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Quel est, à l’heure actuelle (jeudi 31 octobre [1]) votre évaluation de la COP16, des avancées comme des points de blocage ?
Cette COP a différents objectifs, mais je vais me centrer sur certains des enjeux politiques. Il s’agit de positionner certains thèmes, dont ceux de « la paix avec la nature » et de la biodiversité, à l’agenda tant national qu’international, et d’avoir une « COP des gens », qui permette la participation citoyenne. On a assisté à un grand déploiement d’activités au sein de la « zone verte » – plus de 120 événements étaient enregistrés auprès du ministère de l’environnement, mais il y en a eu d’autres –, qui est ainsi devenue un espace de débats, d’initiatives et de participation, notamment des jeunes et des femmes. La COP a constitué un événement paradigmatique en matière de participation populaire.
Au niveau local, Cali s’est transformée en une scène verte, avec des espaces pédagogiques pour (mieux) comprendre l’écosystème, les apports de la biodiversité dans la vie quotidienne, etc. L’un des principaux enjeux sera d’assurer que cet espace se maintienne, qu’il y ait une continuité. Auparavant, on a entendu beaucoup de critiques sur l’improvisation, le désordre, etc. de ce sommet et on voit en réalité une organisation impeccable jusqu’à présent ; c’est aussi une réussite.
Au niveau international, une coalition de paix avec la nature s’est construite, liant la paix, les droits humains et la protection de l’environnement, qui a déjà été signée par vingt-deux pays et plus d’une dizaine d’organisations [2]. De plus, la relation étroite entre le climat et la biodiversité a été mis en avant au cours des négociations, soulignant la nécessité que les trois COP [Conférences des Parties sur la biodiversité, le climat et la désertification] s’articulent davantage.
Le financement est un nœud : les pays les plus responsables de la dégradation de la biodiversité ne s’engagent pas. Cette situation est au centre du radar. De même que les peuples indigènes et les communautés locales, qui espèrent être reconnus, ainsi que leur rôle dans la préservation de la biodiversité. Nous devons travailler plus et mieux pour que cette reconnaissance leur soit acquise [3].
Enfin, la préparation et la réalisation de la COP16 a donné la possibilité à des organisations sociales et environnementales d’échanger, de se (re)trouver, de converger, de renforcer leurs réseaux ; c’est ce qu’on appelle ici la « juntanza ». C’est un moment d’opportunité qui permet de tisser des liens formels et informels, aux niveaux national et international.
À propos de la question des financements, qui constitue à la fois un enjeu central, un point de blocage et un clivage Nord-Sud, la question tient à la fois de la disponibilité de ceux-ci, mais aussi de la façon dont ceux-ci sont fournis, à savoir souvent sous la forme de prêts qui aggravent l’endettement des pays du Sud. Et l’on parle actuellement de « crédits biodiversités » un peu sur le modèle des « crédits carbone », qui constituent pourtant un échec, sinon une arnaque. Quelle est votre position à ce sujet ?
Les « crédits carbone » ont fait l’objet de critiques importantes de la part de certains groupes indigènes, afrodescendants, paysans, d’ONG et d’universitaires. Ces critiques portent principalement sur les conditions profondément inégales qui caractérisent les négociations. Celles et ceux qui remettent en cause ces marchés affirment que, loin d’être une solution équitable, ils deviennent des outils de contrôle des territoires.
Ce gouvernement travaille à la mise en œuvre de réglementations visant à réguler ce marché, à garantir les droits des peuples et à renforcer la souveraineté sur les ressources liées au carbone. La COP16 se veut également à l’écoute des communautés, afin que leur connaissance de l’environnement et de la biodiversité soit reconnue et valorisée, ainsi que leur propre approche de la protection de la nature.
La COP16 apparaît comme une vitrine du gouvernement colombien, qui entend mettre en avant le changement qu’il promeut autour de « la paix avec la nature ». Dans le même temps, la Colombie constitue l’un des pays au monde avec le nombre le plus élevé de défenseurs et défenseuses de l’environnement assassinés [4]. Comment comprendre cette contradiction ?
