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Elections au Brésil : Lula, après la prison, l’incroyable come-back

Décryptage sur la RTBF, avec notamment Laurent Delcourt (CETRI).

La barbe est toujours blanche, le cheveu moins grisonnant et plus rare, mais la silhouette est toujours la même. Lula, 76 ans, donné favori des élections présidentielles brésiliennes qui se tiennent ce dimanche (un dernier sondage, ce samedi soir lui donne 50% des votes valides contre 36% pour son adversaire, Jair Bolsonaro), n’a pas beaucoup changé depuis les années 2000 et ses deux mandats à la tête de ce géant de l’Amérique latine.

C’est une figure emblématique de la gauche dans son pays, mais aussi à travers le monde. Une figure qui, ici comme ailleurs, reste entachée par les scandales de corruption qui l’ont touché. Ses adversaires ne se privent d’ailleurs pas de le rappeler.

Lors du dernier débat présidentiel (ce jeudi 29 septembre), tous ses adversaires ont ressorti ces vieilles affaires pour tenter de le discréditer. « Parce qu’ils n’ont pas grand-chose contre lui, le bilan de ses deux mandats est bon », explique Frédéric Louault, directeur du Centre d’étude de la vie politique CEVIPOL à l’ULB.

Corruption passive et blanchiment d’argent

Entre bilan positif et accusation de corruption, comment se faire une opinion sur Luiz Inacio Lula da Silva ? Commençons par revenir sur les scandales qui l’ont touché, qui lui ont valu 580 jours de prison, et suite auxquels les charges pesant contre lui ont finalement été annulées « pour vice de procédure », résume-t-on un peu rapidement.

« En 2017, il a été condamné à 9 ans de prison puis à 12 ans en appel en 2018 pour corruption passive et blanchiment d’argent, rappelle Laurent Delcourt, chargé d’étude au CETRI (Centre tricontinental). Pendant des années, ça a saturé l’espace médiatique brésilien. On a fait de lui la tête pensante d’un système de corruption. »

Si le scandale Petrobras (du nom de cette compagnie pétrolière brésilienne) a éclaboussé son parti (le Parti des travailleurs), il n’y a pas eu de preuve directe de son implication. Il est principalement accusé d’avoir bénéficié d’avantages personnels (un appartement notamment) pour avoir favorisé des entreprises privées dans l’attribution de marchés publics.

« Mais le juge Moro, qui l’a fait emprisonner, n’a jamais prouvé que Lula était le propriétaire de cet appartement. Il s’est basé sur son intime conviction de la culpabilité de Lula, sans preuve juridique », raconte Frédéric Louault, auteur de Le Brésil en 100 questions. L’interminable émergence (Tallandier).

Complot politico-judiciaire

En 2021, la Cour suprême a fini par lever les charges qui pesaient sur lui. Non seulement pour vice de procédure, mais aussi parce qu’elle estimait que les juges avaient été partiaux. « Et le fait que le juge Moro ait été nommé ministre de la Justice de Bolsonaro n’a fait que renforcer ces suspicions », ajoute Frédéric Louault.

« De plus, ajoute Laurent Delcourt, en mai dernier, le comité des droits de l’homme de l’ONU a estimé que ses droits n’avaient pas été respectés, et dénoncé une instrumentalisation politique pour empêcher sa participation aux présidentielles de 2018. Il n’était alors pas encore candidat mais il caracolait dans les sondages. »

Personne n’a le fin mot de l’affaire. « Mais ce qu’on sait, précise le directeur du CEVIPOL, c’est que la justice a abandonné les poursuites. Et ce n’était pas dans son intérêt, car elle a dû montrer qu’il y avait une certaine politisation des juges, ni dans l’intérêt des élites au pouvoir puisque c’était sous Bolsonaro, ni dans l’intérêt de ses opposants traditionnels qui savaient que si Lula revenait après avoir été libéré, il reviendrait avec un capital politique encore plus grand. »

Et Lula peut effectivement se poser en victime d’un complot politico-judiciaire qui l’a empêché de participer aux élections de 2018. Il n’empêche qu’une partie de la population continue de l’associer à la corruption. « Il y a un taux de rejet de Lula qui est de 35%, principalement au sein des classes moyennes supérieures blanches du sud ouest du pays, qui ont voté pour Bolsonaro en réaction aux avancées sociales qu’ils avaient réalisées. »

80 pourcents d’opinion favorable

Et justement, qu’en est-il de ces avancées ? Quel est le bilan de ses deux mandats, sur lequel il s’appuie pour se vendre aujourd’hui ? Il aime le rappeler, il a quitté le pouvoir (qu’il a occupé de 2003 à 2010) avec 80 pourcents d’opinion favorable.

Durant ses mandats, 30 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, le salaire minimum a augmenté, les inégalités se sont réduites, le taux de chômage était bas. « Certes le contexte économique international était favorable, et cela a permis de financer ces politiques sociales, mais il y avait une véritable action volontariste de lutte contre la pauvreté », précise Laurent Delcourt, du CETRI.

Symbole de cette politique sociale, le programme « Bolsa familia », « Bourse famille », un programme d’aides sociales conditionnées à certaines obligations en termes d’éducation notamment. Jair Bolsonaro, qui dénonçait en début de mandat ce type de programme, a fini, suite à la crise sanitaire (680.000 morts au Brésil) et face à l’urgence des besoins de la population, par mettre en place son propre programme de redistribution.

Sisyphe

« Ça lui a permis d’effacer la Bolsa familia, d’éviter que Lula ne puisse y être associé pendant la campagne, mais il a déjà avoué qu’il n’aurait pas les moyens de la maintenir au-delà du mois de décembre, c’est donc purement électoraliste », décode Frédéric Louault.

Pour ce dernier, Lula se présente donc aujourd’hui tel un Sisyphe : « Les progrès dans la lutte contre les inégalités et la pauvreté ont été effacés dans la décennie qui a suivi ses mandats. 33 millions de Brésiliens souffrent de la faim aujourd’hui. Lula a monté son rocher jusqu’au sommet de la montagne, il a vu ce rocher retomber, et il revient pour refaire ce qu’il a fait. C’est un projet de reconstruction. »

Durant cette campagne, qui fut marquée par la violence et les invectives, Lula a mis l’accent sur trois aspects : la relance de l’économie et des politiques sociales, la restauration d’une image positive du Brésil sur la scène internationale, et la sauvegarde de la démocratie.

6e candidature

Au nom de la défense de la démocratie, mise à mal par Jair Bolsonaro, il a réussi à bénéficier du soutien d’une large coalition qui va de l’extrême gauche au centre droit. Son vice-président, Geraldo Alckmin (centre droit), n’est d’ailleurs autre que son ancien adversaire de la présidentielle de 2006. Lula va donc devoir composer, mais c’était déjà le cas en 2003.

« Si l’élection présidentielle se décide au suffrage direct, détaille Laurent Delcourt, les élections parlementaires sont proportionnelles. On se retrouve généralement au Congrès avec une vingtaine de partis avec lesquels il faut nouer des coalitions. C’est indispensable au Brésil pour gouverner. C’est ce qu’on appelle le ‘présidentialisme de coalition’. »

Voilà quelques-uns des défis auxquels, s’il est élu, Lula devra s’atteler. Lui, l’homme du peuple, issu d’une famille pauvre, ancien métallurgiste, opposant à la dictature militaire en tant que responsable syndical, fondateur du Parti du Travail, devenu pour la première fois candidat à une élection présidentielle en 1988 (il a connu trois défaites). Il se présente aujourd’hui pour la sixième fois.

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Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.