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Niger

Deux ans après le coup d’État, quel bilan pour le régime militaire au Niger ?

C’est au nom de la restauration de la sécurité et de la souveraineté qu’une junte a chassé le pouvoir civil en juillet 2023 au Niger. Depuis lors, la situation du pays s’est dégradée sur les plans sécuritaire et socio-économique. En guise de réponse, le régime renforce son emprise sur les institutions et réprime férocement les voix discordantes. Surprenante, la résignation de la classe politique et de la société civile révèle la faible institutionnalisation du jeu démocratique.

Une junte militaire a pris le pouvoir par la force le 26 juillet 2023 au Niger, en vue de contrer « la dégradation de la situation sécuritaire » face aux attaques djihadistes. Dans quelle mesure le général Abdourahamane Tiani, auteur du putsch, et son Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ont-ils respecté leurs engagements en matière de transition démocratique et d’amélioration des conditions sécuritaires et socio-économiques des Nigérien·nes ?

L’objectif de cette analyse est de fournir un éclairage approfondi à ceux et celles qui ont cru en une révolution ou en un changement radical de la situation sécuritaire et de la gouvernance du pays, ainsi qu’à ceux et celles qui espéraient une amélioration des conditions socio-économiques et politiques. Cette contribution entend également sensibiliser la communauté internationale aux réalités de la gouvernance militaire au Niger, en mettant en lumière les écarts entre les promesses et les résultats concrets. Elle repose sur l’analyse de rapports d’ONG, de déclarations officielles, des ordonnances et des décrets pris par la junte, ainsi que sur l’exploitation de données de première main, incluant les publications et les témoignages disponibles sur les plateformes numériques. Nous avons également recueilli les témoignages directs de certain·es exilé·es nigérien·nes en Europe et en Afrique.

L’échec sécuritaire

Pour commencer, le coup d’État du 26 juillet 2023 a bouleversé l’architecture sécuritaire du pays et du Sahel, confrontés à une instabilité persistante. Cette prise de pouvoir est effectivement intervenue dans un contexte où les organisations djihadistes tirent parti des vulnérabilités institutionnelles des États pour consolider leur emprise territoriale. Les putschistes savent mieux que quiconque que seule une grande coalition est en mesure de gagner la guerre contre ces groupes. Par ailleurs, la réponse militaire doit être assortie d’initiatives civiles pour saper les sources et soutiens des organisations terroristes. Une approche que le président Bazoum avait commencé à renforcer, en ayant conscience de la complexité de la situation régionale et du caractère asymétrique du conflit.

Mais dans la foulée du coup d’État, c’est à une aggravation rapide de la situation sécuritaire que les Nigérien·nes ont assisté. Selon des observations de terrain, cette dégradation a engendré une résurgence des tensions intercommunautaires, l’émergence de groupes d’autodéfense locaux et l’escalade vers un conflit à caractère interethnique [1]. La communauté peule et touarègue « Bella », notamment, fait l’objet d’une stigmatisation croissante, devenant la cible privilégiée de certaines milices et même des militaires des Forces de défense et de sécurité (FDS). Un militant politique a été condamné à un an de prison pour avoir dénoncé une bavure des FDS qui a coûté la vie à plusieurs pères de famille de la communauté Bella (https://lesechosduniger.com, 9 juin 2025).

C’est donc dans un contexte de désordre sécuritaire que l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) intensifient leurs offensives meurtrières contre les positions des FDS. Les données factuelles publiées via les réseaux sociaux et plusieurs sources confirment cette escalade. Selon le monitoring des incidents sécuritaires produit par Abdou Pagoui et Hamidid N’Gadé, il y a eu entre juillet 2023 et juillet 2024 (soit la première année du régime militaire) 1006 militaires tués dans 41 incidents, alors que sous le régime de Bazoum (2021-2023), il n’y avait eu que 59 tués dans 14 incidents [2] . Le mois de juillet 2024 a été le plus meurtrier, avec 291 victimes militaires.

Le tableau ci-dessous récapitule la situation des incidents qui ont visé les forces de sécurité pour la période de juillet 2023 à juillet 2025, soit les deux années de dictature militaire. On observe qu’au cours de ces deux années, 1480 militaires ont été tués lors d’attaques terroristes. [3]

Le bilan est accablant, car les 1480 militaires tués correspondent à au moins trois bataillons interarmés totalement décimés en deux ans. À cela s’ajoute le matériel détruit et emporté par les terroristes, l’assassinat de plus d’un millier de civils et la fermeture de près de mille écoles dans la région de Tillabéri. Plusieurs dizaines de villages ont totalement disparu dans cette région, entraînant des milliers de déplacés internes, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées. L’avenir est compromis pour les jeunes de la région de Tillabéri, qui n’ont plus accès à l’éducation.

