l’administration Duterte dépeint essentiellement certains groupes de personnes ou certaines communautés comme des menaces existentielles. Par exemple, les toxicomanes et les trafiquants de drogue doivent, selon leurs dires, être maîtrisés, car ils risquent de détruire le pays, tuer des gens, etc. Pendant la pandémie, le gouvernement n’a cessé de déclarer que c’était à cause des citoyens indisciplinés qui sortaient sans cesse de chez eux que le nombre de cas augmentait. Ces récits omettent délibérément d’expliquer les facteurs qui poussent les gens, par exemple, à sortir de chez eux, à savoir principalement le chômage et la perte de revenus. Ils ne mettent pas en évidence les différentes conditions qui poussent les gens à consommer et à vendre des drogues. En fait, ils se contentent de dire que la cause profonde du problème, ce sont ces personnes et qu’il faut donc les éliminer.
Le gouvernement crée donc ce type de consensus pour imposer sa force brute en exploitant et en exacerbant l’aversion des gens pour ce qu’ils perçoivent ou ce qu’on leur fait percevoir comme un « autre » intrusif et dangereux.
Il est toutefois important de souligner que cette adhésion populaire à un régime autoritaire n’est pas une nouveauté créée par Duterte. Les graines de ce phénomène ont été plantées bien avant. Prenez le soutien de la population à la guerre contre la drogue. Avant l’arrivée de Duterte au pouvoir, les gens étaient déjà confrontés à ce problème dans leurs communautés, mais il n’a jamais été abordé au niveau national. Il a toujours été géré par les communautés elles-mêmes. Et dans le même temps, les médias grand public présentaient toujours les consommateurs et les vendeurs de drogue comme une menace. Cela a donc toujours été ancré dans la psyché collective des Philippins. Ainsi, lorsque Duterte a promis de mettre fin au problème de la drogue et qu’il a diabolisé les consommateurs et les vendeurs de drogue, les gens ont réagi positivement et ils ont vu en Duterte le candidat présidentiel capable de mettre fin à ce problème.
C’est la même chose avec les défenseurs des droits humains. L’un des principaux arguments de Duterte consiste à les marginaliser en affirmant que ceux qui dénoncent, par exemple, la guerre contre la drogue, se préoccupent davantage des consommateurs de drogue que des millions de victimes qu’ils font. Ce discours est vraiment essentiel pour détruire le concept des droits humains et même de démocratie. Mais encore une fois, l’acceptation par les gens de ce genre de discours est ancrée dans des décennies de démocratie libérale et de droits humains qui n’ont pas vraiment eu d’impacts concrets sur la vie des gens, même après la fin de la dictature.
Pour de nombreuses communautés prises au milieu de guerres, d’accaparements de terres, d’agressions liées au développement, la violence a toujours fait partie de leur quotidien et le concept de droits humains n’a pas de sens pour elles. Ainsi, lorsque Duterte a commencé à se moquer des droits humains, cela a été pour eux une bouffée d’air frais, car cela a mis à nu l’hypocrisie de la démocratie libérale. C’est donc l’une des raisons pour lesquelles il reste populaire.
Joseph Purugganan : Une autre raison est que Duterte semble être immunisé contre toutes les accusations qui ont été lancées. Par exemple, sur la question de la corruption. Les gens sont en colère contre la corruption. Mais leur colère ne semble jamais atteindre Duterte. Elle est dirigée contre le ministre de la Santé, par exemple, ou contre le ministre de la Justice qui voulait juste « impressionner Duterte ». C’est comme si une ligne avait été tracée. Le public reconnaît que ces problèmes existent toujours, que la corruption ou la guerre contre la drogue n’ont pas été résolues, mais ils ont l’impression que ce n’est pas la faute de Duterte.
