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Coup d’état militaire au Niger : un recul pour l’armée elle-même

Aujourd’hui 28 juillet 2023, nous sommes à la veille de la commémoration du 32ème anniversaire de la Conférence nationale souveraine, événement fondateur de la démocratie au Niger ; et le pays se trouve dans une situation politique très singulière, pour ne pas dire inédite, avec un Président de la République pris en otage dans sa résidence par des éléments chargés d’assurer sa sécurité.

La garde présidentielle, qui est au cœur de cette action de remise en cause de l’ordre républicain, a reçu le soutien d’autres éléments de l’armée et de la garde nationale. Elle a obtenu, depuis hier, le ralliement du haut commandement des forces armées nigériennes, à travers un communiqué signé des mains de son Chef d’état-major général.

Ainsi donc, depuis le 26 juillet, l’unité la mieux équipée du pays, celle qui reçoit les meilleurs traitements de la part de l’État, est devenue, de fait, la locomotive des forces de défense et de sécurité ; et c’est déjà là un fait très grave qui doit heurter toute conscience républicaine au Niger où, par le passé déjà, cette unité avait tenu le même rôle après avoir assassiné le Président dont elle devait assurer la sécurité. En effet, on se souvient qu’en avril 1999, lorsque des éléments de la garde présidentielle menés par leur chef, Daouda Mallam Wanké, avaient assassiné, de la manière la plus cruelle, le président Baré à l’aéroport de Niamey, le camp de cette unité était devenu le centre du pouvoir. Les chefs de toutes les autres unités de l’armée se sont ralliés à celui qui avait manqué à son devoir ; et il fut couronné Chef d’État d’une transition qui a tenu le pays pendant 9 mois.

A l’époque, comme aujourd’hui, l’action de la garde présidentielle a été un révélateur éloquent de la faillite de quelque chose d’essentiel au sein des forces armées, à savoir les principes de base même sur lesquels elles sont censées fonctionner.

Ces principes de base, ils sont connus de chaque soldat ; il s’agit d’abord, de la discipline et du respect strict de la hiérarchie, en vertu desquels un soldat exécute, sans murmures ni hésitations, des ordres venant de ses supérieurs ; et il s’agit ensuite du sens de la mission qui, associé à l’esprit de discipline, veut que chaque soldat s’en tienne strictement à la mission qui lui est confiée et l’accomplisse du mieux qu’il peut, en engageant, au besoin, sa responsabilité personnelle.

Ces principes, ce sont aussi la subordination des militaires à l’autorité civile, l’allégeance à l’État et l’engagement à la neutralité politique.

Dans tous les pays du monde, les armées fonctionnent sur la base de ces principes fondamentaux, dont l’observance stricte constitue la garantie de leur force et de leur efficacité ; car, il est établi qu’une armée au sein de laquelle ces principes ne sont pas observés, dérive en bandes autonomes, et parfois même rivales, qui ne peuvent, en aucun cas, accomplir efficacement la mission première d’une armée républicaine.

Les coups d’état militaires de ces dernières années, au Niger et ailleurs dans la région, montrent bien que ce n’est pas seulement l’ordre républicain qui est remis en cause, c’est aussi l’ordre militaire lui-même qui est battu en brèche ; car, aucun de ces coups d’état n’a été l’œuvre de la hiérarchie militaire, qui s’est souvent crue en devoir, comme c’est le cas présent au Niger, de soutenir une telle initiative, même lorsque tout laisse croire qu’elle a été prise par le chef d’une seule unité.

Bien entendu, il est toujours de bon ton de saluer, comme procédant de la volonté d’éviter un affrontement meurtrier entre frères d’armes, le ralliement des chefs des autres unités à celui qui a pris l’initiative de tirer le premier coup de feu ; mais, le problème c’est que dans ces conditions, nous n’arriverons jamais à construire une armée républicaine, et devrons donc accepter que tout chef d’une unité présumée être la plus puissante, est destiné à diriger, un jour ou l’autre, le pays, si quelques circonstances s’y prêtent.

En tout cas, que ce soit au Niger ou ailleurs, les chefs militaires, en se ralliant systématiquement derrière un des leurs qui sort des rangs et piétine les principes de base d’une armée républicaine, ne donnent pas un bon signal du sens du devoir et du sacrifice qui doit les caractériser ; et cela n’est pas un signe encourageant, surtout dans des pays où les armées nationales sont défiées, depuis des années, par des groupes armés divers, décidés aussi à prendre le pouvoir par la force.

En cette veille du 32ème anniversaire de la Conférence nationale souveraine, il y a lieu de rendre un hommage appuyé à ceux qui, étudiants et travailleurs, se sont battus à l’époque pour l’instauration de la démocratie au Niger. Cet hommage, ils le méritent, parce qu’ils ont osé, à l’époque, affronter un pouvoir qui avait fait tirer à balles réelles sur une manifestation pacifique des élèves et étudiants. La démocratie pour laquelle nous nous sommes battus a été fortement malmenée, et même parfois franchement dévoyée, au cours de ces dernières années ; mais, nous avons été nombreux à nous battre, à prendre des risques, à consentir des sacrifices pour qu’elle se maintienne et qu’elle ne se perde pas complètement.

Les dérives que nos énormes sacrifices, dans le cadre de luttes démocratiques pacifiques, peinent jusqu’ici à arrêter, ne peuvent pas l’être par des coups d’état militaires ; et comme beaucoup d’autres citoyens lucides, nous ne croyons pas que ce soit d’ailleurs la préoccupation de celui qui vient de se proclamer Chef de l’État.

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Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.