Le général Tiani et le CNSP ont donc manifestement échoué. Quelles sont les causes de leur échec ? Il importe d’abord de rappeler que le coup d’État de juillet 2023 résulte de la trahison d’individus en lesquels le président Bazoum, élu démocratiquement en 2021, avait placé sa confiance. La situation actuelle du Niger rappelle l’Idus Martia ou la trahison de Brutus et des autres conspirateurs, qui a conduit à l’assassinat de Jules César, provoquant une crise politique majeure, une guerre civile et la fin de la république romaine. La trahison de Tiani a plongé le Niger dans une incertitude sécuritaire qui menace l’existence même de la République. Les raisons politiques de l’échec sécuritaire sont étroitement liées à cette trahison cautionnée et accompagnée par le reste de la hiérarchie militaire.

Par ailleurs, cet échec trouve également sa source dans l’affaiblissement des capacités opérationnelles des forces anti-insurrectionnelles suite au retrait des forces occidentales (France et États-Unis). Ce départ a mené à un affaiblissement considérable en matière de renseignement (intelligence et reconnaissance) et de logistique. À ce facteur s’ajoute la militarisation de l’administration (150 à 200 cadres des FDS réaffectés dans des fonctions civiles) et l’abandon du terrain par une hiérarchie militaire concentrée sur le contrôle politique et l’enrichissement personnel au détriment de la lutte antiterroriste. Cette situation a pour conséquence immédiate l’aggravation des dysfonctionnements opérationnels. Les FDS restent dans des positions défensives, alors que les terroristes passent à l’offensive. Le manque de communication et l’opacité totale sur les attaques terroristes suggèrent que la situation est hors de contrôle. L’échec sécuritaire est lié aussi à la paranoïa du régime, qui concentre toute son énergie sur la surveillance des individus (opposants au régime et officiers), avec le soutien des Russes, en lieu et place des mouvements des groupes djihadistes.

Le recours à la Russie et à ses mercenaires n’a rien apporté de positif sur le terrain. Au contraire, il a mis en évidence les limites d’une coopération qui n’a jamais été saine. Au Sahel, l’ingérence russe repose sur le mercenariat et sur un réseau structuré de désinformation, incluant sites « panafricains », forums infiltrés, influenceurs TikTok et bots sur X. Coordonné depuis Bamako, Ouagadougou et Niamey avec l’aide de consultants russes, ce système vise à promouvoir la Russie et les putschistes tout en discréditant l’Occident (Africtelegraph.com, 27/04/2025). Qui plus est, la Russie ne s’intéresse à l’Afrique en crise que pour profiter de ses ressources, sans jamais investir dans le moindre projet de développement. On ne rencontre nulle part en Afrique une infrastructure d’envergure réalisée par les Russes.

Des finances publiques en berne

Au cours de ces deux années, les putschistes ont créé les conditions d’une criminalisation de l’économie, en favorisant la corruption, le clientélisme, le népotisme et le pillage systématique des ressources publiques. La gestion de l’État se fait au jour le jour, en recourant à des emprunts à des taux très élevés (11 %) obtenus sur le marché régional afin de rembourser d’autres emprunts contractés peu de temps auparavant. Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour comprendre le marasme financier dans lequel cette pratique plonge le pays, désormais proche de la faillite. Cette gestion improvisée est révélatrice de l’incompétence de la junte et de son gouvernement en matière économique. Aucune donnée financière fiable n’existe et les rapports d’exécution du budget publiés par le ministère des Finances sont tous provisoires. Dans ces conditions, il est impossible de procéder à une analyse financière et économique rigoureuse pour évaluer les risques, ce qui pousse le gouvernement à exercer une pression fiscale sur la classe moyenne.

Un Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie a été créé par le CNSP suite aux sanctions et au gel de l’aide étrangère, en vue de financer l’équipement des FDS. Ce fonds est alimenté par des taxes sur la consommation ainsi que des contributions volontaires. En dépit de l’intense communication autour des dons de personnalités et d’organisations, nombre d’observateurs estiment que ce fonds relève ni plus ni moins d’un racket déguisé à l’encontre des citoyens.

Les investisseurs crédibles ne font désormais plus confiance au Niger au regard de la persistance de l’insécurité, de l’instabilité politique et des mauvaises décisions économiques prises par la junte. Le 3 juillet 2025, l’agence Moody’s a maintenu la note du Niger à Caa3, qui renvoie à une situation de quasi-faillite et qui reflète l’incapacité du gouvernement militaire à gérer l’économie du pays. Malgré le démarrage des exportations pétrolières via l’oléoduc inauguré en août 2024, les recettes attendues (2 à 2,5 % du PIB) restent insuffisantes pour redresser les finances publiques. Le Niger continue d’accumuler des arriérés de paiement (1,1 % du PIB en janvier 2025), dont une part importante envers les banques commerciales locales (www.sikafinance.com, 4/07/2025).

