L’événement a lieu tous les cinq ans et il constitue l’un des – sinon « le » – moments forts de la vie politique chinoise. Le Congrès national du Parti Communiste Chinois (PCC) est en effet la réunion politique la plus importante du pays, puisque c’est là que sont notamment désignés (officiellement), les membres des principales structures dirigeantes du parti-État : Comité central (205 sièges), Bureau politique (25 membres), Comité permanent de ce bureau (sept membres) et jusqu’au poste de Secrétaire général.
Certes, les décisions ont déjà été prises en amont en toute opacité, et le caractère ritualisé et scénographié de l’événement donne souvent l’impression d’une vaste mise en scène dénuée du moindre intérêt. Néanmoins, ces Congrès quinquennaux offrent des informations utiles sur les tendances et orientations futures de la politique du pays, ne serait-ce qu’à travers les profils des personnes choisies (ou écartées) ou encore via les thèmes prioritaires (ou délaissés) des discours officiels.
Cette année, les regards sont surtout braqués sur Xi Jinping et son coup de force historique. En effet, depuis la mort de Mao, la règle voulait que la direction du pays se fasse plus collégiale et que les principaux mandats soient limités à deux quinquennats maximum (officiellement pour la présidence de la République et officieusement pour les autres postes clés). Or, l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 a bouleversé cette (relativement récente) tradition [1] . Non seulement ce dernier a rapidement réuni entre ses mains les principaux postes de direction (Secrétaire général du PCC, Président de la commission militaire centrale et Président de la République), mais, en 2018, il a aussi fait sauter la limite de renouvellement du mandat présidentiel, avant de faire comprendre qu’il briguerait également un troisième mandat de Secrétaire général du PCC.
Le 20e Congrès du PCC qui vient de s’ouvrir à Pékin pourrait donc bien être le premier depuis la mort de Mao à renouveler un Secrétaire général pour un troisième mandat. Une décision historique, dont on comprend qu’elle ait concentré l’essentiel de l’attention médiatique… mais au risque de finir par occulter d’autres enjeux importants.
Quelles relations entre la Chine et les pays du Sud ?
Parmi ceux-ci, l’orientation future de la relation entre la Chine et les pays du Sud figure incontestablement en bonne position, même si elle risque d’être relativement secondaire dans les débats eux-mêmes. C’est que les principaux défis auxquels sont actuellement confrontés les dirigeants chinois sont plutôt internes : ralentissement économique, coûts de la stratégie zéro-covid, explosion de la bulle immobilière, etc. [2] Néanmoins, en tant que deuxième puissance économique et géopolitique mondiale, les enjeux internes à la Chine ont directement une portée globale. Et à l’inverse, le contexte international contraint aussi fortement la diversité et l’efficacité des politiques mobilisables en Chine.
Rappelons ainsi d’abord une évidence : tout ce qui affecte le dynamisme économique chinois a des conséquences directes et indirectes immédiates sur la situation de l’ensemble des pays du monde, et a fortiori pour les pays du Sud. C’est évidemment le cas pour tous ceux, nombreux, pour lesquels la Chine est progressivement devenue un partenaire économique et commercial incontournable [3] . Mais même pour les autres, sa position centrale au sein de la plupart des chaînes de valeur mondiales fait qu’on ne peut jamais totalement se désintéresser de sa situation interne.
Pour les pays du Sud, c’est d’autant plus le cas que leurs relations avec la Chine leur offre non seulement de nouveaux débouchés ou sources d’investissements potentiels, mais aussi une alternative crédible pour (tenter de) rééquilibrer leurs rapports de force encore trop souvent défavorables avec les pays occidentauxIbid . La Chine s’est d’ailleurs également progressivement imposée ces dernières années comme un acteur majeur de l’aide au développement, selon des modalités qui tranchent souvent avec les conditionnalités imposées par les pays du Nord [4] , même si elles peuvent aussi se révéler problématiques à bien des égards [5] . Quoiqu’il en soit, les chancelleries du Sud seront donc nombreuses à scruter les signaux envoyés cette semaine à Pékin concernant l’avenir de la stratégie économique du pays, y compris sur le front intérieur, dans la mesure où celle-ci conditionnera l’ampleur et la nature des opportunités qu’ils pourront eux-mêmes en attendre pour leur propre développement.
Pressions sur la stratégie de puissance chinoise
En parallèle, il est toutefois tout aussi évident que les dirigeants chinois ne peuvent pas d’avantage négliger l’importance du contexte international pour leur propre stratégie, a fortiori lorsque l’un des objectifs désormais clairement affirmés par Xi Jinping consiste précisément à briguer la place de première puissance mondiale [6] . À cet égard, le bilan du dirigeant chinois s’est d’ailleurs quelque peu terni ces dernières années. D’abord, parce que son style plus assertif – et même agressif – sur la scène internationale a contribué à radicaliser les positions antichinoises aux États-Unis et plus largement dans le camp occidental, avec à la clé un environnement beaucoup plus hostile que celui dans lequel l’économie chinoise avait pu prospérer durant les quarante dernières années.
Ensuite, parce que l’une des pièces maîtresses de la stratégie de puissance chinoise à l’échelle internationale – les fameuses « Nouvelles routes de la soie » - connaissent de nombreux ratés [7] . Presque dix ans après leur lancement en fanfare par Xi Jinping, et malgré les sommes importantes déjà investies, les réussites concrètes sont loin d’être nombreuses et, au contraire, de nombreux projets emblématiques – à l’image du port de Gwadar, au Pakistan – connaissent d’importants retards et enchaînent les polémiques, que cela soit en raison des coûts cachés, des oppositions locales ou encore du surendettement qui les accompagnent.
Dans ce contexte, les annonces et déclarations grandiloquentes des débuts ont progressivement cédé la place à une attitude beaucoup plus réservée de la Chine, laissant planer le doute sur l’avenir exact de l’initiative, même si un abandon pur et simple paraît difficile à imaginer à ce stade. Reste que la coopération Sud-Sud tant vantée par Pékin a du plomb dans l’aile. Compte tenu des difficultés économiques que traverse actuellement le pays, la tentation pourrait donc être grande de réduire la voilure, au risque toutefois de fragiliser l’alternative à l’hégémonie occidentale que prétend incarner la Chine. Un risque d’autant plus grand qu’il intervient précisément dans un contexte mondial marqué par les conséquences de la guerre en Ukraine et ses répercussions économiques dramatiques pour de nombreux pays du Sud, mais surtout par l’exacerbation des logiques de blocs qui imposent à un nombre croissant de pays de choisir leur camp.