Et puis il y a aussi la peur. Ces enquêtes de popularité sont menées dans un contexte où Duterte a très vite établi qu’il était aux commandes et quelles étaient les conséquences d’être dans « un autre camp » que le sien. Vous ne pouvez donc pas sous-estimer ce climat de peur qui règne dans les communautés. Si les enquêteurs doivent se coordonner avec le capitaine du Barangay [7], par exemple, ceux qui répondent aux sondages le font peut-être en craignant des répercussions s’ils critiquent le président.
CETRI : Comment voyez-vous l’avenir de Duterte ? Va-t-il encore être une voix influente sur la scène politique du pays ?
Raphael Baladad : C’est très intéressant parce que Duterte n’a encore soutenu aucun candidat. Il a même annoncé qu’il ne donnerait pas sa bénédiction au tandem formé par Marcos et sa propre fille Sara Duterte. Pour ce qui est de l’avenir, l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) est en cours [8], et plusieurs médias ont fini par révéler certaines des controverses qui n’ont pas vraiment été couvertes ces dernières années, en particulier pendant la pandémie. Par exemple, la controverse autour de la corruption dans la distribution de l’aide aux communautés pendant le covid-19 [9] ou ce que Joseph a mentionné à propos des problèmes de droits humains dans la guerre contre la drogue et dans l’affaire Leila de Lima. Ce ne sont là que quelques-uns des sujets les plus importants du moment.
Mais pour ce qui est de la responsabilité directe de Duterte dans les crimes qu’il a commis pendant sa présidence, je ne pense pas que cela va se concrétiser de sitôt. Cela dépend vraiment de la volonté politique de la prochaine administration. En ce qui le concerne, Duterte a dit qu’il était prêt à voir tout le monde en enfer, qu’il giflerait Satan, qu’il giflerait les magistrats de la CPI, etc. Ce ne sera donc pas une mince affaire, précisément en raison de ce qui a été dit précédemment à son sujet, et de la façon dont il est protégé des critiques, par exemple. À moins d’une forte pression de la part des groupes de défense des droits humains ici et de la communauté internationale également, je ne pense pas que cela se produira. Mais encore une fois, tout dépend de la volonté politique de la prochaine administration. Nous ne pouvons pas dire avec certitude quels types d’alliances il est en train de construire avec les Marcos, ou même avec les autres candidats politiques. Nous ne pouvons pas le dire avec certitude à ce stade, mais nous avons besoin d’une forte impulsion pour que justice soit faite.
CETRI : Serait-il possible pour lui d’essayer de revenir aux prochaines élections dans six ans, ou est-ce impossible ?
Joseph Purugganan : En tant que président, ce serait inconstitutionnel, et de toute façon il a déjà 77 ans. En fait, c’est déjà un peu une surprise qu’il soit encore en vie. Tout au long de sa présidence, nous avons constamment entendu des rumeurs sur sa santé qui se détériorait, à tel point que beaucoup dans son propre camp craignaient qu’il ne puisse pas terminer son mandat. Mais bien sûr, Duterte cultive aussi le côté dramatique de la chose. Il en va de même par rapport au fait qu’il n’a encore soutenu aucun candidat. Cela fait partie de son jeu pour essayer de rester pertinent dans cette élection. Les gens se demandaient constamment qui il allait soutenir, certains candidats attendaient son soutien pour se lancer. Cela montre qu’il a encore de l’influence et qu’il a encore beaucoup de partisans.
D’ailleurs, si vous regardez les chiffres de Marcos [10] dans les sondages, ils sont élevés parce que c’est une combinaison de deux facteurs, comme l’a expliqué récemment l’analyste Tony Laviña dans une interview télévisée. Le premier c’est la base qui soutient Marcos lui-même, les forces loyales que sa famille a su maintenir au fil des ans et qu’il a aussi développées depuis 2016 après avoir perdu la course à la vice-présidence. Depuis ce moment, son principal objectif a été de pousser pour sa candidature en 2022, avec beaucoup d’efforts consacrés à la désinformation et à la propagande notamment. Il a donc cette base acquise, mais qui est considérablement renforcée par celle de Duterte. D’ailleurs, il a vraiment pu commencer à creuser l’écart avec les autres candidats lorsqu’il a su convaincre Sara Duterte [la fille de l’actuel président, ancienne maire de Davao comme son père, ndlr] de se présenter comme vice-présidente. Elle apporte une nouvelle base de soutien à la candidature de Marcos.