Les conséquences de la détérioration du cadre macro-économique sur la population sont désastreux :

 restriction de l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises, en raison de la fragilisation du secteur bancaire ;

 hausse du coût de la vie, liée à l’inflation et à la perte de confiance des marchés ;

 réduction des dépenses sociales, les ressources étant absorbées par le service de la dette et les dépenses sécuritaires ;

 risque de restructuration de la dette intérieure, avec des pertes potentielles pour les créanciers nationaux (PME, banques, fournisseurs).

Cette situation dégradée ne profite qu’aux investisseurs malveillants ou frauduleux qui se livrent à des activités criminelles, telles que le blanchiment d’argent, le trafic d’armes ou de drogues, etc. Le gouvernement du Niger a par ailleurs signé des accords avec des entreprises étrangères ayant un passé de fraude ou manquant de crédibilité, notamment dans les domaines de l’exploitation de l’or et de la pétrochimie. L’Association nigérienne de lutte contre la corruption, branche de Transparency International (ANLC/TI-Niger), a manifesté son inquiétude concernant le manque de transparence observé dans les attributions des marchés publics. Les groupes terroristes qui sont particulièrement actifs ces deux dernières années au Sahel pourraient profiter de la criminalisation de l’économie pour consolider leur contrôle sur les voies de contrebande déjà établies (www.bbc.com, 11/06/2025).

L’ONG Niger Stop Corruption relève que plusieurs des institutions et procédures devant garantir la transparence dans la gestion des finances publiques ont été supprimées ou dévoyées par le nouveau régime – disparition de la Cour des comptes, dérogation à la loi sur les marchés publics, raréfaction des inspections et audits, etc. [4] La même structure non gouvernementale dénonce la complicité de certains bailleurs de fonds étrangers (la Russie, mais aussi le FMI et la Banque mondiale), qui doivent « faire leur examen de conscience. À qui ont-ils accordé leur soutien sur le plan de la légitimité ? Qui ont-ils armé idéologiquement ? Qui ont-ils accompagné dans le silence face au recul démocratique ? » [5]. Ce type de critique s’étend à ces pays européens qui, de manière individuelle, tolèrent les régimes militaires au Sahel.

Répression tous azimuts

Dans les premières heures du coup d’État, la répression s’est concentrée sur les proches collaborateurs et les membres de la famille du président déchu Bazoum Mohamed. Ce dernier, qui refuse toujours de démissionner, et sa femme sont retenus dans un local de la présidence. Dans les semaines et les mois qui ont suivi, d’autres personnes ont été arrêtées pour avoir exprimé des opinions divergentes de celles de la junte. Ces pratiques autoritaires sont documentées et publiées par des ONG, comme Amnesty International. Les témoignages de détention arbitraire, de torture et de traitements inhumains révèlent un non-respect caractérisé des droits humains.

Parmi les cas les plus marquants, notons aussi l’incarcération sans motif légal de figures bien connues comme l’ancien ministre de l’Intérieur Hama Souley et le militant de la société civile Moussa Tchangari. Même les Nigérien·nes en exil ne sont pas épargné·es, puisque certain·es ont été déchu·es de leur nationalité par un décret du général Tiani, chef de la junte, et des mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre d’autres. Enfin, des officiers soupçonnés de complot sont régulièrement interpellés et soumis à un interrogatoire serré, en vue de les intimider et de les contrôler. En mars 2025, après s’être autoproclamé Président de la République pour cinq ans et général d’armée, le général Tiani a dissous les partis politiques et renforcé la surveillance des syndicats, des ONG humanitaires et de l’ensemble des institutions de l’État.

En dépit de la dissolution des partis politiques, une mesure illégale et infondée, certains leaders politiques sont toujours inquiétés par la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEFF). Cet organe mis en place par la junte pour lutter contre la corruption est perçu par beaucoup d’observateurs comme un instrument d’intimidation et de spoliation qui vise essentiellement la classe politique et les hauts fonctionnaires qui ont servi sous le régime de Bazoum. La COLDEFF a hérité des dossiers physiques en traitement à la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA). [6] Mais sa méthode de travail consiste essentiellement à recouvrer, de façon plus ou moins forcée, des sommes supposées détournées et à négocier des transactions « par entente mutuelle » pour mettre fin aux poursuites. Disposant de pouvoirs étendus, la COLDEFF rend compte au chef du CNSP et empiète sur des prérogatives de la justice, au détriment de la séparation des pouvoirs, comme le regrette le syndicat nigérien des magistrats.