En effet, selon les rapports de Global Witness, la Colombie détient le record du nombre de défenseurs de l’environnement assassinés. Cette situation est profondément liée à des problèmes historiques tels que le conflit armé, le trafic de drogue, les gangs criminels et les profondes inégalités sociales. La violence reste une préoccupation majeure, tant pour le gouvernement actuel que pour les mouvements sociaux, qui exigent des réponses claires et efficaces. Nous avons hérité non seulement d’un passé de violence, mais aussi d’un cadre réglementaire qui a affecté les communautés paysannes et les autres communautés vulnérables. Malgré les efforts déployés pour parvenir à une paix totale, il y a eu une multiplication des groupes armées à la suite de l’Accord de paix [de 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie – FARC], ce qui accroît les risques pour celles et ceux qui défendent les territoires.
D’autre part, nous sommes confrontés à un État lent et pachydermique, où un acte administratif peut prendre entre six et huit mois, ce qui génère de la frustration et de l’impatience chez les citoyens. De plus, il s’agit d’un État néolibéral conçu pour servir des intérêts autres que les besoins de la population, ce qui complique la mise en œuvre de politiques publiques transformatrices. Cette situation reflète une culture institutionnelle caractérisée par une faible articulation et une fragmentation entre les ministères, et une logique qui ne répond pas de manière adéquate aux demandes de la société. Il existe également des défis spécifiques à ce gouvernement : la gauche, au-delà de certaines administrations régionales, n’avait jamais gouverné au niveau national auparavant. Il est donc essentiel de renforcer les connaissances sur le fonctionnement de l’État, d’acquérir plus d’expérience et d’améliorer la coordination institutionnelle.
Enfin, dans le domaine de l’environnement, il convient de souligner que le système environnemental national est décentralisé. En tant que ministère, nous sommes l’organe directeur chargé d’orienter la politique, mais la gestion est entre les mains des entités autonomes régionales, dont l’autonomie, bien que précieuse, complique parfois la mise en œuvre en raison de la politisation de ces entités. À cela s’ajoute la réalité territoriale et politique : la plupart des gouvernements locaux et départementaux sont opposés au gouvernement national, ce qui, dans certains cas, rend la coordination et l’harmonisation des efforts difficiles.
La COP16 est une vitrine des réussites du gouvernement, mais aussi de ce qui se fait collectivement, à travers les organisations, et de ce qui se passe dans les territoires. Cela donne une visibilité. Et lorsque des personnes et des territoires sont plus visibles, ils sont moins en danger et mieux protégés. C’est aussi un objectif du gouvernement au-delà de la COP : visibiliser et protéger la population et les territoires.
Vous venez de la société civile, des mouvements sociaux, au sein desquels vous avez réalisé votre trajectoire [5]. En passant du côté gouvernemental, arrivez-vous à nourrir le gouvernement de cette expérience et à réinventer un lien entre gouvernants et acteurs et actrices de la société civile, sans générer de la cooptation ?
Le fait d’avoir travaillé tant d’années au sein de la société civile donne confiance aux organisations, facilite le dialogue avec les mouvements. Notre ministère respecte l’autonomie des organisations, travaille en articulation avec celles-ci. Beaucoup de gens du mouvement social ont rejoint le gouvernement, mais n’est-ce pas justement nous, qui avons passé tant de temps au sein du mouvement social, qui devons être ici et participer à ce gouvernement ?
Le mouvement social a toujours eu de la défiance envers l’État. Dans mon cas personnel, le fait d’avoir partagé les luttes m’aide à positionner les demandes des organisations sociales au sein du ministère, tout en veillant à ne pas coopter les processus. Je pense que c’est une lutte permanente parce que certains viennent des mouvements et assument le rôle de porte-parole de ceux-ci. Or, ce n’est pas notre rôle au sein du gouvernement et cela génère un risque de cooptation et d’ambiguïté. Cela s’est surtout manifesté la première année du gouvernement de Petro. Mais c’est aussi un processus d’apprentissage, car on n’a jamais gouverné.
Dernière question : en tant que vice-ministre femme, êtes-vous plus exposée à des réticences ou à de l’hostilité au sein et en-dehors du gouvernement ?
La participation des femmes au sein du mouvement socio-environnemental en Colombie a toujours été très significative. Leur rôle est reconnu. De plus, le ministère de l’environnement est moins situé au centre d’enjeux conflictuels que d’autres ministères. Enfin, notre ministre est une femme [Susana Muhamad] et une femme avec un grand leadership, à l’intérieur comme en-dehors du ministère. Pour toutes ces raisons, je n’ai pas été exposée à de l’hostilité. Cependant, je reconnais que des difficultés peuvent surgir dans d’autres espaces et ministères où des dynamiques davantage masculinisées prédominent.