Maintenant, il existait déjà une relation entre le père Duterte et la famille Marcos. C’est notamment sous Duterte qu’une sépulture de héros a été donnée au défunt dictateur contre l’opposition de beaucoup. Mais Duterte a fait pression pour cela, et beaucoup ont estimé qu’il s’agissait d’une sorte de quiproquo. Qu’il y avait une relation forgée peut-être dans la période précédant 2016. Marcos a fini par se présenter comme candidat à la vice-présidence sur un ticket séparé, mais des rumeurs ont circulé selon lesquelles c’était plutôt un tandem Duterte-Marcos qui avait été envisagé. Il y avait aussi l’accord supposé entre Duterte et la famille Marcos sur le retour des richesses mal acquises de Marcos.
Il y avait donc déjà une relation entre les deux camps, même si ce que Duterte voulait vraiment au final, c’était que sa fille lui succède. Mais ses plans ont échoué. Je suis donc d’accord avec Raphaël : son avenir politique dépendra en grande partie du vainqueur des prochaines élections. Si c’est une administration Marcos-Duterte, il sera probablement en mesure d’éviter les poursuites contre lui et de sceller enfin l’accord sur la restitution des richesses.
Galileo de Guzman Castillo : Je ne serais pas aussi catégorique quant à un retour potentiel de Duterte. Certes, notre Constitution actuelle ne prévoit qu’un seul mandat présidentiel, mais ce qui me frappe le plus chez Duterte, c’est la façon dont il a abâtardi notre Constitution et corrompu toutes les facettes de notre fragile démocratie [11]. Son administration a vraiment exposé les vulnérabilités et testé les limites de notre Constitution dans de nombreux cas, comme avec l’enterrement du défunt dictateur Ferdinand Marcos dans le cimetière des héros en 2016, alors même que nous avons une loi (loi de la République 10368 ou loi sur les réparations pour les victimes des droits humains) reconnaissant les atrocités commises durant son passage au pouvoir. Un autre exemple de mise à l’épreuve de la Constitution est la façon dont Duterte a pu remodeler agressivement la Cour suprême en orchestrant l’éviction de la juge en chef de l’époque, Maria Lourdes Sereno en 2018, et en la remplaçant par des juges de la Cour suprême qui sont étroitement alignés sur lui (lorsque Duterte quittera le pouvoir en juin, 13 des 15 juges de la Cour suprême seront des personnes qu’il aura nommées).
Il y a donc beaucoup d’incertitudes, car de futurs dirigeants autoritaires pourraient en profiter. Et c’est la même chose avec le pouvoir législatif, notre Congrès. Duterte a vraiment profité d’un Congrès aux ordres, avec un soutien majoritaire des deux chambres, ce qui lui a permis de gouverner plus facilement de la manière néolibérale et autoritaire qui fut la sienne [12].
Pour en revenir à la question d’un retour potentiel au pouvoir de Duterte, la question est donc la suivante : jusqu’à quel point notre Constitution pourrait-elle être abâtardie encore plus, au point de permettre un tel retour en supprimant la limitation des mandats ? C’est une question brûlante à l’heure actuelle dans d’autres pays, comme en Indonésie par exemple, et cela pourrait certainement se produire ici avec la prochaine administration et un Congrès poussant à la modification de la charte et à la suppression de la limite des mandats. Cela ne conduirait pas nécessairement à un retour au pouvoir de Duterte lui-même, mais peut-être à une personne épousant les mêmes caractéristiques que son régime et ses politiques économiques, une personne qui incarnerait le « dutertisme » [13].