Et pourtant certains officiers de l’armée continuent de voler l’État en toute impunité, protégés par des ordonnances et des décrets sur mesure concoctés pour les besoins du moment. [7] Le général Tiani et son clan ont polarisé l’État en créant deux catégories de Nigériens : les soutiens de la junte sont considérés comme de vrais patriotes et les opposants comme des traîtres à la solde des Occidentaux. Cette dichotomie a généré une division profonde au sein de la société nigérienne, perceptible dans les tendances sur les réseaux sociaux. La junte n’a pas hésité à dépouiller de leur nationalité des Nigériens d’origine, ce qui constitue une première en Afrique et dans le monde [8]. Ses actes d’intimidation ne ciblent pas uniquement une élite politique présentée comme corrompue, mais s’adressent également à l’ensemble des individus ou groupes qui ne partagent pas ses positions ou qui s’opposent à ses actions. Quant aux rares universitaires ayant osé exprimer des critiques, ils ont été qualifiés de « savants aveugles de mauvaise foi » par le général Tiani lors d’une interview en langue haoussa.

Un climat de méfiance et de suspicion caractérise également les rapports entre la junte et les ONG, compromettant la coopération nécessaire à la continuité de leurs activités humanitaires. Surtout, des restrictions ont été imposées à ces organisations, qui entravent leur capacité d’action, alors que leur rôle demeure crucial pour une partie significative de la population vulnérable. Les ONG font désormais l’objet d’un contrôle strict quant à leurs activités et à l’utilisation de leurs fonds. [9] Celles qui tentent de résister à ces contraintes sont souvent expulsées du territoire, abandonnant ainsi des services essentiels pour les communautés locales que les autorités ne peuvent ou ne veulent prendre en charge. Plusieurs ONG, telles que ACTED, Action pour le Bien-Être (APBE), l’International NGO Safety Organisation (INSO) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont déjà été suspendues ou expulsées, tandis que d’autres ont été temporairement suspendues puis réintégrées après négociation avec le ministère de l’Intérieur. Si cette situation devait perdurer, la capacité des ONG à exercer leurs activités serait gravement compromise.

Concentration du pouvoir institutionnel

La junte a donc fondé sa stratégie sur la répression pour asseoir sa domination sur le pays. Pour parvenir à cette fin, elle instrumentalise les institutions sécuritaires et judiciaires, notamment les services de renseignement et le tribunal militaire. Il est de notoriété commune que les régimes autoritaires recourent à la force et à la contrainte pour soumettre la population. Dans le cas du Niger, il apparaît clairement que les institutions supposées garantir la sûreté de l’État se sont transformées en instruments de répression sous l’emprise d’une junte militaire avide de pouvoir et d’argent. Ce détournement reflète la faiblesse institutionnelle de l’État. En effet, les services de renseignement et le tribunal militaire n’ont jamais pu s’opposer à l’autoritarisme militaire. Comme l’observait un magistrat : « ces institutions traquent, jugent et condamnent les auteurs des tentatives de coups d’État, mais jamais les auteurs des coups d’État réussis ».

Une institution comme la DGDSE [10] a une mission précise, qui consiste à collecter et à traiter l’information en vue de prévenir ou de neutraliser les menaces à la sécurité de l’État. Elle est censée être un service de renseignement encadré par la loi avec des objectifs très clairs qui sont de prévenir les surprises stratégiques, de protéger l’État contre les agressions externes et internes et de sécuriser le fonctionnement de la société démocratique. Un service de renseignement ne doit pas avoir d’autre objectif que de faciliter le processus décisionnel des autorités, mais il ne peut en aucun cas se substituer à l’État et agir en dehors du contrôle administratif et juridique de ce dernier. Le renseignement est au service de la sécurité de l’État et non d’un individu ou d’un groupe d’individus.

Au Niger, le système de renseignement est caractérisé par l’absence de cadre législatif spécifique et précis. Les services de renseignement sont créés et organisés par décret, ce qui signifie que leur existence et leur fonctionnement sont déterminés par des décisions prises par le pouvoir exécutif, sans qu’il y ait une loi spécifique qui les réglemente. Les décrets qui créent et organisent les services de renseignement définissent de manière globale leurs missions, mais les détails de leur fonctionnement interne et de leurs fonctions particulières sont souvent contenus dans des textes réglementaires non publics, tels que des arrêtés, des circulaires et des décisions. Ces textes sont souvent classés secret-défense, ce qui signifie qu’ils ne sont pas accessibles au public. Les risques d’abus, qui existent dans un contexte démocratique, s’aggravent en situation autoritaire. En l’occurrence, la DGDSE s’est illustrée depuis le coup d’État du 26 juillet 2023 dans la traque des proches du président déchu Bazoum, des membres de sa famille, de ses collaborateurs, des personnalités politiques, des forces de défense et de sécurité (FDS), des hauts cadres de l’État, des journalistes, etc. Toutes les personnes qui ont essayé de défendre les principes démocratiques ou ont critiqué ouvertement la junte ont été arrêtées par la DGDSE puis placées en détention par un juge d’instruction du tribunal militaire. Il est désormais impossible d’échapper à l’arbitraire, à la calomnie ou à la délation, si bien qu’aucun individu n’est à l’abri d’une arrestation, la détention étant devenue la norme et la liberté l’exception [11].

Des sources militaires indiquent qu’au moins une cinquantaine d’officiers ont été interpellés dans un silence absolu, certains ayant été réincarcérés après plusieurs mois de détention clandestine, tandis que d’autres sont toujours détenus dans les locaux de la DGDSE, sans qu’aucune information sur leur état ne soit transmise à leurs familles. Le cas de Ben Hamaye, un proche de Bazoum qui était directeur à la DGDSE, illustre cette situation : arrêté avec vingt-quatre autres personnes (étudiants et membres de la famille de Bazoum), il a été torturé puis exhibé en sang à la télévision nationale. Certains officiers de l’armée et responsables civils sont maintenus en détention illégale par les services de la DGDSE depuis juillet 2023. Un avocat ayant représenté certains détenus témoigne en ces termes : « mes clients ont été battus, cagoulés, insultés et détenus dans des lieux non reconnus par la loi ».

L’organisation d’« assises nationales », du 15 au 20 février 2025, qui visaient officiellement à établir une vision commune de l’avenir du Niger, a accentué le contrôle de la junte sur les institutions politiques. Les six cents membres de cette rencontre ont été soigneusement sélectionnés par les militaires afin de ratifier des résolutions pré-écrites. Leurs conclusions ont recommandé de prolonger la transition pour une durée indéfinie [12] sans recourir à des élections et de dissoudre les partis politiques, bref de mettre un terme définitif à la démocratie et à l’État de droit. Un bon mois plus tard, le 26 mars 2025, le général Tiani était investi président du Niger, promulguait la « charte de la refondation » proposée par les assises, actait la dissolution des partis et s’élevait au rang de général d’armée.

Par ailleurs, une disposition de la charte de la refondation suscite la division parmi les Nigériens, à savoir son article 12 qui érige la langue haoussa en langue nationale et relègue les autres au statut de « langues parlées ». Une décision sur un enjeu identitaire potentiellement explosive, l’usage du français langue officielle depuis l’indépendance évitant justement les tensions interethniques linguistiques, d’autant qu’elle est prise dans un contexte de frustrations accumulées des citoyens engendrées par la cherté de la vie, la pression fiscale, la dégradation de la sécurité et l’inaction du gouvernement face aux multiples revendications sociales (grève des enseignants). Aucun pouvoir politique n’avait osé s’aventurer sur ce terrain auparavant. Certes, des allusions à caractère ethnique étaient parfois présentes dans certains discours politiques, mais sans menacer la cohésion du pays à cette échelle.

Poursuivant son entreprise de réorganisation des institutions, le pouvoir militaire procéda le 28 juin 2025 à l’installation d’un conseil consultatif de la refondation (CCR). Composé de 194 membres (civils et militaires désignés par la junte), le CCR a pour mission « d’une part, de donner son avis au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) et au gouvernement sur toute question intéressant la vie de la nation dont il est saisi, et d’autre part, de faire de sa propre initiative toutes propositions ou recommandations au CNSP et au gouvernement sur toutes questions d’intérêt général » (www.lesahel.org, 18/04/2025). Les avantages et les indemnités alloués aux membres de ce conseil ont également choqué les Nigérienne·s. Ces dernier·ères estiment qu’il s’agit d’une forme de clientélisme qui coûte très cher aux contribuables dans un contexte marqué par une crise financière et socioéconomique persistante (https://lesechosduniger.com, 01/07/2025).

À l’international, provocations et décisions controversées

Au-delà des multiples ordonnances et décrets répressifs visant à museler toute opposition, la junte se singularise par le caractère conflictuel et provocateur de sa diplomatie. Les pays voisins (Algérie, Bénin, Nigeria), la CEDEAO et la France sont accusés de complot en vue de déstabiliser le Niger. Les décisions suivantes prises au cours des deux années ayant suivi le coup d’État sont supposées illustrer le caractère souverainiste de la politique étrangère menée par les militaires : la dénonciation des accords de défense et de sécurité entre le Niger et la France ; le renvoi de l’ambassadeur de France ; le retrait de l’accord relatif au statut du personnel militaire des États-Unis ; la suspension des droits de diffusion de certains médias français tels que France 24, RFI, Le Monde, etc. ; la dénonciation de l’accord militaire entre le Niger et le Bénin et la fermeture des frontières avec le pays voisin, etc.

La rupture avec les pays occidentaux et le retrait du G5 Sahel et de la CEDEAO ont été de pair avec un rapprochement avec la Russie et les deux autres régimes militaires du Sahel, qui a débouché sur la formation de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso), destinée à coordonner les dispositifs sécuritaires nationaux contre la menace djihadiste. Bien qu’elles prônent la souveraineté, les juntes de ces trois pays ont simplement remplacé la dépendance aux pays occidentaux par la dépendance à la Russie et à la Chine. Qui plus est, comme déjà écrit, l’économie de leurs pays reste largement tributaire de la Banque mondiale et du FMI.

Mais la susceptibilité des autorités ne cible pas que les pays occidentaux ou les pays voisins perçus comme inféodés à l’Occident. Suite à des désaccords autour du remboursement d’un emprunt chinois et du redressement fiscal de l’entreprise chinoise exploitant le principal champ pétrolifère du Niger (Agadem), la junte a en effet pris des mesures d’expulsion à l’encontre de travailleurs et dirigeants des entreprises chinoises qui opèrent dans le secteur pétrolier du pays. Dans la foulée, un hôtel de luxe appartenant à une société chinoise a été fermé et le personnel nigérien mis au chômage. Le général Tiani a été jusqu’à accuser la Chine de tentative de corruption et de financement des proches de Bazoum en exil en France (www.lsiafrica.com, 1 juin 2025).

Faiblesse de l’ancrage démocratique parmi les partis et la société civile

Le coup d’État du général Tiani a révélé deux phénomènes importants : l’extrême fragilité des institutions et l’irresponsabilité caractérisée d’une classe politique qui a choisi la résignation. Depuis le 26 juillet 2023, on a assisté à un effondrement institutionnel et à un renoncement politique systémique [13]. Tant les membres de la cour constitutionnelle que les élus du peuple ont pris acte de la suspension de la constitution et de la dissolution des institutions. Tous les leaders politiques qui s’étaient battus pour la démocratisation du pays ont adopté une posture de neutralité ou de silence face à la junte. Pire, ils ont assisté en direct à la dissolution de leurs propres partis politiques. Pour beaucoup d’observateurs, le comportement assez troublant de la classe politique s’explique par son manque de principe et son opportunisme qui oscille entre préservation d’intérêts et calculs post-junte (L’Autre Républicain, 13 mai 2025).

Cette inaction des figures historiques de la démocratie est caractéristique d’un déficit de leadership et d’un désarroi politique. Tous ces gens qui ont dirigé le pays dans un cadre démocratique ont capitulé face à la junte. Chacun des leaders des partis alliés du régime et de l’opposition a voulu profiter de la situation à travers un silence coupable. Seuls les partisans de Bazoum ont réagi au coup d’État, qu’ils considèrent comme l’œuvre de son prédécesseur Issoufou Mahamadou. Les moins catégoriques estiment qu’il a soutenu et accompagné les putschistes par opportunisme et calcul politique comme les autres. Dans tous les cas, sa position conciliante vis-à-vis de la junte ne peut qu’intensifier l’imbroglio politique que le Niger vit actuellement.

Le chercheur belge Gauthier Pirotte estime que : « La société civile n’est pas d’essence démocratique par sa seule dimension associative, cela dépendra des idées et valeurs (compatibles ou non avec la démocratie) qu’elle exprime et de la possibilité pour ses acteurs d’exprimer cette diversité d’opinions au sein d’espaces publics autonomes de la société politique, troisième élément constitutif de la société civile ». [14] Au Niger, les ambitions politiques inavouées de certains acteurs de la société civile se révèlent lors des coups d’État militaires. Les crises politiques occasionnées par les coups d’État sont des opportunités pour certains acteurs de la société civile d’accéder à l’État en apportant leur soutien aux militaires, qui dès lors y trouvent une forme de légitimation.

Dans ces contextes, la classe politique est pointée du doigt par la société civile et accusée d’irresponsabilité et d’immaturité, sources de l’instabilité quasi permanente [15]. Ce qui n’est pas réellement faux, car l’adversité politique a toujours été à la base des crises qui débouchent sur un coup d’État militaire. Mais les acteurs de la société civile politisée développent une rhétorique qui discrédite et rejette la classe politique… pour mieux se présenter à la junte militaire comme une alternative politique. [16] Cette convergence d’ambition en dehors du jeu démocratique a tendance à sceller une sorte de contrat tacite entre les juntes militaires et une partie de la société civile. Face à des partis politiques plus ou moins forts, les juntes ont besoin de la société civile dans une sorte de « checks and balances system ». La survie d’un régime militaire dépend aussi du soutien que lui apporte la société civile [17]. Les militaires font appel aux acteurs sociaux pour consolider leur pouvoir en contrepartie de nominations à des postes politiques (ministre, conseiller, chargé de mission, etc.).

D’ailleurs, certains mouvements émergent dans de telles circonstances et servent de vecteurs de communication aux militaires. Dans le contexte actuel du Niger, la dépréciation de la classe politique, la rhétorique souverainiste, le rejet de l’intervention militaire occidentale et la propagande nationaliste ont initialement suscité un soutien général en faveur de la junte. Mais ce mouvement de solidarité s’est progressivement effrité face aux réalités de la gouvernance et de l’exercice du pouvoir par la junte. Après des assises nationales qui ont réuni 600 personnes sur 27 millions d’habitants, la junte a casé les acteurs de la société au sein du Conseil consultatif de la refondation, un organe créé pour ce genre de clientélisme.

Les régimes militaires : violence et absence de développement

L’analyse historique du Niger et du Sahel montre que les régimes militaires ont généralement été accompagnés de niveaux élevés de répression et de violence. L’exemple du régime de Seyni Kountché (1974-1987) est particulièrement emblématique. Lors de sa présidence du pays, un procès expéditif a eu lieu où neuf officiers militaires accusés de tentative de coup d’État ont été jugés, avec des exécutions à la clé pour certains d’entre eux. Plus tard, sous le régime du colonel Baré Mainassara (1996-1999), des vagues d’arrestations arbitraires et de tortures ont été rapportées, marquant une période de terreur où les droits des citoyens étaient systématiquement bafoués.

Lorsque les militaires prennent le pouvoir, leur manque de légitimité les pousse à adopter des stratégies de répression [18]. La peur de perdre le contrôle incite souvent les juntes africaines à instaurer des politiques répressives, clientélistes et corruptrices où les ressources de l’État sont utilisées pour acheter le soutien d’alliés et pour réduire au silence les opposants. Cette dynamique crée un climat où la violence devient un outil de contrôle politique et social, renforçant l’emprise du pouvoir militaire sur la société. Avec le régime du général Tiani, on assiste non seulement à une militarisation de la politique, mais aussi de l’espace public. Comme le journaliste Mauro Armanino l’a souligné, « la conséquence la plus palpable est la présence visible de la militarisation de la vie sociale » (L’Autre Républicain, 15 octobre 2024).

Les juntes du Burkina Faso et du Mali ont opté pour une stratégie similaire de militarisation de la société en critiquant la démocratie et en remettant en cause la gouvernance civile. En effet, un narratif insidieux gagne du terrain : la démocratie et les gouvernements civils auraient causé le retard et l’instabilité de ces nations, tandis que les régimes militaires incarneraient une solution salvatrice. Ce récit est relayé par la société civile et certains milieux intellectuels. Pour beaucoup d’Africain·es, le militaire est perçu comme un vecteur de valeurs fondamentales telles que l’ordre, la discipline, la rigueur et l’intégrité. Ces qualités sont considérées comme essentielles et souhaitables chez un leader politique. La discipline militaire est perçue comme modèle de gouvernance ou de leadership.

Néanmoins cette perception, amplifiée par les crises sécuritaires et économiques, repose sur une distorsion historique : depuis leur indépendance dans les années 1960, les trois pays de l’AES ont été davantage marqués par la domination militaire que par des expériences démocratiques durables, les juntes ayant systématiquement entravé toute tentative de consolidation institutionnelle. Une analyse rigoureuse des périodes de gouvernance révèle une vérité passée sous silence : les civils ont disposé de trop peu de temps pour bâtir des politiques de développement cohérentes, tandis que les militaires, qui sont restés des décennies au pouvoir, n’ont pas réussi à répondre aux défis structurels [19]. Ce constat met à mal l’idée selon laquelle la démocratie serait responsable du sous-développement. L’histoire montre que les militaires, loin d’être des sauveurs, ont consolidé leur pouvoir au détriment du développement, de la sécurité et de la paix sociale. Hier comme aujourd’hui : au Mali, l’arrivée des mercenaires russes en 2022 n’a pas enrayé la violence ; au Burkina Faso, sous Ibrahim Traoré, les déplacements forcés dépassent 1,5 million de personnes ; au Niger, l’insécurité a considérablement augmenté sous le régime de la junte militaire.

Conclusion

Depuis le coup d’État contre le président Bazoum Mohamed, le régime militaire dirigé d’une main de fer par le général Abdourahamane Tiani n’est pas arrivé à répondre aux besoins des Nigérien·nes, que ce soit en termes de sécurité ou de bien-être. Sans vision ni objectifs clairs pour répondre aux préoccupations du peuple, il se livre à des violations massives et systématiques des droits humains, à la gabegie financière, à la destruction méthodique des institutions de l’État et à la provocation diplomatique. La transition démocratique promise par la junte a été avortée, laissant la voie à la consolidation d’une dictature et à l’apparition de voyants rouges sur le tableau de bord de l’État (sécurité, économie, politique, diplomatie, droits humains, action humanitaire…). Après deux ans de tâtonnement, force est de constater que la junte militaire pousse lentement mais sûrement le Niger dans le désordre et la confusion.

Aujourd’hui, la majorité de l’élite nigérienne est inféodée à la junte, par peur ou par opportunisme. Le mal est profond. L’État court le risque de s’effondrer entre les mains de l’armée, qui est censée le défendre et le protéger. Avec des conséquences désastreuses pour la population nigérienne et au-delà des frontières. Car le Niger est le verrou sécuritaire dans un Sahel en ébullition. Sa désintégration risque de provoquer une insécurité généralisée qui va directement toucher toute l’Afrique de l’Ouest, mais aussi par ricochet l’Europe.


Notes

[1Les informations et données sécuritaires proviennent principalement de sources primaires non vérifiables. D’autres sont issues des ONG, qui font de plus en plus profil bas depuis l’avènement de la junte au pouvoir. Les rares communiqués du gouvernement sur les attaques ne sont pas convaincants et sont souvent contredits par les témoignages des rescapé·es. En l’absence de structure formelle et crédible de suivi des incidents et d’informations gouvernementales fiables, les principales sources d’information et de diffusion de données sécuritaires restent les témoignages sur les réseaux sociaux, que le gouvernement n’arrive pas à contredire.

[2Monitoring des incidents sécuritaires postés sur les réseaux sociaux par Abdou Pagoui et Hamid N’Gadé à l’occasion de l’an 1 du coup d’Etat contre Bazoum Mohamed.

[3D’autres sources avancent des nombres nettement plus élevés (jusqu’à plus de trois mille).

[5Posté le 06/07/2025 sur la page Facebook de Niger stop Corruption.

[6La HALCIA a été créée par la loi 2016-44 du 06 décembre 2016 pour prévenir et lutter contre la corruption. A ce titre, elle est chargée de concevoir, d’élaborer, de mettre en œuvre, de suivre et d’évaluer la stratégie nationale ainsi que le plan d’actions de lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Elle est également compétente pour mener des investigations sur tous les faits de corruption et d’infractions assimilées.

[7Notamment l’ordonnance du 7 juin 2024 modifiant la loi sur la cybercriminalité ; l’ordonnance du 23 février 2024 portant dérogation à la législation relative aux marchés publics, aux impôts, taxes, redevances et à la comptabilité publique ; le décret n° 2025-160/P/CNSP du 26 mars 2025 portant promulgation de la Charte de la Refondation.

[8Human Rights Watch, « Niger Counterterrorism Decree Targets Political Opponents », 15 octobre 2024.

[9D’après des témoignages de dirigeants d’ONG, le harcèlement de ces organisations par le ministère de l’Intérieur viserait en réalité à s’approprier les fonds qu’elles gèrent, illustrant la logique affairiste qui gouverne ce ministère.

[10La direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure.

[11Propos postés sur les réseaux sociaux et partagés dans les groupes WhatsApp. Depuis le coup d’État, les intellectuels nigériens s’expriment rarement sur les réseaux sociaux pour dénoncer les dérives du régime. Plusieurs universitaires ont été interpellés par la police judiciaire pour avoir dénoncé la position pro-putschiste de leurs représentants syndicaux.

[12Précisément, la durée de cinq ans préconisée peut « évoluer en fonction de la situation sécuritaire, du cahier des charges de la refondation et de l’agenda de la confédération des États du Sahel ».

[13Jonathan Guiffard, « Coup d’État au Niger : ambitions personnelles et fragmentation du Sahel », Expression, Institut Montaigne, 2 août 2023.

[14Pirotte G., La notion de société civile, Paris, La Découverte, (2016) [2e éd.].

[15Olivier de Sardan J. P., « Les conflits de proximité et la crise de la démocratie au Niger », Cahiers d’Études Africaines, 2019-2, n°234.

[17Thiriot C., « Sortir de l’autoritarisme militaire », in Nadal E., Marty M. et Thiriot C., Faire de la politique comparée, Paris, Karthala., 2005.

[18Mouiche I. et Ewusi, S. K. (dir.), Gouvernance et sécurité en Afrique subsaharienne francophone : entre corruption politique et défis sécuritaires, Addis Abéba, Université des Nations Unies pour la Paix (UPEACE), 2015.

[19Au Mali, sur les soixante-quatre ans écoulés depuis l’indépendance, les régimes militaires ont cumulé environ trente ans de pouvoir, contre trente-quatre pour les civils. Cinq coups d’État (1968, 1991, 2012, 2020, 2021) ont jalonné cette histoire, brisant à chaque fois les dynamiques démocratiques. À lui seul, le régime de Moussa Traoré (1968-1991) a étouffé pendant vingt-trois ans toute velléité pluraliste. Au Burkina Faso, le tableau est encore plus éloquent : quarante-neuf ans de gouvernance militaire contre seulement quinze ans pour les civils, ponctués de six putschs (1966, 1980, 1982, 1983, 1987, 2022). Le long règne de Blaise Compaoré (1987-2014), autoproclamé « civil » après 1991, n’a été qu’une façade pour un système autoritaire. Le Niger, malgré une relative stabilité démocratique entre 2011 et 2023, compte vingt-cinq ans de pouvoir militaire contre trente-neuf pour les civils, avec cinq coups d’État (1974, 1996, 1999, 2010, 2023) qui ont sapé les efforts de construction de l’État.


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